6 décembre 1969. Déchirure cinglante d’Altamont. Dans l’hélicoptère qui les ramène, les Stones sont groggy, hébétés et ont du mal à redescendre sur terre, ils planent dans un ailleurs de sueur et de sang. Comme eux, le Grateful Dead ne réalise pas encore. Mais le rêve hippie est en train de mourir. Il agonise déjà à Haight-Ashbury où les vapeurs fun de la drogue s’estompent inexorablement. Il n’est déjà plus qu’un vague souvenir dans les transistors du Nord Vietnam. Les GI avaient la gueule de bois, les babas de Frisco rasent les murs de leurs ambitions lysergiques. C’est alors que les grandes communautés généreuses de San Francisco plient bagages pour gagner les hauteurs de Laurel Canyon, histoire de se mettre au vert et de repartir à zéro. L’hymne à la nature, voilà le nouveau credo des néo-hippies baillant leurs premiers morceaux à l’aube des seventies pastel. Retour aux sources d’une inspiration typiquement américaine qu’un petit gars dépressif comme imagina, cow-boy solitaire fort peu en accord avec la rude virilité véhiculée par l’imagerie western. Ce musicien aimé de tous, y compris des Stones eux-mêmes, jeta tranquillement les bases d’un psychédélisme country à la fois cool, terrien et solaire, plein de slide spatiale. À cette époque contrariée, ils sont donc nombreux à lui emboîter le pas, et le Dead ne déroge pas à la règle. Après avoir calmé le jeu de ces longues nuits d’extase électrique, le Captain Trip et sa bande en reviennent aux fondamentaux de la chanson courte, faite pour les ondes avec Workingman’s Death en 1970. La même année, ils enregistrent ce que beaucoup considèrent comme leur éternel chef-d’œuvre, American Beauty. Avec son titre faisant référence à une variété de rose américaine et son graphisme rural, tout en sinuosité boisée, le Dead nous offre là 10 joyaux d’une simplicité cristalline, loin des épopées d’antan. Des chansons soigneusement écrites, produites sans aucun effet superflu et signées par Jerry Garcia, Bob Weir et Phil Lesh, toujours accompagnés du poète parolier Robert Hunter. Dès l’entame du disque, une sincère mélancolie vous prend aux tripes, Box Of Rain chantée par Phil Lesh distille à la perfection cette forme de nostalgie que l’on retrouve aussi dans les albums de The Band ou dans Harvest de Neil Young. C’est cette Amérique quelque peu fanée mais au combien touchante que l’on redécouvre tout au long d’American Beauty, dans Ripple dont la mandoline tremble comme l’onde ridée d’un ruisseau. Il y a de l’honnêteté et de la tendresse dans les inflexions de Jerry Garcia que l’histoire aura retenu plus pour ses talents de soliste que pour ses capacités vocales et pourtant. Il arrive à donner à chaque morceau une patine suave, une élasticité rêveuse (Friend Of The Devil), une lenteur religieuse (Brokedown Palace, expression tirée d’un roman John Steinbeck, et Attics Of My Life). Mais jamais le groupe ne cède au vain regret et Sugar Magnolia comme Operator, Till The Morning Comes ou encore Truckin sont autant d’invitations à goûter, le temps d’une écoute aussi longue que possible, les valeurs positives de leur vie nouvelle. Candyman semble se détacher, malgré son unité musicale avec l’ensemble, peut-être pour son thème troublant et sibyllin : dans les vieux blues, le Candyman était considéré comme quelqu’un de « lusty », c’est-à-dire de vicieux, et dont les enfants devaient se méfier ; l’allusion est à peine masquée. Par extension le terme finit par s’appliquer au dealer dont les sucreries firent tant de ravages dans les cerveaux de l’Amérique Freak. 42 minutes et trente seconde d’émotion concise, une prouesse pour un groupe dont le passe-temps était de dilater ses compostions jusqu’au paroxysme, certains morceaux joués sur scène pouvaient dépasser l’heure ! La Mort Reconnaissante le fut à l’égard de la sacro-sainte règle de la chanson « Couplet-refrain-pont » et nous pouvons en dire de même : il faut savoir remercier les artistes qui dans la lucidité de leur vie d’hommes savent transmette les sentiments les plus authentiques.
6 décembre 1969. Déchirure cinglante d’Altamont. Dans l’hélicoptère qui les ramène, les Stones sont groggy, hébétés et ont du mal à redescendre sur terre, ils planent dans un ailleurs de sueur et de sang. Comme eux, le Grateful Dead ne réalise pas encore. Mais le rêve hippie est en train de mourir. Il agonise déjà à Haight-Ashbury où les vapeurs fun de la drogue s’estompent inexorablement. Il n’est déjà plus qu’un vague souvenir dans les transistors du Nord Vietnam. Les GI avaient la gueule de bois, les babas de Frisco rasent les murs de leurs ambitions lysergiques. C’est alors que les grandes communautés généreuses de San Francisco plient bagages pour gagner les hauteurs de Laurel Canyon, histoire de se mettre au vert et de repartir à zéro. L’hymne à la nature, voilà le nouveau credo des néo-hippies baillant leurs premiers morceaux à l’aube des seventies pastel. Retour aux sources d’une inspiration typiquement américaine qu’un petit gars dépressif comme imagina, cow-boy solitaire fort peu en accord avec la rude virilité véhiculée par l’imagerie western. Ce musicien aimé de tous, y compris des Stones eux-mêmes, jeta tranquillement les bases d’un psychédélisme country à la fois cool, terrien et solaire, plein de slide spatiale. À cette époque contrariée, ils sont donc nombreux à lui emboîter le pas, et le Dead ne déroge pas à la règle. Après avoir calmé le jeu de ces longues nuits d’extase électrique, le Captain Trip et sa bande en reviennent aux fondamentaux de la chanson courte, faite pour les ondes avec Workingman’s Death en 1970. La même année, ils enregistrent ce que beaucoup considèrent comme leur éternel chef-d’œuvre, American Beauty. Avec son titre faisant référence à une variété de rose américaine et son graphisme rural, tout en sinuosité boisée, le Dead nous offre là 10 joyaux d’une simplicité cristalline, loin des épopées d’antan. Des chansons soigneusement écrites, produites sans aucun effet superflu et signées par Jerry Garcia, Bob Weir et Phil Lesh, toujours accompagnés du poète parolier Robert Hunter. Dès l’entame du disque, une sincère mélancolie vous prend aux tripes, Box Of Rain chantée par Phil Lesh distille à la perfection cette forme de nostalgie que l’on retrouve aussi dans les albums de The Band ou dans Harvest de Neil Young. C’est cette Amérique quelque peu fanée mais au combien touchante que l’on redécouvre tout au long d’American Beauty, dans Ripple dont la mandoline tremble comme l’onde ridée d’un ruisseau. Il y a de l’honnêteté et de la tendresse dans les inflexions de Jerry Garcia que l’histoire aura retenu plus pour ses talents de soliste que pour ses capacités vocales et pourtant. Il arrive à donner à chaque morceau une patine suave, une élasticité rêveuse (Friend Of The Devil), une lenteur religieuse (Brokedown Palace, expression tirée d’un roman John Steinbeck, et Attics Of My Life). Mais jamais le groupe ne cède au vain regret et Sugar Magnolia comme Operator, Till The Morning Comes ou encore Truckin sont autant d’invitations à goûter, le temps d’une écoute aussi longue que possible, les valeurs positives de leur vie nouvelle. Candyman semble se détacher, malgré son unité musicale avec l’ensemble, peut-être pour son thème troublant et sibyllin : dans les vieux blues, le Candyman était considéré comme quelqu’un de « lusty », c’est-à-dire de vicieux, et dont les enfants devaient se méfier ; l’allusion est à peine masquée. Par extension le terme finit par s’appliquer au dealer dont les sucreries firent tant de ravages dans les cerveaux de l’Amérique Freak. 42 minutes et trente seconde d’émotion concise, une prouesse pour un groupe dont le passe-temps était de dilater ses compostions jusqu’au paroxysme, certains morceaux joués sur scène pouvaient dépasser l’heure ! La Mort Reconnaissante le fut à l’égard de la sacro-sainte règle de la chanson « Couplet-refrain-pont » et nous pouvons en dire de même : il faut savoir remercier les artistes qui dans la lucidité de leur vie d’hommes savent transmette les sentiments les plus authentiques.