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Desservir la France
Par Maurice Druon, de l'Académie française.
Le Figaro, lundi 26 juillet 2004
M. François Bayrou, personnage secondaire et destiné à le rester, n'est remarquable que par sa persévérance à desservir les intérêts supérieurs de la France. Il possède éminemment ce que les
Anglais désignent par l'expression de nuisance value, la valeur de nuisance.
A quel moment l'image qu'il a de lui-même a-t-elle commencé de lui brouiller le jugement ? Voilà un Béarnais, fils d'agriculteur, qui, doué pour les études, devient agrégé de lettres classiques.
A vingt-huit ans, il fait ses premiers pas en politique en entrant au cabinet de M. Méhaignerie, ministre de l'Agriculture. Il adhère du même coup à la formation centriste que créa Giscard
d'Estaing pour servir à son élévation personnelle. Cette formation, qui aura participé à renverser le général de Gaulle en 1969, deviendra l'UDF.
M. Bayrou s'y installe et y prospère. Il est élu conseiller général dans son département natal, puis conseiller régional. Conseiller, il l'est aussi de M. Pierre Pfimlin, à la présidence de
l'Assemblée européenne. M. Pfimlin était un excellent homme à tous égards, qui exerça avec droiture des fonctions très élevées. Il n'avait qu'un défaut : il était centriste, c'est-à-dire que,
comme tous les centristes, il se trompait sur la hiérarchie des valeurs.
On lui doit d'avoir fait perdre à Paris d'être la capitale de l'Europe. En effet, il était entendu entre Adenauer et de Gaulle que les institutions de la Communauté européenne auraient leur siège
à proximité. Un grand ensemble serait construit en proche région parisienne. Là-dessus, Pfimlin, alsacien, intervient en clamant : « Strasbourg, Strasbourg... le lien entre la France et
l'Allemagne, entre les deux cultures... la réconciliation... Strasbourg ville symbole ! » Pouvait-on insulter l'Alsace ? On remisa le projet parisien.
La démarche procédait d'un bon sentiment, mais d'une erreur de jugement.
Paris, grande métropole des arts et des affaires, en même temps que centre international de communications, avait tous les attraits pour les députés, les diplomates et les fonctionnaires
européens ; Strasbourg, belle mais provinciale, avec des divertissements limités et surtout mal desservie, obligeant à des changements d'avion pour atteindre son aérodrome souvent embrumé,
n'exerça que peu de charmes sur la nouvelle population communautaire. Si les sessions mensuelles du Parlement à quel coût et pour combien de temps ? continuent de s'y tenir, tout le reste,
commissions et services, s'est installé à Bruxelles et c'est Bruxelles qui est devenue la capitale administrative de l'Union.
Revenons à M. Bayrou qui poursuit un parcours politique assez habituel. Élu député, il montre assez vite un appétit ministériel en se faisant des problèmes de l'enseignement une spécialité. Il
fonde et préside un groupe permanent de lutte contre l'illettrisme. Louable programme. Le malheur veut que, le temps qu'il fut ministre de l'Éducation nationale, l'illettrisme ne cessa
d'augmenter et le niveau général des études de baisser. Est-ce durant cette période que se produit en lui une dilatation un peu excessive de l'ego ?
On dit, on raconte qu'il réveilla une nuit les membres de son cabinet, les convoquant d'urgence au ministère, pour les consulter sur une vision qu'il venait d'avoir de son avenir présidentiel.
L'anecdote a couru avec trop d'insistance pour qu'il n'y ait pas, à son origine, quelque réalité.
Pourquoi suis-je à m'arrêter si longtemps sur M. Bayrou, alors que nous avons des soucis qui semblent de plus d'importance ? C'est parce que, non content de mettre du désordre dans notre
politique intérieure, il agit en ce moment au contraire des intérêts de la France dans le Parlement européen.
M. Bayrou est candidat à la présidence de la République, on le sait. Il l'a fait savoir urbi et orbi, et l'obstination étant dans sa nature, il y a tout à penser qu'il le sera à vie. Il s'est
d'ailleurs présenté en 2002 et arrivé dans la queue du peloton, 6,8 %, il a aussitôt revêtu le maillot au dossard marqué 2007.
Assurant faire partie, à l'Assemblée nationale, de la majorité afin de garder son électorat, il tient son groupe parlementaire à la lisière, sous le prétexte de refuser la caporalisation ; il ne
cesse de critiquer l'action du gouvernement, avec souvent les arguments de l'opposition, et ne vote pour lui que du bout des doigts, quand il ne s'abstient pas, attendant visiblement sa chute.
Belle logique politique ! C'est ce que M. Bayrou appelle cultiver sa différence. A bénéficier d'un si grand soutien, on en vient à préférer des adversaires.
Son programme ? Il n'est fait que de mots usés et de formules devenues creuses à force d'avoir trop servi. On se croirait revenu à « la République plus juste, plus humaine » d'il y a trente ans.
Tout vieillit, même la démagogie.
Aux récentes élections régionales, en lançant partout ses propres listes, il a fait perdre à la droite bon nombre de sièges qu'elle eût conservés si elle s'était présentée unie, et il a contribué
aux victoires locales des socialistes, ce qui, avec la décentralisation en cours, ne sera pas sans conséquences. Mais c'est au nouveau Parlement européen qu'il devient le plus dangereux.
Les Français s'intéressent peu leur faible participation à la dernière consultation européenne le prouve au fonctionnement des institutions de l'Union. Ils ont tort. Car leur avenir se préfigure
là-bas, à Strasbourg, à Bruxelles, à Luxembourg. La place et l'influence de la France, pour les années qui viennent, s'y dessinent.
Il n'est pas inutile de savoir que depuis la première élection au suffrage universel, en 1979, le Parlement européen est dominé par deux grands groupes, le PPE (Parti populaire européen) et le
PSE (Parti des socialistes européens). C'est entre eux deux que les plus graves sujets se débattent et que les plus importantes fonctions se distribuent. Les autres groupes ne font guère que de
la figuration.
Le PPE, fondé par les grandes familles démocrates-chrétiennes d'Allemagne, du Benelux, de l'Italie et de France, s'est progressivement élargi à tous les principaux partis laïcs, centristes et
conservateurs d'Europe : Nea Democratia grecque, Partito Popular espagnol, conservateurs britanniques, droite portugaise, UDF française, quand M. Bayrou en était le secrétaire général en 1992,
RPR en 1999, UMP depuis 2002. Sa mouvance s'étend désormais à tous les nouveaux membres de l'Union, de la Pologne à la Slovénie et de la Hongrie aux États baltes.
Le PPE a joué un rôle déterminant dans la conception et l'adoption de la Constitution européenne, à laquelle on peut trouver maints défauts ou insuffisances, mais dont il ne faudra pas oublier,
lorsqu'elle sera soumise à référendum, qu'elle est indiscutablement inspirée par la vision française et du droit, et de l'Europe.
Grand vainqueur des dernières élections, avec 268 élus de vingt-cinq pays de l'Europe élargie, le PPE a montré sa force en imposant bel et bien aux chefs d'État et de gouvernement la désignation
d'un président de la Commission européenne issu de ses rangs, le très francophone Portugais José Manuel Barroso.
Le PPE défend un certain nombre de principes qui sont l'Europe des États, la tradition humaniste, l'économie au service des hommes, la primauté de la culture sur le marché et de l'esprit sur le
commerce. Telles sont les orientations générales.
Dans les cinq ans qui viennent, le nouveau Parlement va avoir de plus en plus à légiférer, législation qui, en beaucoup de domaines, il faut bien se le mettre dans la tête, a priorité sur les
législations nationales.
Or, c'est le moment qu'a choisi François Bayrou pour claquer la porte du PPE et enjoindre aux élus de ses listes UDF de s'agripper au groupe des libéraux, formation nettement fédéraliste, qui a
pour credo la libre concurrence et le laisser-faire dans l'économie comme dans les mœurs. Le rejet de notre conception du service public je dis bien conception et non : fonctionnement , le droit
pour les homosexuels d'adopter des enfants et l'admission de la Turquie figurent pêle-mêle dans la plate-forme électorale de ces libéraux auxquels M. Bayrou vient apporter son concours.
La raison ? On la cherche et, hormis la volonté de « marquer sa différence », on n'en voit pas.
Le prétexte ? Le grand Parti populaire européen trahirait l'idéal des « pères fondateurs » de l'Europe en acceptant dans son sein les conservateurs britanniques. Ils étaient pourtant déjà là, ces
« eurosceptiques », dans l'assemblée précédente, et M. Bayrou ne rougissait pas de s'asseoir à côté d'eux, quand leur vote permettait à une des élues de sa liste, Mme Nicole Fontaine, d'accéder à
la présidence du Parlement.
Dans une institution où se retrouvent les représentants d'un continent de 450 millions d'habitants, l'influence se mesure au nombre et se pèse en sièges. Avec la réunification de l'Allemagne,
nous avons perdu l'avantage de la plus forte population. Le nombre de nos députés s'en est trouvé réduit. Plus ils seront groupés, mieux nous serons entendus.
Les députés français, dans le parti majoritaire de l'assemblée sortante, occupaient en nombre le deuxième rang, aussitôt après l'Allemagne. Grâce à la défection de M. Bayrou, nous sommes tombés
au sixième, après les Allemands, les Anglais, les Espagnols, les Italiens, les Polonais. De vingt-huit que nos députés devraient être, ils ne sont que dix-sept. L'effet s'est aussitôt fait
sentir, dès cette semaine, dans la composition des commissions. Plusieurs grands postes, auxquels nous pouvions prétendre, nous ont échappé. Tout le monde attendait que le général Morillon, à qui
son auréole de héros de la Bosnie, son expérience, ses compétences ont fait prendre grande figure au Parlement européen, fût porté à la présidence de la commission des affaires étrangères. Tout
l'y désignait. Parce qu'il est un élu de l'UDF, c'est d'extrême justesse que lui a été accordée la présidence de la commission... de la pêche.
Quel gâchis ! Et tout à l'avenant. Ceux qui se tiennent autour de François Bayrou par intérêt de carrière, comme ceux qui y restent par loyauté personnelle, s'exposent, les uns comme les autres,
à connaître de graves mécomptes.
Je n'ai en politique d'autre critère que les services rendus au pays. <!--[endif]-->
Le prince de Talleyrand disait : « Faute de richesse, une nation n'est que pauvre ; faute de patriotisme, c'est une pauvre nation. »
Maurice Druon.
Réponse à Maurice Druon
par François Bayrou dans le Figaro, mercredi 28 juillet 2004
Le 26 juillet 2004, Maurice Druon, Académicien français, s’en est pris dans une tribune violente à François Bayrou, et au-delà, au centre, à la province, à Strasbourg et à l’Europe. Le
surlendemain, François Bayrou lui répondait dans les mêmes colonnes.
M. Druon ne s’occupe, par définition, que de choses essentielles. Il y a quelques semaines une de ses chroniques concernait l’élection de M. Giscard d’Estaing à l’Académie Française. M. Druon
jetait tout son poids, présumé important, dans la balance (à tous les sens du terme), pour empêcher que pût entrer quai Conti, le président honni qui avait eu un jour l’impudence de voter « non »
au général de Gaulle. M. Giscard d’Estaing fut élu dès le premier tour de scrutin. Il y a là un indice assez probant de l’influence que l’ancien secrétaire perpétuel exerce sur ses confrères, qui
ayant l’avantage de le rencontrer plus souvent que moi, tous les jeudis en tout cas, ont l’occasion hebdomadaire de juger de la pertinence de ses jugements.
Lundi dernier M. Druon m’a consacré la plus récente de ses Philippiques. On a les Démosthène qu’on peut. Mais comme disait Philippe de Macédoine, quand on cherche, on trouve.
M. Druon juge que le signataire de ces lignes a des problèmes d’ego. Venant de M. Druon dont la notice biographique officielle annonce aux populations qui en ignoreraient (je confesse que j’en
étais) qu’il est –je cite- « Grand-Croix de l’ordre du Christ du Portugal, de l’Aigle aztèque du Mexique, Commandeur de l’Ordre du Phénix de Grèce (le pauvre Démosthène n’en était même pas
chevalier), du Mérite Culturel de Monaco, Grand officier du Mérite souverain de l’Ordre de Malte, et du Ouissam Alaouite, de l’ordre du Lion du Sénégal, de la Croix du Sud, et du Cèdre du Liban
(j’ai sauté dix-sept autres décorations aussi prestigieuses pour épargner une modestie que l’on sait chatouilleuse) venant de cet homme drapé de bure et marchant le front bas, cette exhortation à
éviter les dilatations de l’ego m’a touché.
Mais le fond de l’épigramme était ailleurs. M. Druon a des mœurs simples. Il y a ce qu’il aime, essentiellement le RPR dont il fut successivement membre du comité central, député de Paris, député
européen et ministre. Et il y a ce qu’il n’aime pas. Et là, wagon ! En politique, M. Druon déteste tout le reste : particulièrement le centre, la province, Strasbourg et l’Europe. Il se trouve
que je suis militant du centre, élu de province, amoureux de Strasbourg, et partisan de l’Europe.
Je le confesse, cela fait beaucoup pour un seul homme. Il se trouve aussi que je suis un admirateur, certes quelque peu hétérodoxe, du général de Gaulle, et que M. Druon qui prospéra dans le
gaullisme a oublié la première leçon de l’homme du 18 Juin : ne pas se prosterner devant les puissances établies, singulièrement, particulièrement, principalement, lorsque la puissance vient du
nombre.
Première thèse de M. Druon : l’UDF a fait perdre le referendum de 1969 au général de Gaulle et c’est très mal. Passons sur les détails de date qui vaudraient quelque annotation désagréable à une
copie d’histoire de seconde. L’UDF a été créée en 1978, neuf ans après le referendum de 1969. Neuf ans, c’est peu de chose. Allons à l’essentiel. Disons que pour M. Druon, l’UDF intrinsèquement
perverse aurait mérité de faire perdre ce referendum.
Le débat est d’importance : nous sommes nombreux à penser, Valéry Giscard d’Estaing comme moi, qu’il était une moitié du referendum de 1969 qui aurait dû valoir un « oui » enthousiaste, c’était
la création de régions, de provinces, pour contrebalancer le poids de Paris, en ce pays trop centralisé. Mais le général de Gaulle en profitait pour supprimer le Sénat, seul contre-pouvoir
politique en 1969, et en cela, nous pensons aujourd’hui encore qu’il se trompait.
Car nous sommes, en effet, militants des contre-pouvoirs. Particulièrement en ces temps où les amis de M. Druon nous font une « démocratie » de parti unique, de nominations féodales, de presse
contrôlée par les amis. Chaque fois qu’un pouvoir cherchera à devenir absolu, on nous trouvera dans la réticence et s’il le faut dans la résistance.
En ce sens, nous sommes par essence des libéraux, dans la lignée de Tocqueville et de Montesquieu, ceux qui croient que le pouvoir absolu corrompt absolument. Ceux qui savent que l’erreur humaine
étant ce qu’elle est, le pouvoir absolu, construit sur un socle de consciences couchées et de jugements abolis, est assuré de se tromper absolument.
C’est cela, horresco referens, le Centre, que M. Druon abhorre, et qu’il définit comme l’erreur absolue en matière de hiérarchie des valeurs. N’en déplaise au Grand-Croix de l’Aigle aztèque et au
Commandeur du Phénix, il n’est pas absolument assuré que ce soit se tromper de hiérarchie des valeurs que de ne pas adopter exactement les siennes. Comme penseurs politiques, je préfère
Montesquieu et Tocqueville à Druon. Encore un trouble de l’ego.
Deuxième thèse de M. Druon : parmi les maladies dont l’UDF a contaminé la vie publique en France, il y a le régionalisme, le provincialisme… M. Druon a la bonne fortune d’être né à Paris. Il en
est content. Dans les beaux quartiers, il reçut l’enseignement des meilleurs maîtres. Il n’est pas jusqu’au concours général (toujours notice biographique à l’usage des foules qui en
ignoreraient) qui n’allât jusqu’à couronner précocement de ses lauriers ce front puissant. Mais ayant ainsi bu à pleines gorgées le lait de la fortune, il lui en est venu comme une
incompréhension pour tous ces mortels ordinaires, à peine Français sans doute, que la destinée cruelle a faits naître ailleurs et qui ont la faiblesse d’aimer le pays de leur enfance. Par exemple
ces Pyrénées lointaines, d’où l’on ne peut venir qu’à la force du poignet, « fils d’agriculteur, doué pour les études » -pas tellement Druon, pas tellement… Ou l’Alsace… Quand Druon, issu des
beaux quartiers, mesure qu’un secondaire Pflimlin (avec un l après le f, Druon, avec un l, comme en Alsace…) a conçu l’idée saugrenue que Strasbourg pourrait devenir la capitale parlementaire de
l’Europe, il ne peut mettre une telle anomalie que sur le compte de son centrisme, c’est à dire d’une « déviation dans la hiérarchie des valeurs ».
Et le Druon issu des beaux quartiers de moquer lourdement à l’usage des lecteurs du Figaro, cet accent alsacien, ces « Strasbourg, ville martyre », et la « réconciliation de la France et de
l’Allemagne ». Il est vrai que Strasbourg, « belle mais provinciale », « n’avait que des divertissements limités », et de surcroît ne pouvait être que « difficile d’accès », avec son aéroport «
embrumé » bref n’ayant rien de ce qui peut attirer, selon Druon, les diplomates à pochette et les intellectuels germanopratins.
Il y a, en quelques lignes, dans cette page du Figaro, tout le mal français, mépris pour la province, ignorance absolue de la vie réelle des Français, condescendance insultante, esprit de caste
d’un autre siècle. Aux provinciaux, le mérite et la besogneuse droiture, mais qu’ils veuillent bien se souvenir que la vie intellectuelle, politique, la « grande » presse, et naturellement les
délices noctambules sont réservées à « la grande métropole des arts et des affaires ».
Or il se trouve, Druon, patriotisme pour patriotisme, qu’il est des millions de Français et des dizaines de millions d’Européens qui ont vu dans le choix de Strasbourg quelque chose qui parlait
non pas seulement aux diplomates en mal de vie nocturne comme vous le suggérez si élégamment, mais à l’âme de l’Europe. Quelque chose qui aux Gaullistes authentiques, ceux qui se battaient et qui
mouraient, parlait du serment de Kouffra. Quelque chose qui parlait de l’identité de la France déchirée et cicatrisée, et qui, en effet, pouvait laisser croire que notre pays frappé d’acromégalie
pourrait se rééquilibrer. Et il se trouve des centaines de parlementaires européens pour défendre ce choix, session après session, et tant d’amoureux de Strasbourg, dont je suis, pour ne pas
tolérer sans malaise que dans le combat si difficile qu’ils mènent, on leur tire ainsi dans le dos en donnant raison aux contempteurs de Strasbourg.
Et que dire de la Bretagne ? Qu’un parlementaire européen respecté, comme Philippe Morillon, élu dans la première circonscription maritime de France, ait choisi, dans le drame économique et
humain que les pêcheurs traversent devant la raréfaction de la ressource, de présider la commission de la pêche, laisse un Druon pantois. Comment, cher ami, au lieu de la Commission des affaires
étrangères, celle-là noble, celle-là fréquentable, la pêche… La caque sentira toujours le hareng.
Il se trouve qu’il est des élus qui croient assez à l’Europe et à la défense des pêcheurs, européens et français, et pas seulement pendant les campagnes électorales, pour considérer que la pêche
est aussi essentielle à l’avenir de l’Union que la diplomatie.
Troisième thèse de Druon, et pas la moindre : étant donnée la composition du parlement européen, il est scandaleux, anti-national, d’avoir décidé de siéger ailleurs qu’au groupe du PS (PSE) et de
l’UMP (PPE), « les plus nombreux et entre qui les plus graves sujets se débattent et les plus grandes fonctions se distribuent ». Ici se laisse entrevoir Druon le stratège. Après Démosthène,
toujours dans l’ordre du Phénix, Périclès.
Minute, Papillon. Je reçois avec l’humilité naturelle chez les « fils d’agriculteurs » béarnais tancés par des grand-croix de l’ordre de l’Aigle aztèque, les leçons de modestie. Nous avons un peu
plus de mal avec les leçons de parisianisme. Mais nous avons un travers : nous ne recevons pas les leçons de patriotisme ; nous ne recevons pas de leçons d’Europe de la part des Druons qui s’y
sont toujours opposés ; et nous ne recevons pas les leçons de démocratie.
Une fois pour toutes, nous avons appris cela entre 14 et 18. Nous sommes morts par millions dans les tranchées puantes. Nous avons nos noms et nos prénoms sur les monuments aux morts dans les
tout petits villages. Dans le village d’où je viens, nous avons gagné, avec trente-six morts pour trois cent cinquante habitants, tous nos brevets de patriotisme.
Et cela nous a ouvert l’esprit. Par exemple, nous sommes assez sensibles quand la France se voit injustement rabaissée. Nous sommes les seuls à avoir voté contre le traité de Nice, négocié par
Chirac et Jospin, soutenu et ratifié par les copains de Druon et qui, contre toute raison, fixa pour jamais la domination numérique de l’Allemagne sur le Parlement européen.
Et c’est même pourquoi, si l’on voulait que les parlementaires français occupent de véritables responsabilités, il fallait inventer une stratégie différente. En faisant naître un troisième groupe
puissant (88 parlementaires), l’UDF a obtenu, avec ses 11 parlementaires sur 732, deux des vingt présidences de commission du Parlement européen. Ainsi la France présidera quatre commissions sur
vingt, une pour l’UMP, une pour le PS et deux pour l’UDF, dont la pêche et la très importante commission des libertés publiques en Europe par Jean-Louis Bourlanges.
Druon devrait savoir cela : il fut parlementaire européen. Il le fut douze mois, puisqu’il s’était fait élire sur une liste qui dénonçait dans les militants européens le « parti de l’étranger ».
C’était avant de voter non au traité de Maastricht. Donneur de leçons de présence française en Europe, il se soumit à l’admirable règle dite du « tourniquet », inventée par Jacques Chirac. Nous
ne prenons pas de leçons d’Europe, nous qui fûmes fantassins de tous ses combats, de l’appel de Schuman à la CED, du traité de Rome au referendum de Maastricht, de la part de ceux qui toujours
furent contre cette espérance et ce projet.
Et enfin nous ne prenons pas des leçons de démocratie. Car, au-delà de la stratégie et de la tactique parlementaires, nous ne nous agenouillons pas devant les puissants pour leur baiser la
babouche comme le font les commandeurs du Ouissam Alaouite. Quand nous contemplons un groupe parlementaire, notre première question n’est pas : combien sont-ils ? Mais que défendent-ils ? Et il
se trouve que nous nous défions de ceux qui ne défendent plus rien. Nous sommes Européens, et même fédéralistes, et nous avons les idées simples : nous voterons « oui » au referendum et nous ne
voulons pas siéger dans le même groupe que ceux qui vont voter « non ». Il suffirait d’ailleurs pour résumer ce qu’est devenu le PPE, de mentionner qu’il est désormais le parti de M. Druon.
Et il suffit de voir à quelle pantalonnade parlementaire a conduit cette religion des groupes nombreux dont Druon s’est fait chapelain. La première décision que le PPE-UMP et le PSE-PS ont prise
à Strasbourg, bafouant tous leurs engagements de campagne a été de voter ensemble, à la présidence du parlement européen, pour le socialiste d’appareil Borrell, contre Geremek, le premier des
compagnons de Solidarnosc, libérateur de l’Europe.
Druon trouve sans doute que c’est très bien. Nous trouvons que c’est nul, anti-démocratique et anti-historique. Et nous sommes très heureux d’avoir présenté le résistant Geremek contre les
compromis d’appareil qui sont désormais la religion européenne de tous les Druon. Nous n’avons pas peur des puissances établies, ni du nombre. En cela nous sommes plus près de de Gaulle que de
Druon. Nous avons appris de lui qu’il fallait bousculer les (provisoires) puissances établies lorsqu’elles se trompaient. Il arriva à de Gaulle d’être minoritaire, et même ultra-minoritaire. Il
ne courut pas s’inscrire dans le groupe des puissants de l’heure. Il se contenta de ne pas se rendre.
Cela fait deux visions du monde. Il y a d’un côté de Gaulle le rebelle qui n’accepta jamais de décoration. Et de l’autre Druon, grand-croix de l’ordre de l’aigle aztèque et commandeur du Phénix,
désormais converti au PPE et au PSE, qui vote Borrell contre Geremek, et qui veut que l’on se partage les postes. Nous sommes quelques-uns, comme on l’aura compris, assez contents de ne pas être
du côté de Druon.
François Bayrou
Bataille Druon-Bayrou
30 juillet 2004
Ouhlà ! Ca castagne par pages opinions du Figaro interposées actuellement !
Druon avait ouvert les hostilités dans une tribune où il dressait un portrait assassin de Bayrou, accusé de tous les mots, d'être centriste, d'être indépendantiste, revêche, bref, de ne pas
penser comme l'académicien. C'était donc une erreur. L'UDF était accusée de tous les maux, on revenait à des combats vieux de trente ans (le choix de Strasbourg comme siège du parlement), on
accusait surtout Bayrou d'être centriste, comme Pflimlin, "comme tous les centristes, il se trompait sur la hiérarchie des valeurs". Tout était dit.
Bayrou a répondu de fort belle manière, directe et franche. Je suis assez étonné de la vigueur de sa réponse, à la mesure de ses convictions. Sa réponse a du caractère, même si la cible est
facile. Druon le réac, conservateur envers et contre tout, qui vit ses fonctions comme une vie sympathique dans le beau monde, trop parisien, se trompant sûrement sur la majorité des choses,
intolérant avec la différence, condecendant en plus. Mais Bayrou lui envoie un crochet droit + uppercut vengeur. "Nous sommes quelques-uns, comme on l'aura compris, assez contents de ne pas être
du côté de Druon.". François, je me range à tes cotés.
Et puis, car le Figaro ne pouvait laisser le vieux académicien à terre, la réponse de Druon. On le sent un peu sonné. Sa réponse est faible, décentrée des sujets de l'attaque initiale. Quand on
lui dit Démosthène, il répond Isocrate, pour rappeler que lui est académicien et pas Bayrou. Le vieux a été punché, il n'a plus rien à dire. Victoire au troisème round par abandon de
l'adversaire.
Et voilà. Débat inutile ? Pas si sûr. On ne combat jamais assez les vieux cons, surtout quand ce sont eux qui vous attaquent.
30 juillet 2004 à 10:54 | Lien permanent
Druon fait la pub de Bayrou
A quel moment l'image qu'il a de lui-même a-t-elle commencé de lui brouiller le jugement ? »Cette question pertinente est posée par Maurice Druon dans le Figaro. Rarement on aura fait preuve
d'une telle lucidité vis-à-vis de soi-même. D'autant que l'auteur, poussant l'autocritique jusqu'au masochisme, parle aussi de« dilatation un peu excessive de l'ego». Mais non ! Ce serait trop
beau. En fait, Maurice Druon, en comparaison duquel M. Perrichon verrait s'évanouir son ridicule, qui n'a jamais écrit ses livres tout seul, mais n'en faillit pas moins avoir le prix Staline
avant de devenir le chantre de la dictature d'Hassan II, visait François Bayrou !
Ce dernier a commis, à ses yeux, un crime inexpiable qui en fait un« traître à la patrie», un homme« qui persévère à desservir les intérêts supérieurs de la France»: il a osé se distancier de la
droite conservatrice ! Un homme qui provoque de tels cris de haine de la part de Druon (et à la une du Figaro) peut-il être totalement mauvais ?
Samedi 31 Juillet 2004 - 00:00
François Darras
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Tags : druon, m. perrichon