C’est fou quand même cette impression répétée qu’on peut avoir, parfois, que les politiciens "de gauche" et nous, on ne vit pas toujours sur la même planète. Parfois, le ras le bol et le désespoir me saisissent, en tant que militante. J’ai envie de baisser les bras. De tout plaquer.
Pourquoi le mousse souque si le capitaine tient pas le bon bout, on s’demande?
Quand je vois le nombre d’entre nous qui, avec leurs petits moyens, essaient de tisser la solidarité, mènent les combats sur plusieurs fronts à la fois, sans parler de leur famille, de leur vie quoi, le tout en n’ayant pas des moyens de députés, sénateurs, conseillers généraux....et que, eux, justement, ils semblent trop souvent cantonnés au minimum syndical...
On leur demande pas grand- chose pourtant.
Des petits coups de pouce. D’attirer un peu de la lumière et des caméras qui les suivent, sur certaines causes, certains combats.
Des combats unificateurs. Qui nous concernent toutes et tous, au-delà des partis, au-delà des étiquettes.
Y’en a une qui me tient à cœur, à moi et à bien d’autres, c’est la lutte contre la répression policière, organisée à l’ère sarkozyste.
Cette lutte contre la répression, contre le tout-pénal, contre le tout-répressif, elle a commencé il y a bien longtemps déjà, pour beaucoup d’entre nous.
Dès les fameuses "lois Perben". Contre la réduction des droits syndicaux, ensuite. Contre les fichages de toutes sortes. Contre tout ce qui était susceptible d’asseoir un État policier, contre tout ce qui pouvait constituer des freins à la liberté d’expression, à la liberté de manifester, au droit de grève...
Pour nombre d’entre nous, ces luttes ont toujours été fondamentales, au sens strict.
Sans ces libertés-là, difficile ensuite, en période de crise aigüe, de manifester, comme on en a le droit, et même le devoir, contre le capitalisme, contre la droite, pour son travail, pour son salaire...sans se prendre un (ou deux ou trois) coup de matraque, sans faire un tour en gardav’, sans se retrouver fiché, inculpé...
Dur de se rassembler librement pour crier sa colère, exiger des comptes de nos mandataires, ou tout simplement, discuter entre voisins sur le prix exorbitant des loyers dans la cage d’escalier...
Alors, manifester devant l’Assemblée Nationale (ce qu’il faudrait faire, pourtant, plutôt que de rendre visite à la Bastille..) - mais vous n’y pensez pas !?
Pour ces derniers mois, faisons une liste, non exhaustive :
- Saint Nazaire le 29 janvier : des dizaines d’arrestation, 4 manifestants condamnés à des amendes de plusieurs centaines d’euros et à des sursis lourds.1 manifestant condamné à de la prison ferme avec mandat de dépôt, récemment libéré.
- Place de la Nation à Paris le 19 mars : des centaines d’arrestations, 49 inculpés, déjà deux condamnés au moins à du sursis allant jusqu’à 6 mois.
- Strasbourg, sommet de l’OTAN, le 5 avril : là encore, des centaines d’arrestations, et 49 inculpés.
Que se passera-t-il le 1er mai prochain, dites-moi, à ce tarif là?
Des centaines d’arrestations dans des conditions "plus que pas claires", comme dirait une camarade.
Des dizaines d’inculpations reposant presque toutes exclusivement sur des dépositions policières.
Des peines déjà prononcées allant de la prison ferme à de longs mois de sursis, sans parler des interdictions de manifester et de participer à des manifestations, pour "violence aggravée" sur "agents de la force de l’ordre".
"Violence aggravée"?
Au pire, imaginons, je ne dis pas que j’ai la vérité, non, la vérité avec un grand "V", je ne la connais pas, bien sûr, mais allez, un ou deux jets de canette (vide) par un gringalet en tee-shirt, sur un policier caparaçonné de la tête aux pieds, en réaction instinctive et spontanée, face à un gros gazage devant les portes fermées d’un métro complice...ça mériterait donc 6 mois de prison avec sursis, aujourd’hui?
Et puis, je rappelle quand même qu’il n’y a eu, heureusement, aucun blessé grave à déplorer parmi les dites forces de l’ordre, à Paris, le 19 mars.
Certes, il y a eu quelques blessés, plutôt légers d’ailleurs, à Saint Nazaire et à Strasbourg, le gros des éclopés étant quand même à comptabiliser du côté des manifestants...
On se dit que, forcément, de vrais dangereux "casseurs" d’ultra-hyper-extrême-gauche, organisés, ils auraient peut être fait plus de dégâts que ça...
Peut être. Je n’en sais rien. Je n’en connais aucun dans mon entourage. J’imagine.
Quand on voit, sur les photos d’archives, comment les camarades antifascistes, communistes, italiens, espagnols ou allemands allaient en manif’ dans les années 70/80, casqués, bottés, armés (et pas pour rire) de clefs anglaises, de manches de pioche, de cocktails molotovs, de frondes qui tiraient des roulements ou des boulons...
Ou, plus proche de nous, quand on voit ce que les gendarmes se sont pris dans la tête en Corse il y a quelques jours, on est en droit de se poser des questions sur l’appréciation que certains ont de la dangerosité d’une "action", à supposer que cette action" existe réellement, bien sûr, ce qui est loin d’être démontré.
Surtout quand on voit, ensuite, le regard incrédule et un peu paniqué des dits "casseurs", Julien, Alexandre, ou Carine*, par exemple, tous "inculpés du 19 mars", âgés de moins de 21 ans, qui pensaient, un peu bêtement, c’est vrai, qu’ils pouvaient rester là, tranquilles, après la manif.
Se faire un sit-in un peu ambiance "peace and love"...
Qui, a 20 ans , n’a jamais rêvé de ces moments que connurent nos parents ou nos grands- parents? Front Popu, Mai 68, Woodstock...que sais-je, mais tous ces moments où on semble vivre en communauté et où les cœurs battent à l’unisson...
A lire les journaux, à écouter la TV, on pourrait croire que tous ces manifestants étaient de dangereux terroristes d’ultra-hyper-extrême gauche, pris la main dans le sang et le couteau entre les dents, multi-récidivistes chevronnés ayant déjà accroché plusieurs scalps de CRS à leurs ceintures, avec des casiers comme des bottins téléphoniques....
Mais non ! Même pas.
On se frotte les yeux pour bien voir...
Et on voit quoi?
On voit des syndicalistes. De "bons pères de famille". Des types et des nanas qui se bagarrent dans leurs boîtes contre les patrons, qui en ont marre de se faire plumer. L’un d’entre eux, un "historique" de la CGT Saint -Nazaire, Guy Texier, a bien témoigné de ce qu’il avait vu le 29 janvier.
De jeunes étudiants, "primo-délinquants" comme on dit (manière déjà ambigüe de dire que leur casier est VIERGE et qu’ils ne sont jamais passés par la case "tribunal".)
Quelques militants, rares, qui ont déjà un casier , oh, mais pas lourd, pour les mêmes "violences sur les forces de l’ordre".
On voit des gens dont c’était la première manifestation parfois, et qui se demandent ce qu’ils foutent là, de la lacrymo plein les mirettes, dans ce qui ressemble à un traquenard....
Bref , de tout, mais pas l’ombre de la queue d’un dangereux "casseur", d’un affreux terroriste. D’un danger pour la République. D’une menace pour la démocratie.
Alors, nous, les petites fourmis militantes, à la base, ensemble, coco, toto, anar, socialo, syndicalo...on essaie de construire notre défense, celle de nos enfants, de nos potes, de nos vieux, de nos semblables, contre ce qui ressemble de plus en plus à une stratégie organisée pour criminaliser le mouvement social et nous ficher une trouille bleue.
On regarde, éberlués, des vidéos étranges où l’on voit, à Strasbourg, ce qui semble être des représentants des forces de l’ordre jeter des cailloux sur la foule, à Londres, un groupe de policiers s’en prendre à coups de pieds et de matraque à un vieux qui passe sous le nez de leur patrouille, qui décèdera quelques minutes plus tard, plus loin...
On lit le témoignage d’un policier (oui, vous avez bien lu) sur l’incendie de l’hôtel Ibis, toujours à Strasbourg. Édifiant.
A Nation, le 19 mars, on voit de drôles de types, plus si jeunes, toujours sur ces foutues vidéos, des types qui ne sont pas habillés comme des gendarmes, mais qui n’ont pas l’air d’avoir peur d’eux, des types qui ne ressemblent pas franchement à des étudiants en goguette, qui semblent se situer à une frontière mouvante entre manifestants et policiers, frontière qu’ils sont les seuls à franchir assez allègrement d’ailleurs, dans un sens, puis dans l’autre, une barre de fer à la main, pour certains...
On se passe l’histoire de ce jeune allocataire moniteur de la Sorbonne, Clément Onimus, qui est accusé d’avoir jeté une bouteille à un policier et qui fait un appel à témoignages, appel même relayé par la présidence de l’Université Paris-4 !
On bosse.
Et on attend, aussi.
On attend toujours.
Que "la gauche" se saisisse vraiment du problème.
On attend que le PCF signe les appels anti-répression. On attend que "Désirs d’Avenir", que le PS, les signent aussi. On attend que la CGT, FO... les signent aussi.
Celui lancé pour les inculpés du 19 mars, par exemple, attend toujours les paraphes de la plupart d’entre eux - camarades militants, harcelez vos organisations respectives !
Et plus que de les signer, on attend qu’ils désignent dans leurs organisations, au moins une personne chargée de faire le lien entre eux et le mouvement anti-répression.
On attend qu’ils désignent chez eux au moins une personne chargée de traiter des questions des libertés publiques.
On attend, voire, qu’ils nous proposent un soutien matériel, financier, même pas grand chose, mais un petit peu.
On attend que Mme Royal, la mère de toute la Patrie, monte (légitimement) sur ses grands chevaux, pour dénoncer cette répression qui s’abat sur des gamins qui pourraient être ses fils.
Qu’elle nous demande pardon à nous aussi, tous les pauvres prolos, tous les jeunes, tous les exploités, qui s’en prennent plein la gueule, au nom de cette France qu’elle dit représenter et qui n’a pas voté Sarkozy, mais qui a perdu.
On attend que les secrétaires nationaux du PCF fassent un geste fort, autre qu’un tract sujet à caution, un geste de solidarité qui nous montre qu’ils ne sont pas exclusivement tournés vers le Front de Gauche, et pas exclusivement préoccupés par les Européennes.
On attend que M. Mélenchon utilise son évidente aptitude à la parole publique, ses tribunes, ses blogs et sites, ses réseaux pour dénoncer cette répression, et soutenir le mouvement qui se dessine ici et là.
On attend que M Le Hyaric et M Laurent utilisent "l’Humanité", "Regards", pour nous apporter ce soutien.
On attend que Cl. Autain sorte de son fief Montreuillois, et mette sa gouaille, sa personnalité, ses micros, son blog au service d’une cause importante, juste. Plus on est de fous plus on rit...
On attend que Mme Aubry et M Hamon, M Désir... et tous ces gens qui essaient de nous acheter à nouveau nos "voix" (et plus si affinités) pour redorer leur blason, fassent quelque chose pour NOUS, nous les militants, nous les badauds, nous les prolos...pour nous protéger des coups (au propre et au figuré) du pouvoir sarkozyste.
On attend que les (nos) organisations syndicales se saisissent sérieusement du problème.
Alors, qu’est-ce que vous attendez toutes et tous, nom d’un chien, soi disant "de gauche", pour vous manifester, pour nous soutenir, pour soutenir les inculpés, pour soulever le problème dans les médias? Faire entendre une autre voix? Donner un autre "son de cloche"?
Il faudra combien de noms sur la liste, après Yldune Lévy, Julien Coupat...?
Vous attendez quoi?
Un deuxième Malik Oussekine?
Un autre 8 février 1962, où des manifestants pacifiques mourront étouffés contre les grilles du métro?
Vous attendez qu’un petit jeune (ou un petit vieux) reste sur le carreau, pour vous indigner "durablement"? Et décider, enfin, de quel côté vous êtes?
Avez-vous oublié qui sont nos ennemis et de quoi ils sont capables?
Vous croyez qu’ils ont changé parce que vous, vous avez, hélas, bel et bien "changé", depuis 30 ans.
Mais "eux", non, ils n’ont pas changé d’un poil.
Au fond, si on gratte juste un peu, ce sont toujours les mêmes synarques, les mêmes cagoulards, les mêmes liguards, anciens proches ou membres d’Occident, d’Ordre Nouveau, barons du capitalisme pur et dur, piaffant, pour certains, de faire connaître enfin à la France son "heure fasciste"....
Vous qui irez au Mur des Fédérés le 1er mai, rappelez-vous, ceux qui nous font face aujourd’hui, ce sont les héritiers directs des Versaillais qui massacrèrent la Commune de Paris !
A quoi sert la mémoire si on ne tire pas d’enseignements de l’Histoire?
A quoi sert de commémorer, si on ne sait pas prolonger?
Que des citoyens non politisés ne pigent pas ça, admettons, mais vous ! (Et après, vous vous demanderez, plus ou moins benoîtement, le soir du 7 juin, "mais pourquoi donc y-t-il plus de 50 % d’abstention aux élections européennes", ou "pourquoi le peuple ne nous aime plus"?....)
La Louve
* Les prénoms ont été modifiés