Le Story telling est-il en train de devenir la nouvelle forme d'expression littéraire ? Le roman va-t-il subir le même sort que la poésie, soit devenir un art mineur ?
La prose comme nouveau moyen d'expressions. Première libération du cadre. Fini les césures, les comptes en pied, les hiatus, les rimes riches, croisées...etc. Le sujet objet devient l'Homme et ses sentiments, ses passions, ses contradictions. En tant qu'être seul ou composant d'une multitude. En fait, c'est souvent la résultante de l'Homme qui importe. Ce qu'il est en lui (psychologie) ou ce qu'il réalise. Le roman c'est l'art de l'Homme en action, dans sa quête du sens. Y compris pour des auteurs (Beckett par exemple) concluant que le sens n'existe pas, ce qui n'empêche pas la démarche de la quête.
Le Story telling, discipline apparue récemment, nous raconte l'Homme en situation. C'est le story telling qui nous pousse à croire un rédacteur d'avis, de blogs, d'analyses ; qui nous pousse à vouloir échanger et partager avec lui. Le story telling ne fonctionne toutefois pas au travers d'un support unique (éclatement physique sur différents supports), ou d'une continuité temporelle (éclatement de la linéarité). C'est au travers de ce que nous le percevons en tant qu'être, que nous acceptons de croire à son histoire. Comme dans toute création artistique, il y a des joyaux et des navets. N'en déplaise à ceux qui dénoncent cette lubie des classements. Cela a toujours existé. Relisez Apollinaire qui décernait (manifeste de 1913) des "roses" et des "merdes". C'était autrement plus classe et poétique, et sûrement plus couillu, que de se contenter de décerner des positions comme le font nos classificateurs acculturés actuels. A leur décharge, il se targue de ne manipuler que des bits...
Dans le roman, les héros n'ont quasiment jamais d'enfants. le héros se suffit à lui-même. Une progéniture serait le risque de se diluer (perpétuer) dans le temps. C'est en ce sens que l'on peut dire que le story telling est une nouvelle étape dans l'assouplissement des règles. En contrepartie, le story telling doit intégrer un réalisme qui fait perdre la romance, sans l'éliminer pour autant. Le roman est ce qui permet d'exprimer l'indicible. Il permet de mâtiner le récit de ce vernis poétique qui permet de représenter la réalité.
Le côté obscur de ce type d'exercice est que la matière est encore plus simple que la prose, et c'est là qu'interviennent les entreprises qui veulent nous raconter les aventures auxquelles elles rêvent. A qui Appoliniare décernerait sans hésitation aucune une merde... Ces êtres vivent des aventures qui correspondent au client idéal, ou modèle. Malheureusement, ce que nous perdons au passage, c'est cette dimension métaphysique du personnage. Même lorsqu'on nous présente le protagoniste : "Sylvie, 32 ans, mère de 2 enfants se demande comment faire de chaque goûter un moment de fête tout en apportant l'équilibre nutritionnel nécessaire à la croissance de ses enfants...", finalement on ne sait rien de Sylvie, ses passions, ses doutes, la manière dont elle aime se faire prendre, ses vices et ses vertus ; son existence en tant qu'être en quête existentielle. Pour le coup, c'est tellement factuel que cela ne peut être vrai. Ce qui fait défaut bien souvent à l'exercice de story telling pratiqué par les marchands du temps, c'est l'absence de la couche romanesque, renforcé par le vernis poétique.
Conclusion 1 : En fait, si l'on considère donc le story telling comme une nouvelle évolution de l'expression culturelle, on conseillera aux entreprises de ne pas y aller elles-mêmes. Proposez leur de faire une sculpture, elles comprendront vite leur incompétence. Cela ne signifie pas pour autant que l'entreprise n'a pas un rôle de mécène à supporter et valoriser cette nouvelle forme d'expressions.
Conclusion 2 (en forme de digression) : Si l'on voulait s'amuser à commettre un acte révolutionnaire, on inventerait un système où l'on s'exprimerait en alexandrin, soit douze pieds, soit approximativement 45 caractères. Pas plus, pas moins non plus.
sur les longues avenues marchandes, Sylvie (45 caractères)
s'interrogeait sur l'apport nutritionnel qu'elle
devrait à ses deux enfants, offrir comme son sein.
On en était pas loin avec Twitter, mais 140 caractères, c'est franchement trop long pour faire du story telling de qualité.