L’exposition monographique de Roni Horn à la Tate Modern jusqu’au 25 mai, sera (à l’identique ?) chez Lambert à Avignon cet été. Une partie de son travail, que je ne connaissais pas très bien, est très conceptuelle et assez ardue, à propos des paires et des dédoublements. J’ai été plus touché par des pièces plus sensibles, vers la fin de l’exposition.
Ses photos de l’eau de la Tamise, Still Water (The River Thames, for Example, 1999), forment une très belle série, montrant les reflets, les obscurités, les tourbillons. Dans l’eau, dit-elle, on ne voit qu’une réflexion de la lumière, un miroir, un caméléon. Les photographies sont sous-titrées de petits textes sur l’histoire du fleuve. L’eau noire est-elle encore de l’eau ? Ces images grises, sans limites, sans profondeur, induisent une mélancolie assez douce, comme la fascination qu’on peut avoir, un jour de blues, à regarder l’eau couler sous un ciel gris.
Ses blocs de verre sont au contraire plutôt euphorisants : ce sont des cubes de verre fondus, dont les côtés sont assez rugueux, avec les traces du moule, alors que le haut est brillant, d’aspect mou, aquatique. C’est d’abord un très beau travail de matière, l’un est incolore, un autre quasi noir, tous deux se nomment Opposite of White (2006/2007); un troisième, rose, est moins pur, moins beau. Ils semblent à la fois solides, durs, indestructibles et, sous un autre angle, liquides, souples, effritables. Peut-être, dans ces pièces-ci, le sens est-il moins évident, moins démontré que dans les travaux conceptuels des premières salles; je me sens ici moins contraint par une pensée, plus ouvert au sensible, mieux capable de maintenir au second plan les réflexions sur la sculpture minimaliste ou sur la lumière qui restent sous-jacentes, sans les laisser envahir la perception et sans les oublier pour autant.
Her, her, her and her (2002/2003) est un très bel ensemble de 64 photos arrangées en carré au mur, vues prises dans un établissement de bains féminins en Islande aux murs blancs carrelés : c’est un labyrinthe hygiénique (on peut penser aux obsessionnels carrelages de JP Raynaud) et les carreaux des murs sont un écho au carré de photos. Ici et là, on aperçoit, furtive, floue, disparaissant dans un couloir, se cachant derrière un mur, à peine entrevue par un hublot, une silhouette féminine, sans doute nue ou en bikini, à peine identifiable dans le brouillard. Est-ce toujours la même que notre regard traque ? Sommes-nous dans un gynécée d’où le regard mâle doit être proscrit ? C’est un enfer du voyeur, un espace construit, carré, impossible à saisir, à posséder.
Dans You are the Weather (1994-1995), ce sont des yeux de femme qui nous traquent, toujours la même jeune femme, 64 fois en couleur, 36 fois en noir et blanc, sur une frise tout autour de la salle, à la bonne hauteur, celle de ses yeux, des nôtres. Les photographies sont arrangées par séries de 3 à 5, chacune correspondant à une situation météorologique, pluie, brouillard, vent, soleil, neige. Le visage de la jeune femme, cadré plus ou moins serré, réagit à ces intempéries, sa peau grelotte ou s’épanouit, ses yeux se plissent ou s’écarquillent, ses cheveux tombent ou flottent. C’est toujours moi qu’elle regarde, son regard me suit dans la salle, peut-être suis-je le temps, le mauvais temps ou le soleil qui l’a fait ainsi changer d’aspect. Spectateur, je me sens proie, gibier traqué, voyeurisé, désiré ou haï, je ne sais. C’est, comme la précédente, une pièce subtilement érotique, féministe sans doute, perturbante à coup sûr.
Photos provenant du catalogue.