Quelle place pour les blogs dans la vulgarisation scientifique?

Publié le 10 septembre 2007 par Timothée Poisot

On a traditionnellement considéré la vulgarisation comme un exercice réservé à quelques journaux. Ces journaux sont souvent la seule interface entre la “communauté scientifique” (ceux qui produisent les résultats) et la “société civile” (le monde entier moins les précédents, pour faire simple). A tel point que quand on en vient à parler de “revues scientifiques”, avant Nature, Science, les PNAS ou autres, les gens citent La Recherche, Pour la Science, et consorts. La profusion de ces journaux fait qu’on peut se poser une question simple: a t’on besoin d’autres moyens de vulgarisation? Et plus prosaïquement, les blogs sont-ils un support de communication à la fois efficace et différent des solutions “papier”?

Il est évident que je fais un odieux raccourci en assimilant l’ensemble de l’activité de vulgarisation à la parution de certains périodiques. D’autres médias existent, mais qui sont à mon avis d’un impact plus limité. Une rapide revue semblant s’imposer, je vais m’y livrer sans plus tarder.

Un mot avant de commencer, toutefois. J’en reparlerai au cours de ce billet, mais une petite clarification n’est pas inutile. Par “vulgarisation”, j’entend ici une transmission “rapide” des informations produites par les scientifiques à la société civile. Autrement dit, pas la rédaction d’un livre qui présente l’ensemble des connaissances sur un sujet donné, mais bien une activité de type “journalistique”: un suivi au plus près de l’actualité, avec mise en contexte.

Puisque ce billet à comme toile de fond la comparaison des solutions papier et numérique, l’utilisation de technologies internet, pourquoi ne pas commencer par les podcasts? Plusieurs grandes figures de la scène scientifique internationale (le Nature Publishing Group, l’AAAS, et le magazine anglophone de vulgarisation Scientific American entre autres) ont lancé les leurs. Anglais obligatoire le plus souvent (je n’ai pas d’exemple immédiat de podcast scientifique “de grande envergure” en français, en tout cas). Bien que d’une qualité “à toute épreuve”, ces podcasts sont relativement peu accessibles, si ce n’est à un public “étudiant” (universitaire).

Confession. J’ai un problème avec le podcasting. Quelque chose d’instinctif. Je n’aime pas ça. L’habitude d’utiliser du papier (de l’écrit, si vous préférez) pour mes activités scientifiques, sans doute. Mais plus important encore, j’ai du mal à me concentrer longtemps sur une voix sans visage. La voix seule a sur moi un effet hypnotique. Après en avoir parlé autour de moi, j’ai été forcé d’admettre que mon cas n’était pas une généralité, sans toutefois être une exception. Les podcasts semblent séduire à l’occasion, mais peu de personnes s’avouent prêtes à en écouter régulièrement. J’aime autant aller à une conférence.

Les conférences, justement, parlons-en. Rien que je n’aime autant que prendre des notes dans mon gros carnet à spirales, dans la demi-obscurité d’un amphi aux sièges en mousse, bercé par le ronronnement de l’orateur qui nous parle de… et voilà que je m’égare. Est-ce un bon support de communication scientifique? A mon avis, oui, surtout pour faire de la vulgarisation. Le côté visuel, “humain”, beaucoup plus amène que le papier ou la simple voix, aide beaucoup (les chercheurs sont des gens comme les autres. Ou pas…).

La possibilité d’interaction entre celui qui parle et ceux qui écoutent est grande, et les discussions qui s’en suivent sont souvent aussi intéressantes et riches que la conférence elle-même.

Il n’empêche que c’est assez difficile à mettre en place. Se tenir à suivre un cycle de conférences sur un sujet (à part quand la motivation est du type “c’est obligatoire sinon pas d’ECTS”, me fait-on remarquer à l’autre bout du téléphone, oui, je partage mes opinions en même temps que j’écris) est relativement difficile. Sans compter que l’organisation n’est pas forcément évidente non plus: il faut trouver des intervenants, et autres problèmes du genre.

Le videocasting (est-ce un mot?), une solution idéale? L’ENS a mis en ligne des vidéos de conférences, et je dois avouer que le principe m’a beaucoup plu. A quand, vous demande-je, une version en vidéo des séances de l’Académie des Sciences? A garder, donc, comme un à-côté intéressant, mais pas forcément adapté pour un suivi “régulier” de l’actualité. Le seul problème est qu’à moins d’un support suffisamment bien conçu, on perd la possibilité d’interagir.

Un mot sur les émissions de télévision. Je pense très honnêtement qu’il s’agit, en dehors de chaînes “un peu spécialisées”, de la pire des solutions. Entre des journalistes de Canal + prêts à tout pour imposer leurs vues anti-OGM, des reportages de e=M6 qui chantent fréquemment les louanges de l’industrie agro-alimentaire (un message clair, les produits en conserve sont meilleurs que les produits frais, et autres joyeusetés du genre), en s’appuyant sur des arguments scientifiques, qui sont souvent des cas d’école de sophismes divers (les plus fréquents étant bien sûr l’argument d’autorité et le faux dilemme), il me semble qu’on est plus proches d’une communication de nature propagandiste et d’une “science-spectacle” que d’une réelle volonté de communication impartiale et porteuse d’informations. Si les journalistes qui produisent ce genre de documents n’ont pas de problème avec leur conscience, tant mieux pour eux (et tant pis pour ceux qui y croient). Mon quart d’heure throw away your television prend fin ici-même.

Je fais une parenthèse pour parler des livres consacrés à la vulgarisation, à la simplification de la science. Ils ne font pas partie du même procédé que la communication sur une base régulière. Que ce soit sous forme de livres “techniques” (Biology de Campbell & Reece, qui contient les “bases” dans beaucoup de domaines des sciences de la vie) ou d’essais (prenez par exemple les livres de Jean-Marie Pelt ou encore Stephen Jay-Gould). Ces livres sont plus des “aide-mémoire” qu’autre chose, on les garde à portée de main en cas de besoin, on les annote pour tenir compte d’informations plus récentes, mais on ne se sent pas plus informé sur l’actualité après les avoir refermés.

C’est donc dans le cadre d’un suivi “non ponctuel” de la science que je conçois l’activité de communication scientifique. Pourquoi? Parce que la “critique” la plus fréquemment émise à l’encontre de la communauté scientifique est que sa productivité est très faible. Puisqu’on n’en parle jamais, c’est que rien n’avance. Certes, la recherche avance à son rythme, mais les résultats existent, et c’est faute de médiatisation qu’ils ne sont pas connus hors du domaine.

Pourquoi? Parce qu’un “résultat” brut n’est pas toujours, à première vue, d’un intérêt flagrant. Annoncer qu’on maîtrise la structure d’une glycoprotéine d’enveloppe d’un virus comme EBV, grâce aux travaux de Gerda Szakonyi et de ses collaborateurs, parus dans Nature Structural & Molecular Biology en 2006, au milieu d’un public de non-biologistes, c’est s’assurer d’un beau flop. Croyez moi j’ai essayé. Et pourtant.

L’intérêt est tout autre quand on annonce que c’est grâce à cette protéine (je pense à la GP350) que se fait l’entrée du virus dans la cellule, première phase de l’infection, pouvant conduire à des lymphomes. Tout résultat est potentiellement intéressant dès le moment ou il est mis en valeur.

Donc, la communication scientifique efficace, c’est une mise en avant “régulière” de résultats, en présentant les retombées qu’ils peuvent entraîner. Soit. Vous allez me dire que c’est ce que font les journaux grand public. C’est vrai. Mais la “version papier” à quelques limitations qui me semblent de plus en plus importantes.

En premier lieu, une limitation physique, liée au nombre maximum de pages dans un numéro. Le nombre de sujets qu’on peut aborder est nécessairement limité. Ce qui conduit à faire des choix, et à évincer certains sujets “annexes” (d’une importance moins grande) qui auraient malgré tout mérité qu’on en discute.

La discussion, venons-y, et ce sera mon second point, est ce qui me semble la plus grande faiblesse de la communication “sur le papier”. Sur un blog, un forum, un site, etc…, via le système de commentaires, il est facile de réagir à un sujet, d’y apporter des nuances, de faire part de remarques, de mettre en lumière des erreurs factuelles imprécisions sur la forme.

Pour faire la même chose avec un journal papier, il faut passer par le courrier des lecteurs. D’après mon expérience, il n’y à guère que La Recherche qui réponde (de manière très complète et rapide, qui plus est, d’où une très agréable surprise). Dans le meilleur des cas, les remarques sont disponibles le mois suivant (pour l’ensemble du lectorat, bien sûr), et la discussion va rarement au-dela. La possibilité de “communication” est bien plus grande avec un système électronique (il suffit de regarder un article de PLoS pour s’en rendre compte).

J’en profite pour glisser une suggestion: pourquoi ne pas ouvrir des espaces de discussion sur les sites des principaux périodiques, pour “centraliser” les remarques des lecteurs? J’en reviens à ma remarque précédente lors de mon éloge des conférences: la discussion qui suit a toutes les chances d’être très enrichissante. C’est ce côté “unidirectionnel”, non-interactif du journal papier qui me gène finalement le plus.

Le troisième point que je vais aborder est plus ou moins attaquable. Je vais parler d’écologie. Ou plutôt de ce qui arriverait si je m’avisais d’utiliser des indicateurs de diversité sur les citations qu’on trouve dans les articles des principaux journaux.

Je m’explique. Je me faisais la remarque en lisant un article de La Recherche l’autre jour: sur 4 travaux cités, 4 étaient parus dans Science. J’ai donc été pris d’une frénésie de recherche de sources, et j’ai fait un constat rapide. La majorité des travaux cités (dans la partie biologie/santé) provenaient des journaux suivants: Nature (et autres NPG), Science, PNAS, NEJM, Lancet (et autres), EMBO Journal. De manière assez étrange (mais je n’ai rien calculé pour le vérifier), la même tendance s’observait dans les “dossiers”, numéros complets consacrés à un sujet particulier.

D’où finalement une diversité assez faible, si on regarde les sources. C’est là que l’intérêt des blogs est le plus important à mes yeux. Apporter sur le devant de la scène (n’allez pas croire que nous sommes si populaires que ça, mais enfin…) des travaux parus dans des journaux moins connus du grand public (tout le monde ou presque connaît Nature, c’est nettement moins vrai si je parle du Journal of Fish Biology, ou de Fish & Shellfish Immunology par exemple).

Double interrogation qui en découle: les journaux “grand public” ne pourraient-ils pas le faire? Les blogueurs doivent-ils s’abstenir de réagir aux papiers de Nature? Et forcément, double négation dans la réponse… Non, ce n’est pas le rôle des périodiques papier de s’intéresser aux travaux des journaux “moins importants” (en terme d’impact sur le grand public, bien entendu). Parce que, l’espace étant limité sur un tirage papier, il faut choisir et mettre en avant ce qui “pèse”.

Ainsi, les travaux de Worm sur la perte de la biodiversité marine (parus dans Science en 2006) ont été largement plébiscités, alors que d’autres, je pense notamment à ceux de Pauly, sur des sujets très semblables, et d’une qualité similaire, ont été oubliés (le journal n’est pas un critère de choix valable, Pauly ayant à son actif plusieurs parutions dans Science et dans Nature). Le sujet était probablement moins à la mode à l’époque (début 2000, grosso modo).

C’est là que les bloggueurs interviennent, en mettant en avant des papiers et des résultats dans un domaine qu’ils connaissent, et qui les intéresse. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille se limiter à l’ensemble des papiers (la majorité, donc) qui ne seront jamais cités dans La Recherche. L’apport d’un autre point de vue est souvent bénéfique, et les bloggueurs “un peu spécialisés” seront plus enclins à mettre en avant des aspects “secondaires” d’un résultat.

Pour résumer? Les bloggueurs permettent de faire remonter des informations qui ne sont pas visibles au travers des moyens habituels de vulgarisation, parce qu’issus de domaines trop “confidentiels”, tout au moins trop “annexes” pour avoir leur place de manière régulière dans les principaux médias. Et pourtant, ces informations ont souvent un intérêt pour le public.

J’étais surpris, l’autre jour, de lire la liste des mot-clés qui amènent les visiteurs ici. C’est très diversifié, tout en étant très précis. J’étais loin d’imaginer que d’autres partageaient ma passion des parasites de poissons (probablement des maniaques de l’aquariophilie, d’ailleurs).

On arrive finalement à dessiner un rôle pour le blog dans la communication vers la “société civile”. Apporter des informations peu médiatisées, les rendre vivantes, et les replacer dans un contexte plus global. Ca, plus la touche “personnelle”, que les journalistes professionnels ne peuvent pas se permettre. Le fait de ne pas être une “institution” permet une liberté de ton plus importante. Ce qui est loin d’être négligeable, puisque comme le faisait très justement remarquer la rédactrice en chef d’un magazine espagnol de vulgarisation, destiné aux adolescents, la science, comme toute autre entreprise humaine, c’est d’abord des gens qui luttent, des gens qui échouent ou réussissent. La science est une aventure que les lecteurs veulent partager.

Et sur ce point très particulier, grâce à leur indépendance et leur “non-professionalisme” (ce n’est pas un jugement qualitatif, certains blogs anglophones sont d’une qualité remarquable) les bloggueurs ont l’avantage…

Post-scriptum: Il est bien évident que le blog possède des limitations. Mais ce billet est déjà bien assez long (bien que je n’ai pas compté précisément, le CD qui a servi de fond musical, la remarquable sonate en sol mineur “The Devil’s Trill de Giuseppe Tartini, attaque tranquillement sa seconde répétition). Si un autre que moi veut exprimer ses opinions la dessus, la voie est libre…