À la fin de ce siècle, et sans doute au-delà, on débâtera encore sur l’origine, les raisons et les responsables de la présente crise économique mondiale. De même qu’on continue à le faire concernant celle dite de 1929, il y a déjà 80 ans…
Pour ma part, il me semble que les facteurs monétaires « au sens large » - comme on dit à la BCE, c’est dire incluant la monnaie proprement dite et l’ensemble des moyens de paiement, en particuliers tous les encours bancaires – sont très souvent négligés et presque toujours sous-estimés.
Car il n’y aurait certainement pas eu de bulle immobilière, comme avant celle dite de l’Internet, sans un laxisme monétaire généralisé, se traduisant par une croissance de l’émission de monnaie par les banques centrales deux à trois fois supérieure à celle de l’économie réelle, alimentant une distribution de crédits représentant une part de plus en plus importante du PNB, et un multiple de plus en plus élevé des fonds propres des établissements financiers.
Toutes les déviances aujourd’hui dénoncées en découlent : rôle des agences de notations, titrisation, salaires des dirigeants…
Pour autant, désigner du doigt Alan Greenspan ou Jean-claude Trichet, et dénoncer leurs malfaisances, souvent après leur avoir trouvé du génie, voire même des talents de « magicien », est une façon de voir les choses par le petit bout de la lorgnette.
La vérité est qu’une bonne politique monétaire est tout simplement impossible. Il s’agit en fait d’une alliance de mots, ou oxymore, comme « une bonne planification », une « politique agricole » une « politique des revenus », un bon « dirigisme », un bon « interventionnisme ». Comme le reconnaissait, il y a quelques jours, à l’occasion d’un débat public de haut niveau, un universitaire fameux, « ce qu’il aurait fallu faire, ce qu’il faut faire, ce qu’il faudrait faire, mais personne n’en sait rien !… ».
C’est la raison principale pour laquelle la politique monétaire doit relever d’une règle fixe et contraignante, échappant à l’influence des politiciens, qui ne peut être que celle de l’étalon-or.
Certaines belles âmes pouvaient jusqu’hier s’imaginer que la Banque centrale européenne, avec son objectif statutaire d’une hausse des prix limitée à 2%, avait trouvé la panacée. Mais aujourd’hui, quand nous sommes en déflation, avec à moyen terme des risques d’hyper-inflation, cette sagesse apparaît pour ce qu’elle est : parfaitement surannée et irréelle. Tout autant que le mythe, aujourd’hui en éclats, de son indépendance…
Loin d’être un progrès, la démonétisation de l’or, arrivée à son terme en 1971, avec la fin du Gold Exchange standard, et la non convertibilité du dollar, ont été en vérité des éléments importants, précurseurs de cette crise.
On a déjà observé, ici même, que ce sont les Etats, et donc les hommes politiques, qui ont été les premiers bénéficiaires de ce nouveau système monétaire. C’est grâce à lui qu’ils peuvent d’endetter, et payer à crédit - - c’est-à-dire sur le compte de nos enfants et petits-enfants - leurs dépenses presque toujours démagogiques.
On est surpris que cette « nouvelle politique monétaire », que nous voyons échouer sous nos yeux, comme nous avons d’ailleurs vu échouer toutes les politiques publiques, dans tous les domaines sans exception, n’ait pas fait l’objet plus souvent et plus fortement de critiques de différentes sortes.
Je pense que la raison de cette bienveillance, ou au moins cette tolérance, à l’égard d’une « politique monétaire » funeste, inepte et mortifère, tient au fait suivant : cette politique s’inscrit parfaitement dans un contexte de déresponsabilisation des individus, de mutualisation des risques, du développement de ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler « l’alea moral », expression en passe d’accéder à la notoriété mondiale…
Il s’agit de la traduction de l’expression anglaise « moral hazard »
J’ai trouvé la définition simple suivante de la chose : « l’aléa moral est la possibilité qu’un assuré augmente sa prise de risque, par rapport à la situation où il supporterait entièrement les conséquences d’un sinistre. L’assuré détermine son niveau d’effort pour éviter le risque, en tenant compte du fait qu’il est assuré, et ce niveau d’effort dépend du niveau d’indemnisation. Par exemple un armateur assuré peut choisir un navire en plus mauvais état, un agriculteur indemnisé si sa récolte est faible peut négliger ses cultures, un assuré social peut augmenter ses pratiques à risques (assurance santé) ou réduire ses efforts pour trouver du travail (assurance-chômage)…Plus généralement et par extension, on appelle aussi aléa moral toute modification du comportement d’un co-contractant contraire aux intérêts des autres parties au contrat, par rapport à la situation qui prévalait avant la conclusion du contrat (exemple dégradation du travail d’un employé après la fin d’une période d’essai, modification du, comportement d’un époux après le mariage… » (http://cathedrale16.over-blog.com/article-24199532-6.html)
Les applications de ce concept aux origines de la crise sont faciles à établir : les banquiers auraient été plus prudents s’ils avaient engagé leurs fonds propres, les traders auraient pris moins de risques s’ils avaient partagé les pertes, les agences de notation auraient été plus scrupuleuses si elles avaient pu être appelées en garantie…
Mais il faut bien voir que cette tendance à l’irresponsabilité individuelle généralisée est une vague de fonds dont les prémisses, fort anciennes, sont à l’œuvre, à grande échelle, depuis le début du XIXe siècle. Déjà, dans les années 1830, Frédéric Bastiat, voyant apparaître les premières sociétés de secours mutuel, avertissait : « Le jour où les citoyens diraient : nous nous cotisons pour venir en aide à ceux qui ne peuvent travailler ou ne trouvent pas d’ouvrage, il serait à craindre… que bientôt les laborieux ne fussent réduits à être les dupes des paresseux ». On aimerait bien savoir ce qu’il penserait aujourd’hui de notre mutualisation à outrance…. Il y verrait, n’en doutons pas, la cause principale de la crise économique actuelle….
On prétend souvent que la solidarité, la redistribution, la réduction des inégalités constituent non seulement des valeurs républicaines (?) mais seraient aussi des facteurs de progrès. Bastiat pensait exactement le contraire : « Si chacun jouissait du libre exercice de ses facultés et de la libre disposition de leurs produits, le progrès social serait incessant, ininterrompu, infaillible… .Là où les citoyens comptent trop sur les autorités, ils finissent par ne pas assez compter sur eux-mêmes, et la cause la plus efficace du progrès en est neutralisée ».
Résumons-nous : La crise actuelle résulte principalement d’une bulle financière, issue d’une politique monétaire dont la bonne gouvernance est strictement impossible… Elle s’inscrit dans un processus séculaire où le comportement des individus, de la base au sommet de toutes les hiérarchies, a été modifié dans le sens de l’irresponsabilité, du fait de la modification de l’aléa moral résultant d’un mouvement constant de socialisation.
Si cette analyse est exacte, on remarquera pour finir que quand les pouvoirs publics, pour maintenir le système en vie, décident de sauver les banques, de sauver les Etats impécunieux, et demain les autres, ils ne font rien d’autre que de pervertir un peu plus cet aléa moral. Il ajoute de l’irresponsabilité à l’irresponsabilité !
On me dira qu’ils le font pour sauver le capitalisme. Mais celui-ci, dans la forme pervertie et immorale où il est arrivé, ne doit certainement pas l’être ! Ce qui doit l’être, c’est la dignité et la souveraineté des individus. La liberté d’entreprendre qui en résulte. Le marché autorégulé qui en découle…
Qui ne voit pas la nouvelle et frappante convergence entre le capitalisme d’Etat qui s’installe en Occident et le communisme capitaliste qui prospère en Orient ?
Tous ceux qui approuvent, dans leurs grandes lignes, les plans de relance (sic !) à la sauce Obama-Sarkozy auront bien mérité de ce capitalisme, inéluctable antichambre du communisme, selon Karl Marx…
La citation du jour : « L’Afrique est le continent de l’avenir ! » (Rama Yade)