Cette édition reprend nombre des poèmes écrits par l’auteur entre 1953 et 2003. Elle est constituée à part égale de recueils de jeunesse inédits que l’auteur attribuait à son double Ange Vincent et de plusieurs livres parus entre 1987 et 2003*. Il faut souligner toutefois qu’il ne s’agit pas ici d’une édition intégrale de l’œuvre poétique mais que ce très gros volume de plus de 900 pages met à la disposition des lecteurs nombre de textes inédits ou devenus très difficiles à trouver. Certains des livres avaient été publiés au Temps qu’il fait, chez Virgile ou au regretté collectif Inventaire/invention.
Impossible ici de rendre compte en détails de la longue traversée dans ce livre qui s’ouvre avec Amorces, un premier texte déjà très noir, où parlent l’enfance incomprise, la haine du père et où se manifestent le goût intense de la langue et une propension à travailler sur les sonorités : « Francis Carco Mortefontaine/les chemins ne vont nulle part/feuilles mortes mortes semaines. » Présente déjà aussi une constante de l’œuvre, la dérision, tournée surtout contre soi-même. On trouve dès ces premiers essais traces de la fréquentation assidue des poètes, Nerval par exemple : « Les ombres du Valois/passent dans mon passé. ». Les exergues en disent d’ailleurs long sur les lectures et sur les admirations, Roud, Michaux, Primo Levi, Henri Thomas. La dominante est à la mélancolie, elle reste permanente tout au long des cinquante années couvertes par le livre. « Nous nous perdons comme les nuages/qu’absorbent lentement les horizons de nuit ».
Les formes sont variées, depuis des poèmes très brefs jusqu’aux sonnets en passant par des poèmes longs, en séquences parfois comme dans le très beau Nada, placé sous l’ombre de Pessoa. « Moi bien sûr je n’invente rien/je me contente d’écouter les/bavardages lointains des absents ». Il s’agit de retracer « les longs déboires/de la vie et du langage », avec une vraie attention aux choses, au temps qu’il fait, avec très souvent, inclus, un vers, une formule d’un des écrivains tutélaires. C’est un des nombreux intérêts de cette poésie, cette référence à des auteurs connus mais aussi à d’autres qui le sont beaucoup moins comme Achille Chavée, Paul Nougé, Odilon-Jean Périer : Pirotte est littéralement habité par les poètes, il les cite, leur écrit, leur dédie ses textes, leur parle, les tisse à sa propre poésie, avec beaucoup de naturel.
Il faut donc souligner tout l’intérêt de cette somme poétique dont l’édition/réédition semble non seulement justifiée, mais nécessaire : « vous qui me lirez dans cent ans/ (si vous avez le droit de lire)/songez que mon fantôme a tant/et tant de choses à vous dire ».
Il est important de donner aux lecteurs à venir le droit de lire Pirotte. Dans toute sa diversité et sa singularité
Contribution de Florence Trocmé
*note sur l’édition :
Ne figurent pas dans ce volume les trois livres publiés aux éditions Georges Thone entre 1963 et 1969, ni les textes poétiques de Journal moche, parus chez Luneau-Ascot en 1981 et qui ont fait l’objet d’une réédition augmentée à la Table Ronde sous le titre Il est minuit depuis toujours. On ne trouvera pas davantage ici les poèmes des Carnets de Gueldre, écrits en néerlandais entre 1951 et 1955, ni le recueil Rituels, qui obtint en 1962, sur manuscrit, le prix Charles de Trooz et dont l’auteur n’a pas gardé de copie. En outre, semblent irrémédiablement perdues d’autres œuvres poétiques inédites, comme Banlieue triste et Chemin des gueux. Le recueil inédit qui clôt cet ensemble et lui donne son titre date de 2003.
Au sommaire de ce livre, Amorces (1953-1957), Les Cahiers et les poésies d’Ange Vincent (Juvenilia, 1955-1958 ; l’évangile selon Saint Vincent, 1975-1959, le mal des anges, 1957-1967 ; l’autrefois, 1968-1972), La Vallée de Misère (1987), Faubourg (1997), Dame et dentiste (2003), Fougerolles (2004), La Boîte à musique, Nada (2003), Le Promenoir Magique (2003)
Jean-Claude Pirotte
Le Promenoir magique et autres poèmes 1953-2003
La Table Ronde, 2009
19 € - sur le site Place des Libraires