Du temps où je présentais une rubrique intitulée « Sortir » dans le dernier journal de France 2, j'allais beaucoup au théâtre. J'ai pu, grâce à mon ancien employeur, entrer dans un monde que je connaissais mal mais qui m'a toujours beaucoup attiré, probablement parce qu'enfant je me souviens avoir vu des pièces de Shakespeare en anglais mais avec des sous-titres français. Pièces auxquelles, bien entendu, je ne comprenais rien mais dont l'atmosphère devait m'effrayer. Et on sait combien les bambins aiment avoir des frissons.
Étudiant, je n'allais pas davantage au théâtre mais je me souviens toutefois avoir vu à Paris Le chemin solitaire d'Arthur Schnitzler, mis en scène par Luc Bondy. Comédiens – excusez du peu - : Didier Sandre, André Dussolier, Laurent Grévill, Bulle Ogier. Jamais je n'oublierai Didier Sandre interprétant von Sala, avec ses lunettes aux verres rouges. Jamais je n'oublierai cet aspect maladif qu'il dégageait alors sur scène – il en sera d'ailleurs question dans l'interview qu'il m'a accordé -.
Plus tard donc, alors que je travaillais pour la deuxième chaîne de télévision française, mon rédacteur en chef m'envoya à Gennevilliers assister à Sladek, soldat de l'armée noire de Horváth avec, comme interprète, Jérôme Kircher. Là encore, la prestation m'avait époustouflé. On y voyait un homme rongé de l'intérieur totalement absorbé par ses tourments, totalement prisonnier de son corps. Du grand art là aussi !
Imaginez donc quelle ne fut pas ma surprise lorsque j'ai découvert, sur un agenda culturel parisien, que Didier Sandre et Jérôme Kircher se retrouvaient côte-à-côte sur scène dans La Cerisaie de Tchékhov, mis en scène par Alain Françon. Lequel, avec cette pièce, tire sa révérence du théâtre National de la Colline.
Alain Françon s'est fié aux indications contenues dans le cahier de régie de Constantin Stanislavski qui, comme vous pouvez le voir ci-dessous, signa la première mise en scène de La Cerisaie
Il ne fallait donc pas manquer ce rendez-vous parisien. Je ne l'ai pas manqué. Et le résultat fut, comme je m'y attendais, bouleversant. Bouleversant, oui, grâce au jeu des acteurs qui offrent un spectacle magnifique. J'avoue m'être surpris à rire, là où j'avais le souvenir d'une pièce uniquement grave – ce que démentira d'ailleurs Jérôme Kircher dans l'interview qu'il m'a accordé lui aussi -. Surpris aussi de ne constater aucun temps mort – le spectacle dure plus de deux heures -. Certains metteurs en scène aiment parler de la mécanique de Feydeau. Mais n'y a-t-il pas là aussi, avec Tchékhov, une mécanique extrêmement bien huilée et merveilleusement bien servie par le travail d'Alain Françon ?
Le rire succède aux larmes. Et c'est en ressentant tout cela que le spectateur est vraiment dans le monde russe. Quiconque est déjà allé dans ce pays sait de quoi je parle. Il faut donc rendre grâce à cette équipe d'avoir réussi ce pari audacieux. En un mot: une splendeur.
A suivre...