Témoignage d’un des 54 indiens “enfermés” dans la forêt de Ceuta

Publié le 20 avril 2009 par Combatsdh

Témoignage d’un long voyage vers la terre promise

Je m’appelle Gurpreet Singh. Je suis né le 12 février 1983 à Kahma, dans la région du Panjab, en Inde. Je vivais avec mes parents et mes quatre sœurs ainées. Mon père travaillait dans l’armée et ma mère était femme au foyer. Nous avons toujours suivit la religion Sikh. Le village d’où je viens est un endroit très pauvre, dépendant de l’agriculture. Après avoir terminé mes études secondaires j’ai étudié le commerce à l’université de Banga. Peu après la fin de mes études, deux de mes sœurs sont décédées suite à une maladie du cœur et la dernière a perdu la vie dans un accident. Après cela je suis resté seul avec ma mère étant donné que mon père était souvent en déplacement avec l’armée (…)

(…) Après mes études j’ai cherché du travail sans relâche pendant un an et demi mais la région où je vivais est une région très difficile pour trouver du travail. La situation de ma famille devint très pénible parce que j’avais besoin de travail pour vivre et aider ma mère. Le seul travail qui se proposait à moi était l’agriculture mais je n’étais pas préparé pour ce travail si dur physiquement et je cherchais un travail qui convenait à mes études.

Peu à peu j’ai commencé à penser à la possibilité d’aller en Europe, car tous mes amis et mes connaissances me disaient qu’il y a avait du travail là-bas, que je pourrais aider ma famille et vivre dans la dignité. J’ai alors rencontré un homme de la mafia qui s’appelait Gill. Celui-ci me proposa de quitter l’Inde pour aller en Europe. Il me dit qu’il allait s’occuper de me faire un passeport et tout ce dont j’aurais besoin pour quitter le pays en direction de l’Europe si je lui payais 15000 Euros. Alors durant des mois j’ai essayé de réunir tout l’argent possible pour pouvoir partir : j’ai demandé des prêts à des amis, des banques, mes parents vendirent quelques terres qu’ils possédaient…Ensuite j’ai donné tout l’argent à Gill qui me donna le passeport et le visa. Il m’expliqua que j’allais d’abord voyager avec un groupe d’autres indiens jusqu’ à Ouagadougou, Burkina Faso, où nous resterions 2 ou 3 jours avant de continuer le voyage vers l’Europe.

J’ai quitté l’Inde le samedi 17 janvier 2004. Quand je suis arrivé à Ouagadougou, Gill disparu. Je l’attendis longtemps dans l’aéroport avec le groupe qui m’avait accompagné depuis l’Inde sans savoir que faire ni où aller. Je me sentais complètement perdu. Après des heures d’attente interminable, 3 hommes s’approchèrent et nous dirent que si nous leur donnions notre passeport et de l’argent, ils pourraient nous faire un visa pour continuer notre voyage vers l’Europe. Étant donné que nous étions désespérés, nous leur donnâmes tout ce qu’ils nous demandaient. Ils disparurent ensuite, emportant tous les passeports et notre argent. De cette façon commença mon long voyage, constamment manipulé et trompé par toutes sortes de mafias. En sortant de l’aéroport, la police m’arrêta et comme je ne disposais d’aucune documentation, ils m’interrogèrent pendant des heures, mais je ne parlais pas leur langue et je ne pouvais leur répondre. Les policiers devenaient de plus en plus violents et me frappèrent à plusieurs reprises. Ensuite ils me laissèrent en prison pendant deux semaines. Quand je sortis de la prison, très affaibli par le manque de nourriture, un groupe d’africains s’approcha de moi. Ils commencèrent à me menacer pour que je leur donne de l’argent mais comme je n’avais rien, ils me frappèrent et me laissèrent blessé dans la rue, sans rien ni personne pour m’aider. Durant les 6 mois pendant lesquels je restai au Burkina Faso, ma vie ressemblait à un match de tennis entre la police et les mafias. Quand j’échappais à l’un je tombais dans les mains de l’autre. Je n’avais aucun repos. De plus je ne pouvais pas travailler, je n’avais pas d’argent, aucun recours et la plupart du temps je souffrais de la faim.

Après de longs mois d’attente d’une solution, je décidai d’appeler mes parents pour leur demander de l’aide. Ils vendirent d’autres terres pour m’envoyer de l’argent afin que je puisse continuer mon voyage. A la fin du mois de juillet 2004 je payai alors une mafia pour qu’ils m’emmènent jusqu’au Mali, à Bamako. Là-bas, ma situation étant toujours illégale dans le pays, la police m’arrêta et j’eu droit à d’autres interrogatoires pendant lesquels les policiers devenaient furieux puisqu’ils ne me comprenaient pas, ils me frappèrent et me laissèrent une semaine en prison. A ma sortie de prison, ma situation ressemblait de nouveau à celle que j’avais vécue au Burkina Faso : étant donné que par mes traits et ma couleur de peau les mafias me voyaient comme un étranger, de nombreux mafieux me maltraitaient pour me réclamer de l’argent. Quand j’avais un peu d’argent je leur donnais pour être rapidement libéré mais quand je n’en avais pas, ils me frappaient et me maltraitaient au plus haut point et me laissaient gisant dans la rue.

Après 5 mois au Mali j’arrivai en décembre 2004 à Gao, la dernière ville du Mali avant le Sahara. Suivant un guide de la mafia, j’arrivai dans le désert, où un nombreux groupe d’immigrants de plusieurs pays attendait. En m’approchant au groupe je vis beaucoup de cadavres. Avec un groupe de plus ou moins 20 personnes j’attendis les ordres des hommes de la mafia qui allaient nous conduire à travers le désert. Pendant 8 mois j’attendis là-bas, supportant la chaleur des jours et le froid des nuits, protégé seulement par une bâche en plastique. La mafia nous laissait là sans nourriture, sans eau ni médicaments, ce qui provoqua de nombreuses morts dans le groupe. Les conditions de vie étaient inhumaines, ma vie ne tenait qu’à un fil et je voyais jour après jour des compagnons indiens s’évanouir, s’affaiblir et certains jusqu’à en mourir. Les hommes venaient de temps en temps nous apporter un peu de nourriture pour nous permettre de survivre mais nous étions tous dans une faiblesse extrême. Je me demandais si j’allais survivre à cet enfer quand un jour une fourgonnette arriva pour nous emmener plus loin dans le désert. Nous voyagions entassés, nous étions un groupe de 12 personnes dans un espace très réduit. Nous voyagions seulement pendant la nuit pour éviter les contrôles de la police. Pendant 2 semaines nous alternions la marche et le voyage en voiture dans les mêmes conditions de faim puisque les hommes de la mafia nous donnaient le minimum pour survivre. Pendant ce voyage, certains de mes compagnons ne purent continuer, succombant à la fatigue, la faim, la soif et la maladie.

Enfin nous arrivâmes à Tizaouati, la première ville en territoire algérien après le Sahara, c’était en août 2005. Nous continuâmes le voyage à travers l’Algérie, passant par Tamanrasset et Inchalah jusqu’à arriver à Ghardaia. Pendant la nuit, alors que nous attendions pour continuer le voyage, des policiers algériens arrivèrent et nous emmenèrent en prison où nous restâmes une semaine dans des conditions de vie barbares : nous avions le droit à un litre de lait et un pain par jour pour 7 personnes. Après cela la police nous déporta jusqu’à la prison de Inchalah, où nous restâmes encore une semaine dans les mêmes conditions dégradantes. Ensuite la police nous emmena jusqu’à la prison de Tamanrasset où nous restâmes 2 jours avant d’être déporté au Mali, nous obligeant à recommencer tout le voyage au travers du désert du Sahara. De nouveau je dépendais de la mafia pour continuer mon périple, avec les mêmes carences en eau et nourriture. Après un mois et demi de voyage je pus arriver de nouveau à Ghardaia, mais une fois de plus la police m’arrêta et me déporta de nouveau jusqu’au Mali, me forçant à recommencer désespérément le voyage infernal au travers du désert.

Je revins à Ghardaia après plus d’un mois de voyage épuisant. De là j’arrivai jusqu’à Maghnia, en passant premièrement par Uran et toujours dépendant des mafias. A Maghnia, je vivai pendant plus de 6 mois dans un campement improvisé avec d’autres immigrés pakistanais, bangladeshis et indiens. Nous vivions dans des conditions très dures, et de plus à 6 reprises la police algérienne vint et brûla les cartons, plastiques et tout ce qui nous servait de refuge. Pour empirer les choses, les relations avec les différentes mafias restaient toujours aussi dangereuses : des groupes venaient nous menacer et nous exiger de l’argent. Tous ces mois furent remplis d’angoisse, de menaces et violences, de faim et soif. Nous allions de maison en maison dans le village le plus proche pour mendier et de cette façon nous pouvions survivre.

En avril 2006 je pus réunir une petite quantité d’argent pour continuer mon voyage grâce à mes parents. J’arrivai jusqu’à Tanger, en passant par Nador et Rabat. De Tanger j’allai jusqu’à Castillejos, à la frontière entre le Maroc et Ceuta. Là-bas je vécu dans un autre campement improvisé dans la forêt construit de plastiques, cartons et tout ce que je pouvais récupérer. A deux reprises la police marocaines m’arrêta et me déporta jusqu’à Oujda, dans le désert qui sépare l’Algérie du Maroc. Je recommençai le voyage après chaque déportation pour arriver de nouveau à la frontière de Ceuta. Au total je restai 7 mois au Maroc, tardant des mois pour retourner à Castillejos, et espérant pendant des mois dans la forêt une possibilité de passer la frontière. J’arrivai à Ceuta en décembre 2006, caché dans une voiture.

En arrivant à Ceuta je pensais avoir atteint mon rêve mais j’appris vite que Ceuta n’était pas encore tout à fait l’Europe, et que le détroit de Gibraltar me séparait de la « grande Espagne ». Après des mois d’attente dans le CETI (Centre temporaire d’immigrants) je reçu un ordre d’expulsion du territoire espagnol, ainsi que mes compagnons venant de l’Inde. Nous avons été avertis par le président de la communauté Hindou de Ceuta que nous allions être déportés en Inde. Comme nous ne voulions absolument pas retourner à notre pays après plus de 2 ans de voyage rempli de souffrances et sacrifices, le 7 avril 2008 nous avons décidé de sortir du CETI pour aller vivre dans la forêt, où nous avons plus de chances de pouvoir fuir la police en cas de déportation, puisque dans le CETI nous sommes très contrôlés et qu’il est impossible de s’y enfuir. Maintenant le groupe que je représente vit depuis plus d’un an dans la forêt dans des conditions inhumaines. Nous avons beaucoup souffert pendant cet hiver ici à Ceuta. La pluie, le vent, le froid nous ont fait passé des nuits et des jours horribles, nous survivons grâce à la petite collaboration de gens de Ceuta que nous aidons pour se garer ou pour charger les commissions dans les grands magasins. Certains d’entre nous ont souffert de maladies, de piqûres d’insectes, de morsures de rats et d’autres de dépressions et angoisses. Nous vivons dans la peur de la venue de la police, ce qui voudrait dire pour nous que tout espoir d’une vie meilleure disparaîtrait. Si nous sommes déportés, nous aurons tout perdu en vain, toutes ces années de sacrifices (maintenant plus de 5 ans depuis mon départ de L’Inde) n’auront apporté que souffrance. C’est pour cette raison que nous demandons au gouvernement espagnol de revoir sa décision d’expulsion. Nous demandons qu’il porte un regard aux supplices vécus pour prendre une décision qui nous permettra de vivre enfin dans la dignité.

Merci pour votre attention à cette lettre,

Cordialement,

Gurpreet Singh, représentant du groupe des 54 indiens de la forêt de Ceuta.