Rendre le permis de conduire est une décision qui, parfois, s'impose. Au point qu'une exception au secret médical est prévue explicitement par la loi suisse.
Mais avant d'en arriver là, le plus souvent, on discute. On peut préférer poser son permis volontairement, et éviter ainsi de se le voir retirer... Et tout vaut mieux qu'attendre l'accident grave. Si vous ou un proche pourrait avoir une maladie dangereuse au volant, parlez-en à votre médecin, donc.
Cela dit, certaines situations sont très claires, d'autres moins. Parmi elles, les maladies lentement progressives, où la question est de savoir quand le seuil décisif est franchi. Raison de plus pour en parler, bien sûr, mais ce genre de situation n'est jamais facile. La démence de type Alzheimer est de ce nombre: son décours est progressif, variable d'un individu à l'autre; on peut avoir conservées intactes certaines capacités alors que d'autres plus visibles se détériorent; à l'inverse on peut fonctionner bien dans la vie quotidienne, mais avoir perdu des aptitudes cruciales au volant. On voudrait parfois interdire la conduite 'dans le doute', mais ce n'est jamais banal. Le permis de conduire a dans nos sociétés une composante identitaire. Son obtention à l'adolescence est un rite de passage. Sa possession le signe tangible de l'indépendance de l'âge adulte. Il n'est pas anodin que certains pays s'en servent comme pièce d'identité. Son retrait -souvent définitif dans ces cas- est un des signes explicites de la perte de l'indépendance. Et son retrait limite le périmètre d'action, fragilisant ainsi parfois très concrètement une personne peu mobile à pied.
La pesée doit donc être fine. Garder ou rendre le permis, identifier le 'bon moment', c'est une difficulté éthique de la pratique quotidienne souvent invisible, toujours délicate. Heureusement, il se pourrait que ça change bientôt. En tout cas, des chercheurs y travaillent. En recrutant à l'Université de l'Illinois 40 personnes atteintes de maladie d'Alzheimer, et 115 personnes âgées saines, ils ont commencé par leur faire passer un examen de conduite draconien: une soixantaine de kilomètres en campagne, ville et quartiers résidentiels dans une voiture bourrée d'instruments de mesure, qui enregistraient tout à la manière des 'boîtes noires' d'aviation. Armés d'une idée très précise sur leur aptitude à conduire, ils les ont ensuite soumis à toute une batterie de tests psychologiques, pour voir lesquels pourraient permettre de la prédire.
Peu surprenant mais révélateur: rater les tests de mémoire ne permettait pas de prédire des risques au volant. C'est important, parce que c'est souvent ce qui se voit socialement, la perte de mémoire. Et il semble pourtant que des oublis ne signalent pas à eux seuls le danger sur la route.
Par contre, rater les tests de la capacité à faire plusieurs choses en même temps, ça c'est prédictif. Pas de commentaire ici sur les clichés selon lesquels les femmes seraient plus capable de 'multitasking' que les hommes, et leurs aptitudes au volant. Ici, on a testé la capacité à faire travailler en même temps les fonctions cognitives, visuelles, et motrices pour prendre une décision rapide: par exemple copier une forme que l'on n'a vue que quelques secondes, ou dessiner un chemin entre des chiffres et des lettres. Les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer qui avaient des résultats dans ou au dessus de la moyenne ne faisaient pas plus d'erreurs de conduite que les personnes du groupe contrôle.
Ces résultats viennent s'ajouter à d'autres allant dans le même sens. Comme des tests d'attention visuelle, par exemple. La nouveauté semble être la concordance entre les résultats des tests et la performance au volant, dans des conditions de conduite réelle aussi standardisées que possible, et spécifiquement dans la maladie d'Alzheimer. Ils sont préliminaires. Mais s'ils se confirment ça pourrait être un pas vers des conditions plus claires pour une décision difficile.