Le 17 avril dernier, comme chaque vendredi après-midi depuis 4 ans, Bil’in, petit village situé au nord de Ramallah, se prépare à la manifestation hebdomadaire visant à protester contre le mur d’annexion construit par Israël (Certains l’appellent mur de l’apartheid ou mur de séparation. Le gouvernement israélien parle de barrière de sécurité).
Le village de Bil’in a perdu plus de 60% de son espace originel depuis le milieu des années 80 au profit de colonies toujours plus nombreuses grâce à l’implantation du mur. L’économie du village reposait sur d’agriculture et les plantations d’oliviers mais de plus en plus, les habitants de Bil’in survivent grâce à l’activité des femmes. La broderie est devenue l’une des principales activités du village qui se situe à quelques kilomètres seulement de Tel Aviv (lorsque le temps est clair, on peut apercevoir l‘inaccessible plage - inaccessible pour les Palestiniens - depuis les terrasses des maisons de Bil’in).
En janvier 2005, un comité local (créée par Mohamed Khatib et Abdullah Rahme) fut créé. Le mois suivant, les premières manifestations non-violentes étaient mises en place. D’abord quotidiennes, elles ont ensuite eu lieu chaque vendredi, jour de prière appelé Yum Al Juma’a. Le village remporta une immense victoire en août 2008 (1) lorsque la Haute Cour de Justice israélienne déclara que le nouveau tracé de la barrière de sécurité à Bil’in contrevenait à l’avis de cette même Cour rendu en septembre 2007 (2). Le jugement rendu établissait que le tracé du mur constituait un préjudice à l’encontre du village de Bil’in et devait être détourné. La Cour somma donc l’Etat d’établir un nouveau tracé sous 45 jours en respect du jugement émis.
Le 17 avril 2009, le mur n’avait pas bougé d’un centimètre. Alors que les habitants du village étaient en train de prier dans la mosquée, des protestataires internationaux (venus du monde entier) ainsi qu’un fort contingent d’Israéliens (issus en particulier des mouvements Alternative Information Centre (3) et Anarchists Against the Wall (4)) cherchaient un peu d’ombre pour se protéger de la chaleur du soleil et discutaient de l’évènement du jour. Dès que la prière fut terminée, la manifestation commençait et prenait la direction du mur, à quelques kilomètres de là. Vous pouvez en être certains, Bassem (aussi appelé Phil), était en tête de cortège. C’était sa place. J’ai rencontré Bassem à plusieurs reprises lorsque je suis allé à Bil’in. C’était un homme fort, un homme qui chantait fort, qui plaisantait sans arrêt, un homme énergique, un leader que le comité du village et les militants israéliens suivaient.
Comme toujours, dès que la marche eut atteint l’endroit où l’on commence à apercevoir les soldats israéliens, les premières grenades lacrymogènes furent lancées. Les plus courageux continuèrent leur marche et atteignirent quelques minutes plus tard le début du mur. Bassem était parmi ceux-là. Les Israéliens présents en tête de cortège ont commencé à s’adresser aux soldats en hébreu et Bassem leur lança cette phrase ; « C’est une manifestation non-violente, il y a des enfants et des internationaux parmi nous… ». Il reçut une balle et ne finit jamais sa phrase. Il s’effondre, essaie de se relever puis meurt.
Bassem a été tué par un nouveau type de grenade lacrymogène appelée “rocket”. Le soldat qui a tiré était à environ 40 mètres. C’est ce même type de grenade qui a gravement blessé un citoyen américain, Tristan Anderson, il y a encore quelques semaines. Ces bombes lacrymogènes sont aussi rapides et dangereuses que des balles de fusils. Elles sont difficiles à éviter. Les bombes lacrymogènes classiques restent en l’air puis retombent avant de rebondir au sol plusieurs fois. Celles-ci ont le même type de trajectoire directe que les balles de fusil. C’est une nouvelle fois la preuve qu’Israël utilise la Cisjordanie comme un champ d’expérimentation, qu’Israël considère les Palestiniens comme des cobayes.
Le soldat qui a tiré savait ce qu’il faisait et qui il visait. L’horreur de cet acte réside dans le fait qu’il connaissait probablement Bassem. Bassem était toujours parmi les premiers et participait à ces manifestations depuis des années. Les soldats sont souvent les mêmes et finissent par connaître ceux qui leur font face. Bassem n’a pas eu le temps de dire bonjour… ou au revoir.
Le 17 avril, Bil’in et la Palestine ont perdu un de leurs héros.
Et maintenant?
Israël a aussitôt declaré qu’une enquête allait être ouverte. (à ce jour, parmi les enquêtes ouvertes pour ce type d’évènement, seuls 6% des soldats ont été poursuivis et ils s’en tirent souvent avec quelques semaines de suspension). Mais avant même qu’un avis ne soit rendu, fidèle à l’habituelle propagande, Israël a déclaré que la manifestation avait été particulièrement violente et que les soldats avaient dû réagir. (la video montre clairement le contraire).
Il est même tout à fait possible que d’ici quelques jours, on entende que les bombes aient été tirées par les Palestiniens eux-mêmes et qu’ils aient tué leur ami.
L’Autorité palestinienne, plutôt que de protester violemment contre cet acte, en interrompant définitivement toute négociation avec le gouvernement israélien, en rejoignant les manifestations chaque vendredi, en résumé en marchant main dans la main avec son peuple, a à peine réagi et se réjouit de la prochaine rencontre entre Mahmoud Abbas et Obama à la Maison Blanche (la date de cette rencontre restant à fixer à l’heure où j’écris cet article). Les médias ont à peine évoqué cet événement. Les Palestiniens n’ont pas d’existence. Le choc est d’autant plus grand qu’un un film existe et aurait pu avoir un impact essentiel.
La communauté internationale, avec le sens que l’expression comporte, ne relatera pas l’ « incident » (car pour eux c’est le terme approprié) et va continuer à appeler les Palestiniens à renoncer à la violence et à résister dans le calme pendant que des crimes sont commis par Israël (depuis le début de la seconde Intifada, 87% des victimes du conflit sont des Palestiniens), pendant que les lois internationales sont violées en permanence, pendant qu’à chaque instant les Palestiniens sont opprimés .
C’est donc à nous, citoyens, que revient le devoir d’agir, de rejoindre des associations solidaires, d’écrire des articles, de réaliser des films, de discuter à chaque instant de la détresse du peuple palestinien. La Palestine est une question essentielle.
Ceci est essentiel.
Pour Bassem, sa famille, pour Bil’in et la Palestine.
Frank Barat fait partie du Comité du Tribunal Russell sur la Palestine et est également membre de Palestine Solidarity Campaign UK. Le village de Bil’in organise sa 4e conférence du 22 au 24 avril. Pour plus d’informations : http://www.bilin-village.org/english/conferences/conference2009/Fourth-Bilin-conference-on-grassroots-popular-resistance-in-April
(1) http://www.bilin-village.org/english/articles/testimonies/The-Supreme-Court-The-new-barrier-in-Bilin-violates-the-Court-ruling
(2) http://www.bilin-village.org/english/articles/press-and-independent-media/Palestinians-celebrate-rare-victory-over-hated-barrier
(3) http://www.alternativenews.org/
(4) http://www.awalls.org/
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