Lundi, Eric Besson ministre de l’Immigration a présenté la réforme de la naturalisation voulue par le gouvernement dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Initiée par Brice Hortefeux, elle consiste essentiellement en un transfert de compétences jusque là exercées par une sous-direction du ministère de l’immigration vers les préfectures. De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une rupture devant l’égalité de traitement.
Officiellement la réforme, qui n’attend plus qu’un décret pour entrer en application, vise à simplifier la procédure de naturalisation pour réduire les délais à l’égard des demandeurs. Elle doit surtout permettre à l’Etat de faire des économies. Des économies sur le dos des 156 fonctionnaires en charge de l’instruction, regroupés à Rézé prés de Nantes. Accessoirement, elle est suspectée d’être destinée à freiner les naturalisations afin d’atteindre les objectifs gouvernementaux en matière d’immigration.
Venu présenter la réforme à la sous-direction à la naturalisation (SDN), installée à Rezé, Eric Besson a été accueilli “froidement”. Le ministre a essayé de relativiser la portée de la réforme. “A quoi sert d’avoir une double instruction?“, “jusqu’à présent, un étranger qui estime avoir les conditions requises pour accéder à la nationalité, voit son dossier traité deux fois: sur place - au niveau préfectoral - et au niveau national“. “Ce qui va changer, c’est qu’il y aura dorénavant séparation de l’instruction, faite par les préfets, et de la mission de contrôle, de pilotage et d’harmonisation qui va relever de l’administration centrale de mon ministère“.
Le seul hic, c’est la portée symbolique de ce type de décision qui ne saurait être comparée à la délivrance de certificats d’immatriculation.
Le principal point d’achoppement porte sur la question de l’égalité de traitement. Marc Bonnefis, délégué CGT à la SDN rappelle que, “Ici, c’était un lieu unique de décision. On casse l’égalité de traitement en éparpillant des décisions d’octroi ou de refus de la nationalité dans les 101 préfectures.” En effet, selon une étude réalisée par la SDN à la demande même du ministère de l’immigration, les avis émis par les différentes préfectures témoignent d’une grande hétérogénéité dans le traitement des demandes. Un candidat a plus de chance d’obtenir un avis positif dans un département breton que dans un département du sud de la France. Dans 44 % des cas d’avis défavorables émis par les préfectures, la SDN accorde tout de même la nationalité française.
En 2008, 91.000 naturalisations par décrets et 16.000 par mariage ont été enregistrées. Jusqu’à présent, le candidat à la naturalisation par décret déposait sa demande auprès de la préfecture de son lieu de résidence. Cette dernière constituait un dossier sur le candidat et émettait un avis. Ce dossier faisait notamment état de la régularité du séjour de l’étranger en France et de sa durée, sa connaissance suffisante de la langue française ainsi que de sa bonne moralité. Ce dernier critère nécessitait une enquête préfectorale portant sur la conduite et le loyalisme du postulant. Au vu de ce dossier et de l’avis qui l’accompagnait, la décision finale de naturalisation revenait à la SDN.
Avec la réforme, l’entière responsabilité de la naturalisation reviendra aux préfectures. La SDN n’aura plus qu’un rôle formel de chambre d’enregistrement, en promulguant les décrets.
Les opposants à la réforme mettent en avant de nombreux désavantages. Les agents des préfectures, plutôt spécialisés dans le contrôle des étrangers, seraient dépourvus de la compétence juridique nécessaire. La réforme aboutirait à creuser les écarts de délais d’instruction entre les départements. Enfin, pourquoi ne pas imaginer que les candidats s’arrangent pour déposer leur demande dans les préfectures réputées les plus clémentes ?
L’historien Patrick Weil estime que la réforme “représente une atteinte au principe d’égalité. Un tel pouvoir régalien délégué aux préfets comporte naturellement un risque d’abus et de favoritisme politique. C’est pour cette raison que tous les grands pays démocratiques ont centralisé leurs procédures de naturalisation qui sont des procédures très complexes“.
Un sentiment partagé par SOS Racisme qui parle d’un risque important d’arbitraire et du “bon vouloir de la préfecture qui examine la demande“. La sénatrice des Français de l’étranger Monique Cerisier-Ben Guiga qui a lancé une pétition ouverte aux parlementaires “Non à l’arbitraire“estime “que le droit de la nationalité est extrêmement complexe” et “qu’il ne doit pas y avoir en France 95 manières différentes d’attribuer notre nationalité“. De leur côté, 62 chercheurs spécialistes des questions d’immigration et d’intégration ont émis “un appel contre une naturalisation arbitraire“.