voir la BA...
Western psychologique et contemplatif, c'est l'histoire d'une relation complexe et ambiguë entre deux hommes, une relation de dominant/dominé, presque amoureuse, l'affrontement western est là mais quel chemin parcouru depuis John Wayne...
Le "lâche Robert Ford" est présent depuis le début du film après un monologue en voix off sur la figure de Jesse James (le générique n'existe qu'à la fin du film). Les frères James, Frank (Sam Shepard, top acteur) et Jesse (Brad Pitt) préparent l'attaque d'un train la nuit : ayant perdu la plupart de leur coéquipiers, ils ont engagé des types trop jeunes pas aguerris qui vont les conduire à leur perte dans une certaine mesure... Dans la forêt, la bande campe et surveille l'arrivée du train quand Bob Ford tente de vendre son courage et ses talents à Franck James, le frère aîné, qui le rabroue, il n'a pas le profil... Tout est dit...
L'attaque du train est un grand moment dans le film : préoccupé de réalité, le réalisateur casse tout de suite les codes du western classique, bien qu'il cède à la tentation de filmer la silhouette de Jesse James, le cow-boy, en ombre chinoise : et encore sa botte sur les rails, son oreille collée sontre ce rail dont tout le monde sait que ça apprend que le train va arriver... Les gravillons sur la voie tressautent, le train approche, la lumière de la locomotive jaillissant dans le noir... On va voir ce qu'on ne montre jamais dans les westerns : l'incursion de la bande de Jesse James à l'intérieur du train, le wagon privé avec le coffre-fort et les wagons populaires avec les gens entassés, les enfants couchés dans les filets à bagages. Une violence non aseptisée, anti-héroïque, les frères James ont un foulard sur le bas du visage, les autres un masque de fortune en drap blanc, fantômes fantoches, faux gangsters fauchés sans rigueur basculant dans la violence gratuite, l'opération tourne mal et Jesse James n'est pas de reste : première démonstration des vagues de cruauté de l'homme, submergé par des mauvaises pulsions, il maltraite l'employé du coffre-fort, plus tard, il coupe la tête des serpents qu'il élève...
Non seulement, les relations entre Jesse James et Bob Ford sont le nœud du récit, mais elles préfigurent les rapports pervertis dans la société actuelle avec le culte de la célébrité. A la fin de sa vie, Jesse James, diminué physiquement, en proie à des crises psychotiques, pourchassé à vie, déménageant sans cesse, n’en peut plus. Dans la scène de l’assassinat de Jesse James, tout est mis en scène pour que spectateur comprenne que Jesse demande à Bob Ford de le tuer (propos de Jesse James auparavant qui, perclus de maladies, dit que du ciel on ne regrettera pas son corps sur terre, etc…) Il se désarme pour aller essuyer la poussière d’un tableau… Misfit entre les deux hommes : obnubilé par la peur d’être démasqué comme un traître, Bob Ford va lui tirer dans le dos pour bien d’autres raisons que de répondre à l’appel de Jesse…
Fasciné par la célébrité de Jesse James dont il collectionne les coupures de presse de l’époque, Bob Ford est parvenu à forcer son intimité. Mais cela ne lui suffit pas, comprenant enfin qu’il n’aura jamais l’étoffe d’un nouveau Jesse James, il tente l’impossible : devenir le surhomme qui a vaincu Jesse James… La scène clé est au milieu du film, Jesse James dit à Bob Ford «je n’arrive pas à te cerner, tu veux être comme moi ou tu veux être moi?» N’ayant réussi à n’être ni l’un ni l’autre, Bob Ford s’illusionne qu’il va être le tombeur de Jesse James, le justicier célébré dans toute l’Amérique pour avoir débarrassé le pays de cette vermine… Il n’en sera rien, on fera de Jesse James un mythe et Robert Ford sera détesté avant d’être complètement oublié… Car, si Bob Ford a compris avant tout le monde tout le bénéfice d’être célèbre, quelque qu’en soit la raison, il n’a pas prévu l’impensable : que le public ferait de Jesse James un héros après sa mort.
Jesse James est la première star américaine, détesté de son vivant, entouré d’une cour de parasites qui l’envient et le craignent, ennemi public numéro 1 de son vivant, il deviendra un mythe positif après sa mort, un Robin des bois qui redistribue les richesses. On a demandé à Brad Pitt pendant la conférence de presse si il avait accepté le rôle à cause de la correspondance entre lui et Jesse James, la traque… Il a répondu simplement qu’il n’était pas pourchassé pour les mêmes raisons mais il n’a pas nié l’évidence… (voir le récit de l’arrivée de Brad Pitt à Deauville et de la conférence de presse dans une ambiance parano de camp retranché…)
Le film est long, on va le dire et le redire mais il se passe un phénomène inverse à la vision de plupart des films où l’attention se relâche au fur et à mesure du récit ; ici, passé l’heure et demi où on a du mal à entrer (surtout dans le milieu du film où on a coupé pas mal de scènes avec l'épouse de Jesse James), la dernière heure est captivante et émouvante. Avec quelques restrictions pour l’extrême dernière partie du film après la mort de Jesse James : cette dernière partie, posée en épilogue, à la fois trop longue et trop courte (et traitée dans un style différent), dénote l’application du réalisateur à rester fidèle aux documents d’époque, à tout raconter ou pas assez… Car la vie de Bob Ford après la mort de Jesse James pourrait justifier d’une vraie seconde partie. Peut-être que dans la version initiale de 4h35, on n’a pas seulement supprimé les scènes de Jesse James avec sa famille mais aussi l’histoire de Robert Ford, le vrai (anti)-héros du film…
Voir aussi les photos et le résumé de la conférence de presse de Brad Pitt à Deauville le lundi 4 septembre 2007...
Note CinéManiaC pour le film : 4/5*