J’aime tenter des expériences au cinéma et m’aventurer en terrain inconnu. Voir "Dans la brume électrique" de Bertrand Tavernier fait partie de ces moments cinématographiques incertains. Et je dois dire que j’ai apprécié le long métrage qui était condamné il y a quelques temps à une sortie DVD uniquement. Je rends grâce au producteur qui a osé miser sur la sortie du film chez nous.
A New Iberia en Louisiane un meurtre d’une rare sauvagerie est commis contre une jeune prostituée. Dave Robicheaux (Tommy Lee Jones), détective de son état, mène l’enquête. Il fait la connaissance d’Elrod Sykes (Peter Sarsgaard), metteur en scène vedette, venu tourner dans la région un long métrage produit par le sulfureux Baby Feet Balboni (John Goodman).
Elrod Sykes informe Robicheaux que lors de prises de vues dans le bayou de Louisiane, il a aperçu les restes immergés et décomposés d’un homme enchaîné. Le cadavre serait celui d’un jeune noir mort 40 ans auparavant.
Robicheaux procède à une double investigation. Et dans le même temps le meurtrier de prostituées semble se rapprocher de son cercle familial.
Le premier élément qui séduit dans le long métrage de Bertrand Tavernier est l’atmosphère qui s’en dégage. Nous sommes au cœur d’un univers hors du commun, à la frontière entre le rêve et la réalité. La Louisiane apparaît comme un personnage à part entière. Le climat, le moindre élément de végétation donne un cachet d’authenticité à l’ensemble. Cet aspect de véracité est incontestablement développé. Nous baignons dans l'univers des cajuns.
Très souvent cet état américain a été pris comme toile de fond par le 7ème art car les lieux, les gens, le choc des cultures, les luttes du passé et celles d’aujourd’hui impriment une marque indélébile. Le cinéma a besoin de ces climats et la Louisiane le lui rend bien.
A deux ou trois reprises les ravages de Katrina sont évoqués ou montrés à l’écran. Avec pudeur Bertrand Tavernier a su capter la juste mesure d’une blessure qui ne se refermera à coup sûr jamais.
"Dans la brume électrique" passionne par son mélange des genres. Le roman de James Lee Burke, transposé par Bertrand Tavernier, séduit le spectateur car il nous permet à la fois de nous immerger au cœur d’une enquête policière à double détente, mais aussi dans le quotidien d’un flic, ex alcoolique, qui a des visions de soldats confédérés.
Dans ces rêves le policier dialogue avec le Général John Bell Hood (Levon Helm) et reçoit en quelque sorte les clés de lecture de son enquête. L’intérêt du film est de ne pas privilégier un genre ou un autre mais de jouer plusieurs cartes à la fois. Bertrand Tavernier brouille les pistes mais ne perd jamais le fil.
Son long métrage est à la fois mystique, policier et propose une étude originale sur les socio-économique sur une région encore marquée, et c’est peu de le dire, par un racisme latent et sournois.
Le metteur en scène français prend le temps de poser les intrigues, de nous présenter les personnages. Certains pourraient assimiler cela à des lenteurs exagérées mais "Dans la brume électrique" met l’humain au centre de l’œuvre. Le spectateur n’est pas noyé sous une avalanche d’effets spéciaux ou de courses poursuites.
Le jeu des comédiens est l’atout maître du film. Chaque protagoniste trouve sa place comme une pièce d’un puzzle bien agencé. Des chocs de personnes naissent des situations tendues. "Dans la brume électrique" nous fait côtoyer des individus à vif qui ont des choses à régler, des démons intérieurs, des fantômes qui les poursuivent.
Les dialogues sont savoureux, étranges, originaux.
L’histoire est passionnante dés l’entame du long métrage. Cette Louisiane nous étouffe, nous surprend mais nous ravît quand même. Le spectateur s’attache à ces lieux atypiques et vibre quand la tension monte d’un cran.
Le scénario est d’une finesse incroyable et Bertrand Tavernier joue sur du velours.
Le film nous propose une galerie de personnages originaux, entiers.
De cette brume électrique émerge Tommy Lee Jones qui est tout simplement énorme. Une composition du feu de dieu. Toutes les nuances y passent. L’homme est à la fois mélancolique et désabusé. John Goodman est le méchant de service et s’en tire à merveille.
Le casting est plus que judicieux. Peter Sarsgaard, Mary Steenburgen, Kelly MacDonald, Ned Beatty, Pruitt Taylor Vince, Justina Machado complètent admirablement la tête d’affiche.
"Dans la brume électrique" est une vraie réussite. Un film de genre(s) original, bien mis en scène, qui nous place au cœur de plusieurs intrigues parfaitement agencées. Le long métrage joue à fond la carte de l’ambiance et de l’atmosphère et le tout paye assurément.
A voir par les amoureux du cinéma de qualité.