(dépêche)
La plus grande démocratie du monde aux urnes
par Sophie Malibeaux
Inde
Article publié le 15/04/2009 Dernière mise à jour le 16/04/2009 à 10:25 TU
Dans les 28 Etats de l’Inde, 714 millions d’électeurs se préparent à voter d’ici le 13 mai 2009. Les élections législatives dans la plus grande démocratie du monde constituent un véritable défi
logistique. Le scrutin se déroulera en cinq phases, ce jeudi 16 avril pour commencer, avec l’Etat du Kerala dans le sud, une partie du Kashmir indien au nord-ouest, ainsi que plusieurs Etats du
nord-est de l’Inde à proximité de la frontière avec le Bangladesh, où sont actifs les rebelles maoïstes. Les craintes sont élevées sur le plan sécuritaire, 6 millions de fonctionnaires sont
mobilisés dont deux millions de policiers. Les prochains rounds électoraux sont programmés pour les 23 et 30 avril, puis les 7 et 13 mai 2009. C’est le 16 mai que les résultats officiels
devraient être annoncés.
Des responsables vérifient les machines de vote électronique après les avoir récupérées d'un centre de distribution à Varanasi, dans l'Uttar Pradesh, un Etat du nord de l'Inde, le 15 avril
2009.
Ce scrutin devrait déboucher sur une redistribution des cartes à l’échelon fédéral, entre les grandes formations traditionnelles et les petits partis, avec des alliances de circonstances au
niveau régional, et l’émergence probable d’un nouveau bloc : le « troisième front », emmené par les communistes.
Les sondages accordent en général une légère avance au parti de centre-gauche, le Congrès, malgré l’offensive déclenchée par l’opposition du BJP (Baratiya Janata Party), mais il ne se dégagera
sans doute aucune majorité au niveau fédéral capable de former à elle seule un gouvernement. L’on s’attend, fin mai-début juin à un « sixième round » d’intenses tractations politiques en vue de
la formation d’un nouveau gouvernement d’alliance.
Les défis du Congrès
Reflet des temps, aucun des grands candidats n’a choisi cette fois-ci de surfer sur la vague de « l’Inde qui brille » (Shining India) des années 2000. Le BJP tentait alors de faire rêver l’Inde
des classes moyennes avec ce slogan, mais avait échoué aux élections de 2004. Le parti du Congrès avait alors pris la relève, parvenant à propulser l’Inde au dixième rang mondial, grâce à quatre
années de fort dynamisme avec une croissance d’une moyenne de 9%. Mais en 2008, l’Inde allait subir de plein fouet la crise économique mondiale. La Banque Mondiale tablant désormais sur un
taux de croissance voisin de 5, voire 4%, à l’horizon 2010, largement insuffisant pour contribuer à sortir de la pauvreté les quelque 600 millions d’Indiens vivant avec moins de deux dollars par
jour.
Economiste de formation, le Premier ministre Manmohan Singh n’a pas réussi à tenir son pays à l’écart des perturbations de l’économie mondiale. Mais le Congrès a multiplié les annonces en
direction des classes moyennes : prêts à l’agriculture, aides à l’emploi et à l’éducation, et fourniture de 35 kg de riz à trois roupies le kilo pour chaque famille pauvre.
Réplique du BJP : « si les nationalistes hindous revenaient au pouvoir, ce serait 2 roupies le kilo de riz pour les plus démunis. » Mais l’argument économique n’est pas le seul.
La récupération politique de la menace terroriste
L’opposition du BJP a profité des événements de Bombay –les attentats qui ont fait près de 180 morts le 26 décembre 2009- pour dénoncer la faiblesse du gouvernement et de son chef. Ce à quoi le
Congrès a pu répliquer que le BJP n’avait pas non plus de quoi pavoiser. Le candidat du BJP au poste de Premier ministre Lal Krishna Advani, était lui-même ministre de l’Intérieur lors de
l’attaque du parlement de New Dehli qui avait fait 14 morts le 13 décembre 2001. Un an plus tard, au Gujarat les violences intercommunautaires provoquaient la mort de 2000 personnes, et lui
valait de nouveau les critiques de la communauté musulmane. Un souvenir ravivé en fin de campagne électorale, par Manmohan Singh, accusant son adversaire de « diviser le peuple sur des lignes de
fracture communautaire ».
Reste une incertitude majeure, liée à l’émergence d’une nouvelle force politique débordant le Congrès sur sa gauche.
Le « troisième front » brouille les cartes
La conclusion d’un accord avec les Etats-Unis sur le nucléaire a valu au Congrès de perdre ses alliés communistes au sein de l’UPA (United Progressive Alliance). De là est née une nouvelle
coalition emmenée par les partis marxistes, avec des partis régionaux dont certains peuvent constituer une force d’appoint non négligeable. Tel serait le cas du BSP (Bahujan Samaj Party), le
parti de la très charismatique Mayawati Kumari « si ce parti rejoignait le « Troisième front » inauguré un mois à peine avant le premier round du scrutin.
Femme de pouvoir née dalit (« intouchable ») Mayawati gouverne un Etat, l’Uttar Pradesh, qui pèse lourd à l’assemblée, et pourrait mobiliser une grosse partie de l’électorat hors caste au-délà de
son Etat (la caste des dalits compte quelque 167 millions d’Indiens). Mais la «passionaria» des basses castes est aussi connue pour réagir de façon très opportuniste.
Dans ce type d’élections, les choix idéologiques paraissent relégués au second plan des préoccupations. Mayawati se rêve en Obama indienne, mais il n’est pas dit qu’elle puisse mobiliser
suffisamment autour de sa personne pour rivaliser avec d’anciennes formations politiques telles que le Congrès ou le BJP.
Vieux candidats et jeunes électeurs
Lorsque les 714 millions d’électeurs indiens appelés aux urnes se seront prononcés, les résultats annoncés le 16 mai 2009 devraient donc déboucher sur de nouvelles alliances post-électorales,
favorisant l’un ou l’autre des deux principaux candidats au poste de Premier ministre, Manmohan Singh ou Lal Krishna Advani. Le premier est âgé de 76 ans, le second de 81. Sachant que plus de 210
millions de votants ont entre 18 et 35 ans, soit un quart de l’électorat total, on pourrait assister à l’avènement de nouvelles figures.