C’est une exposition aérienne et pleine d’humour que le Centre Pompidou a organisée à ses 4ème et 6ème niveaux. Elle n’est pas pour autant dénuée de contenu, bien au contraire. Organisée autour du Cirque Calder, élaboré de 1926 à 1931, l’expo met en évidence l’importance de cette œuvre – performance, installation mais aussi fantaisie pleine de vie et de poésie – dans la constitution de l’originalité artistique de Calder.
Portrait de Calder avec le cirque par Kertész, 1929, copyright Ministère de la Culture-France/Dist.Rmn/visuel presse/Art Resource, NY
Le Cirque apparaît comme un développement en trois dimensions des dessins de scènes de cirque qu’Alexandre Calder publiait dans les journaux américains. On y retrouve cette veine caricaturiste, également présente dans ses dessins d’animaux des zoos de New York, cette réduction des personnages à quelques éléments significatifs qui permettent de les reconnaître. Monsieur loyal porte son chapeau haut-de-forme et sa cape doublée d’un tissu rouge, l’éléphant a une longue trompe en plastique, la danseuse du ventre un soutien-gorge orné de brillants.
Cirque Calder : Clown avec chameau et kangourou, Prima Donna et écuyère, Fanni la danseuse du ventre, photo Sheldan C. Collins (copyright Whitney Museum of American Art, NY)
Rien ne manque dans le « plus petit cirque du monde » où tout est fait avec trois fois rien, des matériaux de pacotille dont seuls les enfants savent tirer parti. Un teckel en caoutchouc, un kangourou en pince à linge. Pour donner forme et vie à ses bouts de chiffons, bouchons de liège et morceaux de bois, le magicien Sandy utilise de la ficelle, des ressorts, et souvent du fil de fer.
Grâce à son ingéniosité, la pauvreté des matériaux s’efface devant l’écuyère, le dompteur ou le lion.
Le fer devient le matériau de prédilection de Calder, peut-être parce qu’il crée un pont entre dessin et sculpture. Même économie de moyens pour créer un espace avec quelques traits de crayon ou de fer, même rapidité d’exécution. Le petit film qui montre Calder réalisant le portait de Kiki de Montparnasse (1929) est très instructif : armé d’une pince et d’un rouleau de fil, il monte une armature de fer en quelques minutes, qui ressemble au modèle comme un portrait-charge. Le long nez pointu de Kiki, qui fascinait Calder, surgit à l’extrémité du visage, tirant sa petite bouche pincée vers l’avant.
Josephine Baker IV, Danse, 1929, Centre Pompidou, Mnam, copyright Cnac/Mnam
Mais rapidité ne signifie pas facilité. L’apparente simplicité et l’aspect ludique des animaux que Calder croque, des portraits de ses amis, cachent la maîtrise d’un art d’ingénieur. Art spontané certes, mais exigeant un savoir-faire précis. A la différence de Tatline et de ses « contre-reliefs », aucune des figures ou têtes en fil de fer de Calder ne sent l’ingénieur. Ses mobiles, baptisés ainsi par Duchamp, conserveront cette aisance où l’étude semble absente. Une œuvre comme Cône d’ébène (1933) met en évidence cette impression d’art qui cache l’art : l’équilibre entre les trois masses paraît avoir été atteint par tâtonnements, par pesées successives sur les plateaux d’une balance d’enfant.
Cône d'ébène, 1933, NY, Calder Foundation (copyright Calder Foundation)
Au lieu de sculpter la matière – marbre, bois, terre, …– Calder sculpte le vide, le rien. Si cette démarche fait à première vue écho à celle de Picasso, initié par Julio Gonzalez au travail du fer et à la soudure autogène, notamment à son projet de monument à Apollinaire (1928), elle semble plus radicale encore, par la légèreté de l’œuvre, dépourvue de soudure et suspendue par un fil au plafond.
Le concept de sculpture est totalement renouvelé : il devient conciliable à la fois avec le vide et le mouvement.
Le fer permet de rompre avec la définition de la sculpture comme espace plein en introduisant le vide en son sein. Dès lors, la sculpture ne s’oppose plus à l’espace, mais l’intègre et lui donne forme. Les figures et les mobiles de Calder vont encore plus loin que le projet de monument à Apollinaire. En concevant des sculptures qui bougent, « mobiles » au sens premier du terme, Calder fait interagir ses sculptures avec l’espace, au point de brouiller la frontière qui les sépare.
Mobile (1933) et Sphérique III (1931) photographiés par Marc Vaux (copyright Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, fonds Marc Vaux)
La sculpture se trouve rajeunie par des œuvres aussi légères qu’un vol de papillon, qui sculptent l’espace qui les entoure au gré des caprices des courants d’air. Car comme le disait Calder : « Un mobile c’est comme un employé de la fourrière pour le vent. Comme un employé de la fourrière attrape n’importe quel chien, le mobile attrape n’importe quel vent, qu’il soit bon ou mauvais. »