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Capitale

Publié le 19 avril 2009 par Lironjeremy
Capitale

Le dernier livre de Philippe Blanchon, Capitale sous la neige (Livre de Nathan), est un livre singulier et ambitieux, un livre difficile qui en déroutera plus d’un. Si on y reconnaît cette poésie narrative ou épique que le précédent recueil La nuit jetée (Livre de Jacques) avait déployé, et si on y retrouve les personnages par lesquels le récit prenait corps, le texte atteint ici un dureté, une opacité supplémentaire. Hermétisme de la précision poétique poussant la langue dans ses retranchements. Si les mots sont somme toute peu nombreux, s’ils s’empilent très nettement dans la page en une fine armature verticale dressée longuement, il faut croire que le recueil s’est fait par précipitation des choses, coupes vives et ajustements rigoureux plutôt que par accumulation. La colonne qui nous reste est d’une densité formidable, émaciée à l’extrême. On pense à quelque peinture géométrique sommaire, toute retenue, tendue entre énigme et exaltation. Quelque chose comme une épopée retaillée à quelques traits significatifs et allusifs.En fait, les deux recueils, Capitale et La Nuit, comme deux parties d’un seul et même ensemble, nous offrent un livre gouffre dans la lignée de Finnegans Wake ou de quelque autre bible, je veux dire un livre, semble-t-il inépuisable dont chaque relecture paraît devoir dégager un pan supplémentaire, une figure nouvelle. On songe à quelque projet oulipien, à quelque jeu géométrique aspirant et mélangeant exactement le monde comme en un jeu de miroir. Il y a plusieurs livres dans celui là qui monstrueusement cohabitent. Un poème narratif avec quelque chose de russe, un déploiement de scène, mais à peine en adopte-t-on les rythmes que ceux-ci sont cassés, repoussés de la main, dédaignés par une sorte d’ironie. Parfois le poème tiendrait de l’oracle ou de la légende, parfois c’est un récit biblique, une odyssée, un chant, un chant lyrique, quelque chose d’ancien et actuel tout à la fois. Parfois dirait-on une humeur, un paysage. A peine a-t-on suivi ces nouvelles inclinaisons qu’à tout bien reconsidérer sourd d’en dessous certains vers comme les notes codées d’un manifeste. La langue ne peut faire l’économie de ce retour sur elle-même, de la théorie. Mais ici il ne s’agit pas d’expliquer de loin les convulsions de la langue poétique, dans une réconciliation la syntaxe se tord au moment qu’elle le justifie -quelques mots ne sont pas épargnés- pour une théorie en acte. Je veux dire, si une chose s’efface, elle ne reviendra pas vous expliquer longuement le comment et le pourquoi de son effacement. Le trouble que cause cet étrange livre dois-je dire en est plus grand que chaque voies sont fondues en un unique vertige. Tout semble là-dedans brisé et maintenu vif aussi, le conflit dépassé en une formule large tout à la fois envoûtante et proprement intolérable. Un livre dont on ne sait ce qu’il construit et ce qu’il sape, nietzschéen en un sens. On ne sait quelle voie suivre, ni quelle voix écouter, ni qui finalement se joue de nous dans ce vertige de personnages enchâssés depuis lesquels se dit l’histoire. C’est une véritable parthénogenèse, les protagonistes se dédoublant, intervertissant leur place, s’effaçant dans leurs doubles, non sans humour « Nathan (carré cube) nouveau comme Ulysse pour Jacques se multiplient par deux, par quatre par… », « double en leur double cours et flot unique ». Des aventures des uns, des témoignages des autres, tout n’est qu’un grand et incertain voyage. La parole est perdue dans une sorte d’abîme. Passés comme aux palabres, les protagonistes, leurs biographes. L’auteur même semble se fondre dans la fiction romanesque jusqu’à n’exister plus. « le biographe disparaît dès que nommé », le scribe s’efface, « celui qui signe se dissout », comme s’il fallait pour que l’histoire s’énonce que sa source se perde dans tout le champ pronominal. « Par son nom qui devient récit, le récit se clos ». Ainsi peut-être le poème peut-il enfin advenir, parole, voyage comme tout véritable voyage est un exil, comme tout grand projet solde une dette, s'affranchit.


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