Le Conseil d’État [1], véritable juge suprême du contentieux administratif, institution léguée par la révolution française, dans ses deux fonctions essentielles, consultative et contentieuse, « veille à préserver l’intérêt général et l’efficacité de l’action l’administrative tout en protégeant au mieux les droits des citoyens »[2]. C’est exactement ce qu’il vient de faire par le truchement de sa section du contentieux qui vient de rendre une décision remarquable en annulant « les résultats du concours interne de la police nationale du fait d’une distinction opérée par le jury en raison de l’origine du candidat et de ses opinions religieuses ». En quelques considérant liminaires et limpides qui composent cette décision, le juge de l’excès de pouvoir vient de rappeler à la mémoire de l’administration son obligation absolue de point discriminer.
Faisant preuve de pugnacité, après avoir saisi la Haute autorité de lutte contre les discrimination et pour l’égalité (Halde), un candidat au concours interne d’officier de la police nationale a obtenu une décision tout à fait favorable de la part du Conseil d’État. Le juge du contentieux administratif vient en effet de prononcer l’annulation de la délibération du jury qui l’avait écarté en lui attribuant une note éliminatoire, l’administré lésé arguant notamment qu’il avait fait l’objet de discrimination lors de l’épreuve orale. Ce concourant, plus que malchanceux, ayant fait l’objet durant cette épreuve de questions particulièrement déplacées de la part du jury – pourtant présidé par le préfet à l’inspection générale de l’administration - puisqu’ayant trait à ses origines, ses convictions religieuses, sans omettre de le questionner dans le même sens quant à son épouse. Selon le rapporteur du Conseil d’État (contacté par Le Monde.fr), voici un petit florilège des questions « dont il n’est pas sérieusement contesté par l’administration qu’elles aient été posées » par le jury de ce concours: « est-ce que vous faites le ramadan? »; « est-ce que votre femme porte le voile? »; « retournez-vous souvent au Maroc? »; « ne trouvez-vous pas bizarre que ce gouvernement de la France avec des ministres arabes ait un président à moitié hongrois? » (nul doute que le chef de l’État appréciera la pertinence de cette interrogation). Ainsi, chacun pourra convenir de l’acuité et de l’intérêt des sujets abordés par les membres du jury. Dés lors, on comprendra que dans le considérant central de cette décision, et après avoir rappelé l’article 11 de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations [3], les magistrats du Conseil d’État aient estimé que les questions posées « sont étrangères aux critères permettant au jury d’apprécier l’aptitude d’un candidat, sont constitutives de lune des distinctions directes ou indirectes prohibées par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 et révèlent une méconnaissance du principe d’égal accès aux emplois publics… ». Ainsi, les sages magistrats de décider l’annulation de la délibération du 5 octobre 2007 (article 3 de la décision du 10 avril 2009) rendue par le jury du concours interne d’officier de la police nationale, tout en attribuant au demandeur la somme de 3000 euros au titre du remboursement des frais engagés par ce dernier (article 4 de la décision). Outre cette somme, le candidat pourra aussi demander une compensation financière à l’administration en réparation du préjudice subi du fait de l’illégalité commise par la puissance publique. Par contre, l’intéressé devra toutefois se représenter au concours d’officier de police (avec l’obligation ou pas de passer toutes les épreuves), Michèle Alliot- Marie indiquant que l’administration ferait cas de la décision rendue par la juridiction administrative suprême. Visiblement embarrassée par ce sujet, en adoptant la posture du sophiste, sans toutefois avoir l’éloquence des antiques contradicteurs, notre ministre chercha toutefois a se dédouaner en invoquant le fait que la diversité était largement répandue dans les rangs de la police nationale, comme si cela excluait de fait toute discrimination au sein de cette administration.
A l’instar de l’avocat du requérant, on ne peut que souhaiter que cette décision fasse jurisprudence afin que cela puisse ouvrir plus largement le champ des possibles aux administrés lésés dans leurs droits, notamment en matière de recrutement dans la fonction publique. Si les discriminations à l’embauche existent largement dans la sphère du secteur privé, et demeurent insupportables dans un État qui se veut de droit, il va s’en dire que ce genre de pratiques, lorsqu’elles sévissent dans le domaine de la fonction publique, prennent un relief d’autant plus aigu. C’est à ce titre que la décision qui vient d’être rendue par le Conseil d’État prend une dimension exemplaire en rappelant la norme à une administration qui se doit pourtant d’être irréprochable dans cette matière. Encore une fois, à travers cette décision sans ambiguïté, le juge administratif suprême vient d’assumer parfaitement son rôle de maintien de l’équilibre nécessaire entre les prérogatives de puissance publique [4] et les droits des citoyens. C’est donc à juste titre que l’institution rappelle dans son rapport public de 2008 [2] « qu’il n’a pas cessé de renforcer la soumission de l’administration au droit et, par conséquent, la protection des citoyens ».
S’il est bien plus fréquent de dénoncer soit les dysfonctionnements, soit les dérives de nos instances juridiques, il ne faut pas se priver de souligner avec force les aspects positifs d’un système qui peut aussi avoir nombre de mérites. Cela permet notamment d’affirmer que les justiciables que nous sommes évoluent au sein d’un État de droit, même s’il va sans dire que ce dernier est loin d’être en tous points irréprochable, notamment en matière de discriminations [5].
[1] Site du Conseil d’État
[2] Rapport public 2008
[3] Loi du 16 novembre 2001 relative aux discriminations
[4] La notion de puissance publique
[5] Quelques éléments sur les discriminations en France