Je ne sais si ‘Le Monde’ a décidé d’en faire une habitude, mais l’entretien qu’il publie le week-end avec une personnalité politique est toujours fort intéressant. Plutôt que d’enfermer le politicien dans une posture, il le pousse à se déboutonner. La fenêtre s’ouvre et le convenu théâtral en deux slogans laisse la place à une pensée en mouvement. Dimanche-lundi, daté 19 avril, l’entretien était avec Daniel Cohn-Bendit.
Si vous voulez voir un véritable animal politique en action, suivez Cohn-Bendit. Il est bien meilleur que beaucoup dans l’exercice. Entre autres que l’ancienne candidate socialiste à la Présidentielle française, dont on ne retient plus désormais que le terme « ancienne ». Comment l’éternelle repentance, tant reprochée au vieux Chirac, pourrait-elle incarner un avenir positif ? Comment la clownerie de répétition pourrait-elle entraîner vers la fonction respectable de Présidente ? Royal fait penser à la marionnette Marchais dans feu le Bébête-show. Il commençait toutes ses phrases par « J’mex-cuse, hé ! gruik ! » et terminait toujours par sa hantise de la machine à jambon… Cohn-Bendit ne saurait mieux dire : « Il y a cette particularité française : l’élection présidentielle rend la classe politique folle ».
A 64 ans, Dany-le-rouge est d’une autre étoffe. Il n’a certes plus cette flamboyante chevelure qui lui a donné son surnom. Mais il a toujours su nager, gouailleur et rationnel, affectif quand il le faut et rassembleur toujours. Fait assez rare pour être noté, dans ces années 68 où il était de bon ton d’être marxiste radical, du trotskysme cher à Jospin au maoïsme cher à Sollers, Daniel Cohn-Bendit est resté ‘autonome’. Autrement dit démocrate, préférant le débat d’idées aux pensées uniques totalisantes. Il n’a jamais affirmé, au contraire de tant d’autres, qu’il savait mieux que tout le monde ce qu’il fallait pour tous. Il défend des convictions, il ne cherche pas à terroriser avec. Son écologie, par exemple, n’a ni ce ton apocalyptique ni ces relents pétainistes de beaucoup. Il parle de l’Europe, dont les élections sont dans deux mois, de Sarkozy et de la France. Il en parle autrement que par images convenues et c’est rafraîchissant.
L’Europe reste immature, elle ne veut accepter aucune responsabilité, renvoyant toujours à chaque pays. « La crise a conduit a la renationalisation des comportements au détriment de l’intérêt général européen. » Que les conservateurs allemands et socialistes allemands s’entendent pour clamer que le paquet climat, négocié au niveau européen, nuit à l’industrie allemande est de bonne guerre ; mais qu’un Commissaire européen allemand et que l’un des principaux groupes au Parlement européen poussés par les syndicats allemands le fasse, ce n’est pas européen mais étroitement national. « L’Europe politique se fera avec une Europe constitutionnalisée ». Pas de responsabilité sans institutions. Pas de rôle mondial sans une parole unique. Or il y a une « incapacité des acteurs européens à faire jouer à l’Europe le rôle qui est le sien ». Peut-être parce que l’ouverture s’est faite trop vite et trop largement, mais il ne le précise pas.
« Nicolas Sarkozy [Président du Conseil européen jusqu’en décembre] a eu de bonnes intuitions mais il n’a pas compris que, pour faire bouger les lignes, il fallait mettre les autres en confiance. » Cela « parce qu’il éprouve toujours le besoin de se mettre en avant. » « Ce qu’il y a de fascinant chez lui, c’est son énergie, sa capacité d’avancer. » « Ce qui est insupportable chez lui, c’est la dépendance qu’il crée : si vous n’êtes pas avec lui, vous êtes contre lui. » Malheureusement, après l’éradication chiraquienne de tous les prétendants plausibles, la classe politique dernières présidentielles se résumait à des personnalités plutôt ternes. Sarkozy a gagné par son énergie et par sa volonté affichée de secouer enfin l’insupportable immobilisme. Qu’il y ait réussi est autre chose, mais il lui reste 3 ans. Si l’on croit la reprise économique française vers la fin 2010, après les autres et plus lentement, mais dans le sens positif, alors l’échéance 2012 lui sera, comme 2007, favorable.
« Le grand problème de la société française, c’est qu’elle aime se donner. On se donne à Sarkozy, on se donne à la gauche ou à l’idée révolutionnaire. On se donne facilement et on est déçu facilement. Cela fait d’elle une société fragile, très fragile. » Fragile comme toutes les sociétés autoritaires et hiérarchiques, volontiers névrosées : ça passe ou ça casse ! Les relations d’entraide horizontales sont peu développées, on attend tout du père, du patron, de l’Etat, de l’intellectuel ou du curé. Les égaux se méfient les uns des autres, se surveillent, se jalousent. Les chefs qui fautent sont honnis, comme s’ils avaient le devoir de dire le vrai, de protéger, de conduire les simples. « Je suis intrigué par cette histoire de bonus, de stock-options. En France comme en Allemagne, ça rend les gens fous. Mais les salaires de la société du spectacle, des animateurs de télé ou des footballeurs ne rendent pas fous, alors que c’est la même folie. Un jeune du PSG gagne, à 22 ans, 90 000 € par mois. Ça, bizarrement, on le supporte. » Signe de relations archaïques où ce qui compte est la magie, pas le réel. Les politiciens sont vus comme des danseurs de pluie ; les présidents de société ou de la République comme des rois thaumaturges, de ceux qui sont mis à mort rituellement en cas de mauvaises récoltes. Vu d’Allemagne, par un animal politique qui connaît bien l’Hexagone, ses propos font penser.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 10 juin à 15:02
"Vu d’Allemagne, par un animal politique qui connaît bien l’Hexagone, ses propos font penser." !a quoi? remplacer animal politique par animal médiatique.