Le film est en effet l’adaptation fidèle d’un roman de Colette, qui conte la liaison complexe d’un jeune dandy et d’une courtisane vieillissante – mais toujours sexy, donc, puisque c’est Michelle Pfeiffer qui l’incarne.
L’intrigue a lieu dans le Paris de La Belle époque, au tout début du vingtième siècle. Tout commence quand Charlotte Peloux, une ancienne prostituée de luxe fait appel à Léa de Lonval, son ancienne rivale, mais aussi l’une des rares amies que sa profession lui a autorisé, pour ramener son fils Fred à la raison. Le jeune homme, tout juste âgé de dix-neuf ans, passe en effet son temps à courir la gueuse, à boire et à abuser d’opium et de cocaïne tout en affichant vis-à-vis de sa mère un dédain de plus en plus ostensible. Il la respecte, car elle lui a toujours porté une affection quasi-maternelle, celle-là même que lui refusait sa mère. Elle a toujours été sa «Nounoune». Il a toujours été son «Chéri». Mais il n’est plus un enfant, et peut difficilement résister au charme de cette femme irradiant encore de beauté… et totalement libre puisqu’elle a décidé d’arrêter sa carrière de courtisane et profiter de sa fortune. Ils deviennent amants et leur liaison, menée avec un certain détachement par les deux parties, dure plus de six ans.
Jusqu’à ce que Madame Peloux décide qu’il est grand temps de marier son fils à la jeune fille d’une autre de ses ex-consoeurs, la richissime Marie-Laure.
Fred et Léa avaient prévu cette séparation, dans l’ordre naturel des choses. Mais ils vont s’apercevoir qu’ils sont finalement plus attachés l’un à l’autre qu’ils ne veulent bien l’admettre…
C’était une véritable gageure que de porter à l’écran ce roman. Assez court, truffé d’interminables descriptions, il est découpé de manière étrange, la narration évoluant au gré de longues ellipses et se focalisant sur quelques scènes cruciales de la relation des deux amants. Pas vraiment le genre de truc qui est susceptible d’enthousiasmer les amateurs d’actions trépidante, ni ceux de romance flamboyante. Le style littéraire de Colette ne repose pas sur le spectaculaire et a souvent été comparé aux techniques de peinture impressionniste. Il s’agit ici d’un récit feutré, où toutes les émotions passent effectivement par de petites touches subtiles. Difficile à transposer à l’écran.
Pourtant, Stephen Frears s’en sort très bien. Ses films, comédies incluses, ont souvent possédé une espèce d’ironie mordante, un soupçon de cruauté. Deux qualités qui conviennent parfaitement à ce récit d’un amour impossible, qui condamne les protagonistes à une vie de frustration et d’insatisfaction. Le cinéaste peut s’appuyer d’une part sur sa grande expérience et son expertise technique, notamment une grande rigueur dans les cadrages et un art consommé du montage, et d’autre part sur la belle partition musicale composée par Alexandre Desplats.
Il peut aussi compter, évidemment, sur la performance des acteurs, tous parfaitement choisis. Katy Bates s’en donne à cœur joie dans le rôle de Charlotte Peloux, mi-garce, mi-précieuse ridicule. La jeune Felicity Jones apporte sa fraîcheur et sa candeur à Edmée, la jeune compagne de Chéri. Celui-ci est incarné par l’élégant Rupert Friend, qui, avec ses faux-airs de Colin Firth, Billy Crudup et Daniel Balavoine, est la révélation du film.
Et puis, il y a Michelle Pfeiffer. Parfaite, comme toujours. Cela fait plaisir de la revoir enfin dans un grand rôle. Le dernier remonte à I could never be your woman, réalisé il y a quatre ans et curieusement resté inédit en France, où elle jouait déjà une femme tombant amoureuse d’un homme plus jeune. Elle joue avec malice de son âge et de son charme pour faire tourner la tête du jeune Chéri, et, au passage, celle des spectateurs…
Le seul truc agaçant, qui casse un peu le raffinement de l’ensemble, c’est la façon qu’a Ruppert Friend de susurrer des « Nounoune » en français dans le texte, parfaitement risibles, même dans les moments les plus émouvants. Mais que cela ne vous empêche pas d’aller voir ce Chéri, film élégant et sensible, « à l’ancienne » mené de main de maître par un cinéaste toujours aussi inspiré.
Note :