Il y a une dizaine de jour, le radical Pierre Maudet, le Monsieur Propre de Genève, se lançait dans une guerre sans pitié contre les tags et les graffitis. Ce genre de combat, perdu d’avance, à moins d’utiliser des moyens disproportionnés, a déjà été mené à Lausanne par son clone lausannois Olivier Français. Une opération qui a connu un succès modéré : il n’y a qu’à regarder les murs de la ville pour s’en rendre compte.
Toujours est-il que les magistrats libéroradicaux se sont jetés, à quelque 8 ans d’intervalle, dans une croisade – essentiellement médiatique – contre ce qu’ils considèrent comme des actes majeurs d’incivilités : le graffiti et le tag.
Pour les élus genevois et lausannois, les tags et les graffitis sont des manifestations de «microdélinquance» et correspondent à des «souillures» et des «pollutions visuelles» qui renforcent le «sentiment d’insécurité». Fichtre, la situation est désespérée ! Dans un célèbre préavis datant de 2001, la Municipalité de Lausanne faisait d’ailleurs un joli amalgame entre l’état déplorable de certains WC de la ville, leur usage comme local d’injection, le lavage de la voirie et le graff.
Une conseillère communale, radicale elle aussi, allait même jusqu’à écrire en février 2007 : «La compréhension de quelques comportements inhabituels ne doit pas excuser des actions visant à gratuitement salir, dégrader, abîmer pour ne pas dire détruire le bien d’autrui.»
Les graffeurs de Lascaux, précurseurs de cet art millénaire qu’est la peinture murale, doivent se retourner dans leur tombe !
Ainsi, le tag et le graff ne viseraient qu’à détruire, saccager, enlaidir. On peut tout de même s’étonner que les «délinquants graffeurs» passent des heures et des heures à peaufiner leurs œuvres, après avoir consacré des années d’apprentissage à leur art. Même pour ce qui concerne le tag, le travail nécessaire à l’obtention d’une signature satisfaisante aux yeux de son auteur – et de sa communauté – nécessite patiente, ténacité et travail. Toutes valeurs qui, selon les mêmes qui s’offusquent à la vue d’un graff ou d’un tag, semblent faire défaut à la jeunesse d’aujourd’hui et qui sont complètement incompatibles avec la volonté de destruction que les pères et mères la vertu attribuent à celles et ceux qui essaient de mettre un peu de couleur et d’originalité sur les murs parfois bien gris de la ville.
Que certains n’aiment pas le style des œuvres murales qu’ils rencontrent, je peux le concevoir. Mais qu’ils considèrent leurs auteurs comme des délinquants à pourchasser sans relâche constitue une escalade de la violence inadmissible. Surtout si l’objectif est d’envoyer ceux que je considère personnellement comme des artistes au trou ou de les condamner à des réparations financières qui leur obscurcissent l’avenir pour longtemps.
Franchement, un graffiti, ou même un tag, n’a jamais endommagé un mur. Personne n’a vu des pans entiers de maison s’effondrer sous le coup d’une agression picturale. Quant à la supposée insécurité créée par les graffs, je ne me souviens pas d’avoir vu l’un d’entre eux sauter à la gorge d’un passant ou faucher le sac d’une grand-maman.
Mais au fond pourquoi ces magistrats en veulent-ils tellement au graffeurs et aux taggeurs qui décorent nos murs ?
Une des raisons est évidente. Ces artistes sont subversifs.
Ils sont subversifs car ils ne vendent rien, ils ne rapportent rien, ils ne commercent pas. Ils sont hors du circuit économique. Si la droite était cohérente, elle ferait aussi tout pour éradiquer les affiches publicitaires et les enseignes plus ou moins lumineuses qui «ornent» nos murs. Mais il n’en est bien évidemment rien car ces souillures-là sont des souillures qui se négocient, qui se marchandent, qui rapportent.
La «saleté» marchande oui, la «saleté» gratuite non !
Mais, comme le dirait un graffeur de ma connaissance : «Les graffitis et les tags ne coûtent qu’à partir du moment où l’on veut les effacer.» Qu’on se le dise !