La Mesure des choses...

Publié le 21 avril 2009 par Kasparov


Nicolas Sarkozy a ce mardi, à Nice, dans une salle acquise à sa cause, gendarmes et policiers, fait connaître son plan ''contre les voyous''.
Il y a, en effet, en politique, de ces vieux dadas de bataille que l'on n'hésite pas à enfourcher jusqu'à l'épuisement final de la bête.
Nicolas Sarkozy annonce trois mesures :
L'interdiction de la cagoule dans les manifestations.
Sa volonté de faire de ''l'appartenance consciente à une bande un délit.''
La constitution d'un délit d'intrusion dans les établissements scolaires.
Le reste est de peu d'intérêt, relevant de la sophistique politicienne traditionnelle (cet animal politique n'étant pas plus stupide et malhabile qu'un autre) : angélisme du Parti socialiste sur les questions de sécurité, contre-attaque sur les accusions de lois ''liberticides et inefficaces'', contradiction absurde selon lui (alors qu'il n'y a pas de contradiction nécessaire entre les deux termes, à bien y réfléchir), affirmation narcissique de la main de fer qui sera la sienne, sécurisante et apaisante, etc.
Il y a, bien entendu, deux manières de prendre de telles déclarations. L'on peut d'abord, sans recul, commenter et sous-peser les mesures proposées. L'on peut ensuite, de manière plus détachée, réfléchir à la nomination revenante du grand Serpent de Mer insécuritaire.
1. Mesures, mesures...
La première mesure est absurde. Elle relève de la pure vacuité. Croit-on un instant que le manifestant, porteur d'idées, a besoin de dissimuler son identité ? Qui portera ''cagoule'' sinon le casseur qui surgira à l'instant décisif, et qui est sans rapport avec le cortège. Qui l'empêchera, au dernier instant, de sortir sa cagoule avant de frapper ? Cette frappe suffisant à constituer son action en délit.
Pure vacuité, mais où se fait voir en même temps la dangereuse tendance gouvernementale : exposer, voir, détenir le visage, identifier. L'information au service de la Légalité du pouvoir. Il y a quelques temps, de manière tout à fait ahurissante, apparaissait un document émanant du Ministère de l'Education faisant appel d'offre aux entreprises privées (!) pour collecter des informations sur les sites et les blogs d'opinion influents, en particulier ceux en rapport avec les professeurs. Cette logique, on le voit, se propage...
La deuxième mesure est absurde. Il existe, en droit, pour peu que je sache, « l'association de malfaiteurs », qui repose effectivement sur des preuves concrètes. Sans quoi l'existence de mon cousin lointain, faux-monnayeur à ses heures, suffira à m'envoyer en garde-à-vue. Quelle est la définition d'une bande ? Il y a délit, ou non. L'association de malfaiteurs ne suffisait-elle pas à se prononcer sur les différents degrés de complicité d'une meute ou structure hors-la loi ?
Toute les dérives sont possibles à partir d'une telle conception de l'illégalité. L'affaire Coupat, au moins trouble, et dont, à supposer la culpabilité, le lourd chef-d'accusation est de toute façon disproportionné, en fut un sensationnel avant-goût.
La troisième mesure est absurde. Soit l'intrus entre dans un tel établissement avec l'intention manifeste de commettre un délit, et cela suffit à engager contre lui des poursuites. Il porte de la drogue sur lui, ou possède une arme. Soit, en adolescent, il y entre armé d'intentions claires et ludiques (mettons : armé d'une rose pour sa nouvelle petite amie), et il n'y a là nul besoin de parler de délit. Tout établissement scolaire, d'ores et déjà, lorsqu'est identifié un membre extérieur, rentre dans une logique de l'expulsion du dit intrus, et il y a possibilité, si nécessaire, d'appeler les forces de l'ordre.
Gageons toutefois que cette dernière mesure donnera à certains professeurs le sentiment d'un mieux-être. Il leur sera difficile de critiquer cette mesure, si anti-sarkozystes soient-ils. Qu'ils se disent que les autres mesures produisent le même charme dans l'opinion, en général...
L'Absurdie, par trois fois, n'en est pas moins dangereuse. Elle procède systématiquement d'un renversement du juridique : l'intention précède désormais le fait. L'on est coupable en intention. Autant violer les esprits au nom du Droit.
Un regard plus superficiel verra, lui, qu'il vaut mieux prévenir que guérir. On entonnera le fameux refrain selon lequel le citoyen honnête, qui n'a rien à se reprocher, ne pourra rien redire à de telles propositions. Peut-être, en effet, que je n'en souffrirai pas, ni vous. Mais l'évolution de l'idéologie d'une société - en période révolutionnairement atone - est une atmosphère peu à peu changeante, qui s'impose inconsciemment, devient naturelle, et il n'y a nul paranoïa, contrairement à ce que l'on dit parfois, à être attentif aux glissements qui transforment peu à peu la donne, et d'autant plus aisément qu'un pas franchi rend le suivant plus aisé. Procéder par étape, c'est là, en effet, le principe de toute politique ordinaire.
2.Le Serpent de Mer de l'Insécurité.
Nul ne s'étonnera de voir la droite de Nicolas Sarkozy en revenir au thème insécuritaire. On connaît la manoeuvre. Révélatrice de la propension de notre démocratie à nous habituer à ne point discerner l'essentiel de l'inessentiel.
Non seulement, là encore, on voit, à l'oeuvre, la manière dont on entretient une essentielle confusion utile au développement de l'idéologie atmosphérique : les cagoules des casseurs pourraient bien devenir, aux yeux des plus myopes, celles de ceux qui, en général, contestent le monde comme il va, alors que les idées manifestantes sont les premières victimes de cette sauvagerie d'inanité.
Surtout, l'Insécurité est, dans une société comme la nôtre, le fantasme par excellence dont l'imagerie s'interpose entre la conscience et le réel. Des zones rurales et tranquilles, en leur temps, pouvaient être des nids lepenistes...
Bien sûr que les agressions existent. Nous n'avons pas, personnellement, ignoré leur réalité... Mais nulle société, en réalité, ne fut plus sécurisée que la nôtre. Cette rue n'est pas un coupe-gorge médiéval et systématique.
Le symptôme est ainsi dissimulé. Le mal-être généralisé, médicaments, alcool, dépressions, tentatives de suicide, ou cynisme à l'égard du monde de la consommation. Qu'il suffise de comparer les chiffres annuels des morts ''volontaires'' d'avec les homicides.
C'est là, dans ce que j'ai appelé, dans Démocratie Virtuelle, le ''nihilisme passif'' que se tient la véritable question de notre temps.
Nicolas Sarkozy n'y a pas répondu, aujourd'hui, et n'y répondra jamais, trop attaché, en bon libéral hyper-décomplexé, à la pulsion de répétition qui structure notre temps (et dont toute psychanalyse sérieuse, Lacan et Freud, sait qu'elle est d'échec pour le sujet) : produire/consommer, produire/consommer, produire/consommer...
N'y pensons plus...