Avez-vous reconnu l’atelier de M. Hirbawi à Hébron dont il a été question dans un précédent billet ? La photographie (merci à son auteure et à celle qui a fait le lien entre nous ) a été prise par un groupe de “touristes” militants venus rendre visite et manifester leur solidarité à la dernière fabrique de keffieh encore en fonction en Palestine.
Ted Swedenburg signale sur son blog une initiative qui devrait pouvoir trouver un équivalent en France (peut-être grâce aux lecteurs de ces lignes) : The Kufiyeh Project vend directement en ligne le “vrai” keffieh palestinien, aujourd’hui menacé d’être transformé en gadget à la mode par la mondialisation triomphante.
“Retour” également sur un thème régulièrement évoqué dans ces chroniques, celui du boycott (voir la liste des mots clés), une question sur laquelle s’affrontent des positions diamétralement opposées, et selon des logiques politiques qui peuvent étonner. Après Beyrouth (voir ce billet), une nouvelle illustration en a été fournie par la venue au Caire de Daniel Barenboïm, fondateur, avec son ami, aujourd’hui décédé, Edward Said, du West-Eastern Divan Orchestra. Citoyen israélien (sa famille a émigré dans ce pays alors qu’il avait 9 ans), le pianiste et chef d’orchestre d’origine argentine porte aussi la citoyenneté palestinienne qui lui a été donnée par l’Autorité installée à Ramallah en reconnaissance de son combat en faveur de la cause palestinienne.
Vendredi dernier, Barenboïm s’est donc produit à l’opéra du Caire, devenant ainsi le premier musicien israélien à se produire officiellement en Egypte. Curieusement, comme le note cet article du quotidien Al-Hayat, c’est le très libéral Wafd qui a mené campagne contre cette représentation considérée comme une étape supplémentaire sur la voie de la normalisation avec l’ennemi israélien. Et tout aussi curieusement au regard des réflexes politiques traditionnels, ce sont des voix bien connues pour leur enracinement à gauche qui ont défendu le principe d’un tel concert. Farida Naqqache (فريدة النقاش) par exemple, la rédactrice en chef du très nationaliste Al-Ahali, reproche à ceux qui critiquent la venue de Barenboïm de se situer dans la logique même du sionisme et de faire l’amalgame entre l’appartenance religieuse d’un artiste et ses prises de position politiques, très critiques du sionisme.
Il est vrai que nombre de commentateurs (voir cet article sur Elaph) notent également que ce concert, d’abord prévu en janvier et reporté en raison du bombardement de Gaza, tombe à point pour servir le ministre égyptien de la Culture, en pleine campagne pour son élection à la tête de l’Unesco (des détails dans ce précédent billet).
L’auteur et l’éditeur de Métro ont les honneurs de la presse arabe qui revient sur le jugement attendu dans le procès qui les réunit (ils risquent deux ans de prison, soit la peine réservé à ceux qui se rendent coupables de diffuser des oeuvres pornographiques, comme le rappelle cet article dans Al-Akhbar). On avait signalé à l’époque l’interdiction de ce texte, le premier “roman graphique” égyptien dont quelques planches sont visibles en ouvrant ce billet. Un autre article, dans Al-Hayat cette fois, éclaire les raisons politiques de cette censure qui vise, à n’en pas douter, Muhammad Al-Sharkawi (محمد الشرقاوي), l’éditeur du texte, un des responsables du mouvement Kifaya qui a donné tant de souci aux autorités égyptiennes en appelant à la grève (cette année, les forces de police se sont montrées particulièment efficaces et le mouvement n’a pas rencontré le même succès que les années précédentes). En solidarité avec le scénariste et dessinateur Magdy El Shafee (مجدي الشافعي) étaient venus assister à l’audience différentes personnalités du monde de la culture, tels que les romanciers Alaa El-Aswany (l’auteur de L’Immeuble Yacoubian) et Sonallah Ibrahim.
Une revue, dirigée par le poète ‘Abd al-Mu’ti Higazi (عبد المعطي حجازي) et publiée par le ministère égyptien de la Culture, est menacée de fermeture, suite à une décision du tribunal administratif. En cause, la publication d’un poème de Hilmi Salem (حلمي سالم) intitulé “Le balcon de Leïla Mourad” que certains ont trouvé irreligieux. Le poète, visiblement amer de se trouver un peu trop seul dans ce combat, publie dans Al-Hayat (texte repris sur le site de Al-Arabiya) a publié une réponse, assez percutante, en douze points. Il souligne les dangers que fait peser sur la création la possibilité qu’offre la loi égyptienne à n’importe quel citoyen d’intenter une action en justice pour peu qu’il estime que la religion est offensée (loi dite de la hisba, plus de détails dans ce billet).
Avant de conclure sur les dangers d’une telle arme juridique contre la création (la revue désormais fermée s’appelait précisément Ibdâ’ (إبداع), “Création”), Hilmi Salem se demande pourquoi ces pieux censeurs, tellement choqués par un malheureux poème, ne se sentent pas tenus de se mobiliser pareillement lorsqu’il s’agit de dénoncer un ministre de l’Intérieur dont la police torture - les faits ont été prouvés - des citoyens sans défense, lorsqu’un “bon” musulman est responsable de la disparition en mer de 300 de ses concitoyens ou quand un autre fait flamber les prix des ferrailles nécessaires à la construction parce qu’il a le monopole du marché, chose que sa religion condamne pourtant explicitement,.
Une dernière histoire de hisba, un peu plus légère à première vue mais en définitive pas tellement plus rassurante si l’on pense aux moyens que la loi égyptienne donne à certains esprits trop bien intentionnés. Tout récemment, un certain Adel Moawwad (عادل معوض) a jugé bon d’intenter un procès contre le ministère de la Culture pour exiger l’interdiction de la danse orientale. De son point de vue (voir cet article sur le site Middle-East Online), un Etat qui, comme l’Egypte, se réclame de l’islam - religion qui donne à la femme toute sa valeur en tant qu’être humain - ne peut tolérer cette forme de danse totalement dégradante. Et lorsqu’on lui demande pourquoi il n’a pas protesté plus tôt contre la très officielle circulaire administrative qui règlemente depuis 1997 la pratique de la “danse du ventre” dans les cabarets du Caire, cet avocat répond qu’il n’a pu le faire parce qu’il était alors en prison pour ses idées, mais aussi parce que les récentes décisions de la justice égyptienne lui ont donné espoir que sa requête puisse être entendue.
Que Adel Moawwad nous pardonne de penser qu’il est, si l’on ose dire, un peu de mauvaise foi car tout le monde sait bien en Egypte (voir ce précédent billet) que la rude loi du marché et les goûts de la clientèle font que les danseuses orientales sont désormais bien moins souvent locales - et donc musulmanes - qu’occidentales !