"Même le mal se fait bien" Michel Folco. Roman. Editions Stock, 2008.
Quand le général d'Empire Charlemagne Tricotin de Racleterre (âgé de 50 ans) épouse à Turin en 1813 Giulietta Benvenuti (19 ans), il ne devine pas que l'issue de la cérémonie de mariage va lui être fatale et encore moins qu'il va donner naissance à une progéniture qui ne manquera pas de faire parler d'elle au cours des décennies suivantes.
Le mariage ayant été consommé avant la cérémonie, la toute jeune veuve du général de la Grande Armée va mettre au monde quelques mois plus tard un rejeton qui sera baptisé sous le nom de Carolus. Celui-ci deviendra médecin dans le petit village piémontais de San Coucoumelo où son caractère irascible, sa passion pour la taxidermie (sûrement héritée de la vue de son père dont le cadavre a été embaumé et exposé dans un cercueil de verre déposé dans le mausolée des Tricotin) ainsi que son anticléricalisme notoire et sa rivalité avec le maire, ont fait de lui une figure incontournable de la micro-société San-Coucoumélienne.
De Carolus, il sera beaucoup question dans ce récit, jusqu'à sa mort déclenchée par un ulcère gastro-duodénal, mais c'est surtout sur son fils, Marcello, que repose l'essentiel de ce roman.
Instituteur du village, marié (au grand désespoir de son père) avec la fille du maire, passionné de zoologie au point d'avoir monté un élevage d'araignées dans le grenier de la maison familiale, Marcello, comme son père et son aïeul, est doté lui aussi d'un caractère particulièrement difficile.
Mais lorsque Carolus vient à mourir et que son testament est lu à la famille, Marcello apprend avec stupéfaction qu'il a un demi-frère et que celui-ci, s'il est encore vivant, réside en Autriche.
Pour qu'il puisse profiter pleinement de l'héritage, une clause testamentaire oblige Marcello à se rendre à l'étranger afin de savoir ce qu'est devenu ce mystérieux demi-frère dont il ne connaît que le prénom : Aloïs. Poussé par son beau-père qui, mû par l'appât du gain, l'encourage fortement à entreprendre ce voyage en Autriche, Marcello va enfin se résoudre, malgré de nombreuses hésitations, à faire ses bagages et à partir pour Vienne.
C'est à partir de ce moment que va commencer l'incroyable et surprenante odyssée de Marcello Tricotin à la recherche de ce demi-frère inconnu, odyssée qui lui vaudra d'être foudroyé dans une rue de Vienne, de s'écraser dans la cage d'ascenseur d'un hotel, de découvrir avec stupéfaction qu'il est le propriétaire d'un bordel, de faire naufrage et de passer de longues minutes au fond du Danube, mais aussi de rencontrer un certain docteur Freud et d'échapper aux assiduités d'un curé luciférien et sodomite. La plus étonnante de ces rencontres sera pourtant celle qu'il fera avec le jeune fils de son demi-frère Aloïs, un enfant dont le nom et le destin ne passeront pas inaperçus dans l'histoire du XXe siècle.
Son séjour en Autriche s'étant cependant avéré plus long que prévu, Marcello va s'apercevoir à son retour que beaucoup de choses ont changé à San Coucoumelo lors de son absence.
La rancœur n'étant pas le moindre de ses défauts, c'est avec une infinie patience et des trésors d'ingéniosité qu'il va mettre au point sa vengeance contre celles et ceux qui l'ont trahi, déployant pour cela des moyens considérables dans lesquels l'entomologie et la tectonique des plaques prendront une place primordiale.
Difficile de résumer, de décrire et de retranscrire l'atmosphère de ce roman baroque et étourdissant aux accents picaresques. Michel Folco nous offre ici un récit rabelaisien fourmillant de personnages truculents et grotesques, un parcours où s'enchainent à un rythme haletant des scènes toutes plus hallucinantes les unes que les autres. Un mascaret épouvantable de drôlerie qui se lit avec jubilation et n'offre aucun répit au lecteur entraîné pour son plus grand plaisir dans cette avalanche de situations burlesques qui se déchaîne de la première à la dernière page.
Peinture de Georg Grosz