Les nègres, par définition, sont discrets. Catherine Siguret, 35 ans, a écrit pas moins de 35 livres, la plupart signés d’un autre nom que le sien. « Schizophrène de profession », elle s’est glissée dans la vie de dizaines de personnes, anonymes ou célébrités, pour raconter à leur place. Et à en juger par ce récit autobiographique par lequel elle fait son coming-out, ce ne fut pas une sinécure.
Car le nègre entre en négritude comme d’autres en religion, en commençant par sacrifier sa vie sociale, pour laisser cours à sa passion exclusive de l’écriture. Nègre, c’est plus qu’une profession. Un état. Une vocation. On s’en serait douté : écrire à la place de l’autre exige de se fondre dans le décor. Et même – plus difficile à croire : faire don intégral de soi, jusqu’à l’hystérie. Quand Catherine Siguret « négrise » les accidentés de la vie, des cas sociaux dont le public est friand, elle devient elle-même alcoolique par un mimétisme incontrôlé. Quand elle « négrise » un top model, elle arrête non seulement de boire, mais même de manger. Elle devient celui dont elle écrit la vie. Le livre terminé, elle oublie tout, et se glisse immédiatement dans la peau d’un autre, angoissée de n’être plus le nègre de personne, ne serait-ce que pour un jour.
Tout se paye : « La négritude tue l’amour ». Impossible de se fixer affectivement quand on zappe de vie tous les trois mois, « à chaque livre, il me fallait changer d’amant ». Le sexe et l’écriture font bon ménage. Le nègre n’est pas avare de nouvelles expériences. Aventure d’une nuit avec une rock star, relation avec une vedette du X, jusqu’à cette découverte de l’échangisme, « la seule expérience qui ne soit pas –beaucoup- moins forte que l’écriture ».
Enfin nue ! pourrait être une compilation croustillante. Mais Catherine Siguret connaît trop bien les ficelles pour tomber dans le récit confession. Sa plume leste et son style bousculé ne reculent pas devant un brin de provocation. Si elle se scarifie et se met nue, ce n’est certes pas pour passer la pommade. Décomplexée, elle scrute le genre humain d’un œil exercé. Pas tendre, Catherine Siguret, avec ceux qu’elle a pourtant aimés, à un moment, pour pouvoir raconter leur vie – elle ne pouvait autrement. Les « exhibitionnistes » de la télé-réalité pour lesquels elle s’est faite « reality nègre » et dont elle décrit le « vide intersidéral ». Les gens de la télé tous persuadés « d’avoir eu une vie exceptionnelle, parce qu’ils gagnaient un fric exceptionnel comparé à la minceur de leur savoir comme de leur travail. » Mais aussi ces honnêtes citoyens qui changent de table au restaurant pour ne pas avoir dans leur champ de vision une vedette du X, dans la haine de leurs propres pulsions, pour ordinaires qu’elles soient.
Si Catherine Siguret raconte son expérience, c’est qu’être son propre nègre est la seule manière qu’elle ait trouvée pour enterrer son personnage. Elle parvient à décrocher de cette pernicieuse addiction à la vie des autres et à s’extirper avec panache des limbes un peu honteuses de la littérature en publiant sous son nom. Enfin nue ! est son baroud d’honneur. Son ultime geste de nègre, brandi à la face du monde comme un énorme bras d’honneur.
Enfin nue! les confessions d'un nègre littéraire
de Catherine Siguret
Editions Intervista, collection « Les mues », 2008
http://www.catherinesiguret.com/
(article paru sur Sitartmag)