Une Europe à refaire; Jean Zin

Publié le 19 avril 2009 par Chezfab

Un article de Jean Zin, que vous pouvez trouver ici sur son blog et dans la revue Ecorev'. Je le trouve extrêmement pertinent et j'en partage les analyses. Bonne lecture.

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Une Europe à refaire

Par Jean Zin le Dimanche, 19 avril 2009, 12:00 - News

L'Europe est en bien mauvaise posture. Loin d'être épargnée par une crise venue des Etats-Unis elle s'en trouve paradoxalement bien plus ébranlée, dans ses fondements même, jusqu'à pouvoir la menacer d'éclatement à brève échéance. Puisque l'Europe a fait la preuve de son impuissance, et même de son inexistence, pas étonnant que les élections européennes ne passionnent guère les foules, ni les médias qui l'évoquent à peine.

Bien sûr, il y a de bonnes raisons de penser que la seule solution à la crise, serait la relocalisation d'un côté mais aussi l'Europe de l'autre, qui pourrait même y gagner un leadership mondial que justifierait son rang économique. Seulement il faudrait pour cela une toute autre Europe, une Europe des peuples forgée dans des mouvements sociaux européens et reconstruite sur de toutes autres bases.

Les raisons d'y croire sont bien minces mais tout ce qu'on peut souhaiter à cette assemblée de notables et de technocrates coupés de la population, c'est que leur mandat se termine vite et que les bouleversements qui s'annoncent débouchent sur une véritable constituante mettant un terme à cette Europe de supermarché. Ce n'est pas du tout le plus probable pour l'instant mais si la crise est aussi profonde qu'elle s'annonce, il ne faut pas sous-estimer la combattivité des peuples et les redistributions des cartes qui devraient s'opérer. Cela pourrait être en tout cas l'occasion d'une véritable naissance de l'Europe politique, tout autant que de son éclatement...

Les institutions actuelles de l'Europe, et surtout son extension aux pays de l'est, se sont faites au moment du triomphe de l'idéologie néolibérale et de la faillite du communisme, comment résisteraient-elles à la faillite de l'idéologie de marché sur laquelle elle s'est constituée ? Ce n'est pas qu'une question de majorité au parlement car ce n'est pas seulement la commission qu'il faudrait changer mais les traités eux-mêmes, avec en premier lieu la BCE qui cumule la prétention absurde à l'indépendance du politique avec un monétarisme tout aussi stupide. La priorité donnée à la lutte contre l'inflation va devenir de toutes façons complètement intenable dès lors qu'on devrait entrer dans une nouvelle période d'inflation (un fois la crise passée), principalement à cause du développement des pays les plus peuplés et de leur besoin de matières premières.

Dans la situation actuelle, on peut penser qu'il deviendra complètement injustifiable de continuer cette absurde compétition des systèmes sociaux et fiscaux ainsi que la casse des services publics par pure idéologie, au nom d'un principe de concurrence libre et parfaite qu'on voulait mettre au principe même de notre constitution ! On y a échappé belle mais on n'a pas pour autant une autre Europe jusqu'à présent, plutôt plus d'Europe du tout. Quand il faut que l'Etat réintervienne, ce n'est pas l'Europe qui est sollicité, ce sont les vieilles nations qui reviennent et le chacun pour soi...

Comme un grand corps malhabile, grandi trop vite et entravé par des institutions trop rigides, non seulement l'Europe a démontré son inexistence mais elle est pour la première fois menacée réellement de dislocation, ne pouvant concilier des économies trop différentes, aux rythmes découplés et aux évolutions divergentes, tirée à hue et à dia. La déconnexion des politiques budgétaires et monétaires se révèle parfaitement ingérable, conformément au BA.BA de l'économie politique.

Ce n'est pas que cette vraisemblable implosion serait souhaitable en quoi que ce soit, c'est seulement ce qui risque d'arriver sans un sursaut très improbable à l'heure actuelle, le grand marché déjà bien problématique en temps ordinaire se révélant plus qu'insuffisant dans les périodes de troubles. La tâche semble insurmontable mais l'Europe ne se fera pas dans les couloirs de ce simili parlement, véritable parodie de démocratie. Elle ne pourra se reconstruire que dans les luttes sociales et politiques, seule chance de surmonter les intérêts contradictoires en créant de nouvelles solidarités. Il n'est pas impensable en effet que, face à l'étendue de la crise, l'intérêt bien compris des salariés les mène à prendre conscience que l'Europe constitue un enjeu crucial pour leurs revendications, l'imbrication des économies et la dimension européenne des entreprises ne laissant de toutes façons guère le choix.

Pour lors, cependant, l'élection européenne n'est guère qu'une farce dont tout le monde se moque et qui sert tout au plus à exprimer ses appartenances partisanes grâce à la proportionnelle. Les élus nommés par les partis ne sont qu'une élite coupée de la population qu'elle ne représente pas. Le montant des indemnités et faux frais des députés est en lui-même un scandale qui suffit à déconnecter complètement cette nouvelle noblesse de la réalité des gens ordinaires. C'est la façon dont le libéralisme s'impose depuis toujours : en achetant les députés et les contestataires, en les faisant entrer dans le cercle des possédants, en leur faisant goûter les plaisirs de la réussite sociale pendant que le bon peuple est livré à une précarité grandissante (inévitable dit-on quand on ne la subit pas!). Amartya Sen a montré pourtant qu'il n'y avait pas de famine quand les dirigeants partageaient le sort du peuple, c'est pareil pour la précarité qui ne serait pas supportée si les élus aussi devaient la subir de plein fouet !

Ce n'est pas qu'il ne faudrait pas voter à ces élections où les abstentionnistes devraient être majoritaires car on ne peut certes pas dire que les décisions du parlement n'ont aucune conséquence sur notre vie concrète. En plus, pour une fois on n'a pas tellement de raisons pas critiquer les écologistes qui ont su au moins se regrouper et sont assez souvent utiles au parlement européen malgré tout, même s'ils ne représentent pas une alternative et ne mettent pas assez en avant une indispensable relocalisation de l'économie. S'il est très positif, dans le cadre de la crise et d'un New Deal vert, d'afficher ouvertement l'objectif d'un nécessaire "revenu d'existence" pour une "société pollen" chère à Yann Moulier-Boutang, ce n'est malgré tout pas suffisant pour dessiner une alternative (il faut au moins y ajouter des monnaies locales et les institutions du travail autonome). Voter pour la liste écologiste, ce n'est au fond rien d'autre que voter pour un lobby Vert contre les autres lobbies. Pourquoi pas ? Ce n'est pas là en tout cas que se jouera l'avenir de l'Europe, d'une Europe à refaire de fond en comble !

(article pour EcoRev' no 32 sur l'Europe)