Note : 9/10
Je ne connaissais pas du tout l’œuvre (pourtant déjà importante) de l’Ecossaise Kate Atkinson avant que l’on m’offre A quand les bonnes nouvelles ?, son dernier roman paru fin 2008 aux éditions de Fallois.
La lecture de ce livre m’a emballé, tant il est vrai que le style est alerte et que l’intrigue se tient plus que bien. Encore une fois, la vivacité narrative et stylistique du roman anglo-saxon saute aux yeux, surtout comparée à la relative vacuité d’une grande partie de la littérature française.
Je ne sais trop ce que contiennent les autres romans de Kate Atkinson, en tous cas A quand les bonnes nouvelles ? a l’art de mélanger avec virtuosité plusieurs éléments que j’aime en littérature.
-- Tout d’abord, A quand les bonnes nouvelles ? est bâti sur de très fortes oppositions : le ton oscille entre ironie, sarcasme, érudition, émotion, élégie, suspense, autant d’éléments qui pourraient donner le sentiment d’un livre patchwork et déséquilibré. Or le roman est tout sauf cela car Kate Atkinson parvient à lier ensemble, magie du style, toute cette palette pour former une cohérence et une réussite que pas mal d’écrivains devraient lui envier. Déceler un zeste d’influence sternienne dans ce méli-mélo brillant et tragi-comique serait tentant, je vais d’ailleurs m’y risquer et franchir le pas.
-- Ensuite, A quand les bonnes nouvelles ? se positionne aussi, malgré sa volonté (pleinement réussie) de proposer une histoire et un style forts et immédiatement compréhensibles, dans les enjeux postmodernes. Le livre est en effet truffé de références et de clins d’œil, à la fois aux très grands romans anglais (Dickens, Austen et tant d’autres sont ainsi convoqués) mais aussi à l’une des formes populaires qui ont fait les belles heures de la littérature britannique : le roman policier (Agatha Christie en tête).
A quand les bonnes nouvelles ? s’ouvre effectivement sur un crime abominable, qui répand dès les premières pages une atmosphère de mal et de poison. Le drame épouvantable fait ensuite l’objet d’une gigantesque ellipse temporelle puisque le chapitre suivant (et tout le reste du roman) se situe trente ans plus tard. Tout l’enjeu du livre est alors de recomposer les morceaux du puzzle.
Et pourtant, rien ne serait plus faux qu’affirmer que A quand les bonnes nouvelles ? est un roman policier. Il n’en est en effet qu’une espèce de parodie du genre, ses personnages étant plutôt ballottés et baladés que réellement "tireurs de ficelles".
-- Toujours à l’aise avec ce jeu sur les grand topoï littéraires, Kate Atkinson utilise la grande figure tutélaire de l’orphelin pour camper deux des héroïnes principales de son roman, Joanna et Reggie. L’une et l’autre se répondent en écho, ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Joanna a, en quelque sorte, "adopté" Reggie avant même que le destin ne les lie encore un peu plus. Comment survivre après de lourdes pertes, comment combler le vide et la solitude, telles sont les grandes questions qui hantent les personnages paumés de A quand les bonnes nouvelles ?
On touche ici à l’une des grandes qualités de Kate Atkinson : savoir créer et faire vivre des personnages littéraires. Le roman est ainsi truffé de galeries de portraits, tous plus drôles, impitoyables, touchants, attachants les uns que les autres. Dans la catégorie "second rôle", la palme irait peut-être à Ms MacDonald, une vieille femme qui va connaître une fin tragique mais qui donne lieu à l’un des morceaux de bravoure du roman, le sublime chapitre "Satis House", bijou d’ironie, de cruauté, de précision.
-- Mais c’est véritablement la construction du roman, où chaque chapitre se focalise plus particulièrement sur un personnage, faisant petit à petit monter une pression qui va évidemment s’achever en climax, faisant petit à petit se rejoindre des destins qui sont jusqu’alors séparés, c’est donc cette construction en contrepoint qui fait la principale force de l’art romanesque de Kate Atkinson.
Comme en plus l’Ecossaise parvient à mêler à cette puissance narrative des considérations d’ordre moral et existentiel (dans la plus pure tradition britannique), qu’elle joue sur les oppositions et les manichéismes pour mieux les dépasser, qu’elle est intelligente et pétrie de références sans pour autant jamais sombrer dans l’érudition ou la fatuité, je ne vois pas ce qui peut encore être ajouté pour prouver au lecteur que A quand les bonnes nouvelles ? est un excellent livre qui surpasse largement le grand magma de la production actuelle.