Un avis sur les Prédateurs du Kremlin

Publié le 20 avril 2009 par Aurialie

Je viens de finir le dernier essai d'Hélène Blanc et Renata Lesnik, intitulé Les prédateurs du Kremlin 1917-2009, analysant l'impact des services secrets soviétiques et russes dans l'histoire du pays. La lecture de l'ouvrage ne m'a pas vraiment satisfaite. Revue des points positifs et négatifs.

Points positifs :

  • Quelques faits intéressants, voire même instructifs : naissance du groupe Helsinki, le lien entre dissidence et sciences ("Impossible de concilier la logique des sciences mathématiques et l'absurdité d'une société bâtie sur le mensonge et la corruption généralisée." p.76), l'ascencion du KGB, le rôle des services secrets dans la création du parti nationaliste de Jirinovski (p.211), les liens entre Eglise orthodoxe et le KGB/FSB, ...
  • Éclairage sur deux personnes qui ont fait évolué les services secrets soviétiques : Lavrenti Beria (avec une large place à la biographie écrite par son fils, Sergo Beria) et Iouri Andropov, exerçant les plus hautes fonctions entre novembre 1982 et février 1984, mais que l'on a trop souvent tendance à oublier dans les cours d'histoire.

Points négatifs

  • Trop de suppositions, de "peut-être" ("Pour quelle raison ? Peut-être parce que les agents hongrois, qui ont déjà fait leurs preuves, sont toujours actifs en Europe et dans le monde, savamment téléguidés depuis Moscou." p.149), d'interrogations non fondées ("Sans tomber dans la paranoïa, il est permis de s'interroger sur les véritables motivations de cette étourdissante prodigalité. Finira-t-on par assister à la "tsérétélisation" de la France grâce à des "cadeaux" peut-être empoisonnés." p.252, au sujet des nombreuses œuvres de Zourab Tsérétéli en France), voire vraiment étranges ("Alors, que penser de la véritable pandémie qui pousse les ex-Soviétiques fortunés à investir partout notamment dans l'UE et aux Etats-Unis, un argent déjà "lessivé" offshore ? p.255 => Business is business, non ?).
  • Insinuations et interrogations donnant parfois l'impression que les auteurs tentent par tous les moyens de faire rentrer les faits dans leur thèse, notamment concernant la guerre russo-georgienne ("A première vue, l'opération dirigée contre une Ossétie du Sud rebelle serait une erreur stratégique de Saakachvili. Bien que tout semble l'accuser, sa décision demeure inexplicable. Fut-elle encouragée par l'administration Bush ? (...) Enlisée en Irak, affaiblie par un dollar qui s'effrite, ruinée par la crise financière et focalisée sur sa campagne présidentielle, l'Amérique se serait fort bien passée d'un problème supplémentaire. Alors, qui a poussé à la faute le président géorgien ? Là encore se profile l'ombre des prédateurs du Kremlin. (...) De bonnes âmes n'auraient-elles pas fait savoir au président géorgien et à ses généraux que Moscou ne réagirait pas à cette attaque ?" p. 26-27). J'ai envie de dire, mais pourquoi et comment le président géorgien aurait-il pu croire cela ?
  • Des faits mériteraient de meilleures preuves que des on-dit, même rapportés par plusieurs personnes, comme par exemple le trucage de la 1e élection de Poutine ("Connaissant les risques, des conseillers du Kremlin affirment même, sous couvert d'anonymat, que l'actuel président russe ne serait pas arrivé en tête de la présidentielle de 2000 (...) Quant à Vladimir Boukovski [que par ailleurs, j'apprécie beaucoup-note d'Aurialie)], il nous révèle ce qu'il sait de source sûre : « Poutine, totalement inconnu des Russes, n'a pas été élu. En réalité, il est arrivé second derrière le communiste Ziouganov... qui fut pourtant le premier à le féliciter ! »" p. 295-296).
  • Trop long chapitre sur la lustration dans les pays de l'Est, s'apparentant un peu à du remplissage, car lien minime avec le sujet.
  • La non-différenciation entre communisme et bolchevisme/stalinisme ("Pour témoigner sa solidarité, à sa manière, l'Union européenne pourrait peut-être apporter sa pierre à ce devoir de mémoire. Il faudra bien qu'un jour son Conseil finisse par condamner sans équivoque le communisme comme un système totalitaire des plus meurtriers." p.216)
  • Analyse pédo-psychologique de Poutine est assez peu sérieuse dans un essai qui se veut sérieux ("Cette agressivité arrogante, de nature pathologique, remonterait à l'enfance, lorsque ce petit-fils du cuisinier de Staline s'entassait avec ses parents dans l'unique pièce d'une sordide kommunalka. Le soir venu, chaque adolescent rejoignait sa bande (...). Dans ce milieu prédélinquant régnait la loi du plus forts (...). Impossible d'éviter ces tortionnaires en herbe en sortant ou en rentrant de chez soi. (...) D'où, peut-être, cette vocation précoce d'entrer au KGB (...)" p.308)
  • Insinuation dérisoire que derrière certains mariages franco-russes et dans de nombreuses associations culturelles franco-russes, l'on trouverait un espion du FSB cherchant à manipuler et formater les esprits occidentaux (p. 329-330)

Ecrire un ouvrage sur le régime de Poutine est en vérité assez difficile, car on est facilement taxable d'anti-poutinisme primaire en cas de critiques (ce dont on m'accuse parfois) ou au contraire de fermer les yeux sur la réalité russe, la place des amis des Poutine, ... si l'on parle de ses actions positives sur le cours du pays. Alors, je reconnais que c'est facile de critiquer, comme je viens de le faire avec le livre d'Hélène Blanc et de Renata Lesnik, le mieux est donc de vous faire vous-même votre avis en le lisant.