Veronoka et son amoureux Boris tardent à se séparer. Au-dessus d'eux, dans la ville de Moscou, passe un vol de cigognes. La guerre est déclarée. Contre l'avis des siens, et malgré la peine qu'il inflige à celle qu'il aime, Boris a décidé d'être volontaire et de rejoindre le front. Il mourra sans que ses proches en soient informés. Ayant perdu ses parents, au cours d'un bombardement, Veronika s'est installée dans la famille de Boris où elle finit par céder aux avances pressantes de Mark, le frère de ce dernier. Elle l'épouse, mais en conçoit immédiatement le plus vif remords. Arrive la victoire. Veronika est sur la quai avec un bouquet, mais Boris ne descendra pas du train, et la jeune femme, le coeur brisé, distribuera les fleurs destinées à son bien-aimé aux soldats de retour.
Echevelé, pathétique, douloureux, Quand passent les cigognes ( 1957 ) est peut-être le film le plus romantique jamais tourné. Chose d'autant plus étonnante que cette merveille de sensibilité nous vient d'URSS, dont le cinéma d'alors était au service du pouvoir, niant l'individu, en tant que tel, au profit du groupe. Un film, comme celui-ci, rompait par conséquent avec l'art de la propagande qui avait été imposé par le régime et, bien entendu, le point de vue officiel était loin de concorder avec le vécu du peuple russe. Les metteurs en scène se voyaient dans l'obligation d'insister sur le rôle positif de la révolution d'octobre, de la collectivisation des terres et de la planification économique. Si bien que les scénarios avaient tous pour point commun de chanter les louanges du camarade Staline.
Le tour de force de Mikhail Kalatozov sera de ne pas céder à ce chantage et de décrire le destin d'une femme complexe, renouant avec le concept de la personne humaine. Un souffle épique traverse son long métrage qui est d'autant plus exceptionnel que réalisé dans une période troublée et un contexte difficile pour les artistes. Mais le petit père Khrouchtchev était passé par là et ce film est le symbole du dégel qui régna un moment de l'autre côté du rideau de fer...L'auteur nous conte ainsi, et avec quel talent ! l'histoire d'une tragédie individuelle vécue sur fond de convulsions historiques, histoire banale à prime abord, puisque celle d'un jeune soldat qui ne reviendra jamais au bercail, mais comme transfigurée par un mouvement de caméra irrésistible et une mise en scène efficace et dépouillée. On n'en finirait pas de citer les scènes marquantes qui rythment ce film et ne nous laissent pas un instant inattentifs ou distraits : les adieux manqués, les bombardements, la mort de Boris qui, dans une dernière vision, aperçoit Veronika en robe de mariée et, surtout, la poignante scène finale d'un lyrisme rarement égalé.
Pour parvenir à cette perfection, Kalatozov a pris soin de réunir autour de lui une équipe performante : tout d'abord, un directeur de la photographie virtuose S. Ouroussevsky et une actrice idéale dans le rôle de Veronika, l'adorable et délicate Tatiana Samoïlova, d'un naturel plein de grâce et de sensibilité. Pour l'époque, les prouesses techniques laissent pantois. La caméra virevolte en des travellings inattendus, des cadrages savants, des profondeurs de champ subtils et ce déluge de technique, loin de nuire à l'émotion, ne fait que la renforcer. Un film qui fut salué à Cannes par la Palme d'Or en 1958 et que l'on ne peut oublier, parce qu'il a réussi ce petit miracle de savoir toucher et surprendre. On le revoit avec le même plaisir et le même pincement au coeur, tellement tout y vrai, universel, finement exprimé, et l'on se dit que, décidément, les chefs-d'oeuvre ont cela de particulier : d'inspirer, en permanence, la surprise et l'étonnement.