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Quand on a eu un enfant, et surtout, plusieurs, on ne peut manquer d'être interpellé par le manque de ce que les nullipares appellent "le sommeil." J'ai comme l'impression que ce sujet anecdotique n'est pas vraiment abordé dans la vie de tous les jours jusqu'à ce que le pauvre nouveau parent, en l'occurence souvent la nouvelle parente, ne découvre qu'elle avait bien de la chance, avant, de pouvoir dormir tout son saoûl.
Je vous parle de cela en connaissance de cause : quatre enfants, deux problèmes de sommeil différents, un plus difficile que l'autre, mais tout de même : cela représente en ce qui me concerne une petite dizaine d'années de sommeil tronqué, de réveils intempestifs et de nuits trop courtes.
L'aîné et la dernière m'ont et me font encore tourner en bourrique la nuit, encadrant deux sonneurs que rien n'a jamais pu réveiller même un verre d'eau froide dans la figure au petit matin.
Et ce sujet est drôlement important. Personne ne vous en parle mais le sommeil de votre enfant va conditionner la qualité de votre vie et ce pendant des années. Car si vous travaillez, vous devez vous lever le matin et embrayer sur une journée "dynamique", alors que vos nuits peuvent facilement être dégueulassées depuis des mois. Si vous ne "travaillez pas", c'est à dire que vous bossez comme une malade à élever vos enfants vous-même à la maison tout en faisant tourner bien souvent sans aide maritale le dit logis, vous êtes tout aussi crevée et avez tout autant de choses à faire mais là tout le monde s'en fiche.
Malheureusement les parents, uniquement la mère en ce qui concerne mon expérience, avons des antennes et sommes immédiatement réveillées dès que nos rejetons éprouvent le moindre désagrément. Quand ils sont bébés, pas de problème. La civilisation toute entière trouve normal qu'un bébé crie, et vous vous y attendiez aussi. Le problème est que parfois cela dure.
Sur quatre enfants, c'est donc mon premier qui m'a donné particulièrement du fil à retordre. Il faut dire que ces pauvres aînés, tout préparé que l'on puisse être sans avoir encore vécu rien de concret question bébé, épongent le maximum de notre stress et de notre manque de pratique.
Mon petit a commencé à hurler toutes les nuits, trois à quatre fois au minimum, pendant au moins trois ans. Il a complètement arrêté vers cinq ou six ans. J'ai cru que j'allais le passer par la fenêtre.
Les faits étaient là : un petit frère pour son 1 an, une grande promiscuité puisque nous n'avions qu'une seule chambre pour tout le monde, un mère primipare à sa naissance et très stressée. Ca a bien changé. Comme quoi le métier finit par rentrer.
Tout ça pour vous dire que l'affreux sommeil de cet enfant m'a pourri des années nocturnes. A la fin je ne savais plus où j'habitais. C'était la poussette qui m'emmenait on ne savait où. J'ai tout essayé : homéopathie, psychologues, psychiatres, Necker enfants malades, le bourrage de nourriture, le prendre dans notre lit. Il était en parfaite santé. Moi par contre j'avais intérêt à être jeune. Ca tombait bien, je l'étais.
Personne ne m'a jamais rien dit de significatif. Mon gamin continuait à hurler comme un perdu trois, quatre, cinq fois par nuit, et ça a duré des années. A côté, son frère cadet dormait du sommeil du juste. A huit ans il ne s'est jamais encore levé une seule fois la nuit. Le troisième non plus.
Après plusieurs années de recherche, de rendez-vous avec des spécialistes et même une authentique période de surmenage, je suis tombée par hasard sur un article de la spécialiste Elisabeth Roudinesco, qui avait travaillé notamment sur les troubles du sommeil. Elle émettait l'hypothèse que l'enfant non nourrisson criant la nuit au point de faire penser à des terreurs nocturnes, essaierait en réalité de rassurer des parents ayant eu de fortes angoisses en terme de mort subite du nourrisson. Il crierait comme pour dire : "Au fait, je suis vivant maman, pas de problème!"
Et vous vous ne dormez pas, mais vous êtes inconsciemment rassurée. Vous avez juste envie de le tuer vous-même.
C'était l'explication la plus plausible nous concernant que j'aie jamais lue. Car petite femme inexpérimentée pour cause d'un assez grand isolement social dans mon jeune temps et d'une absence presque totale de très jeunes enfants dans mon entourage, je m'étais pourtant bien doutée que j'aurais un jour le projet d'avoir des bambins et je m'étais immergée dans les médias et la littérature à ce sujet à m'en rendre marteau. Enfant magazine, Parent, Famili, ouvrages de pédiatrie, de psychologie, de psychanalyse, de puériculture : j'ai tout avalé, et chacun plusieurs fois, depuis mes 17 ou 18 ans. La pression médiatique a parfaitement fonctionné dans mon cas, les émissions sur la mauvaise parentalité, la responsabilité écrasante qui pesait sur les parents, ma propre vie familiale particulièrement mal réussie, les phrases de Freud tournant en boucle dans ma mémoire ("Faites ce que vous pouvez, Madame, de toute façon vous le ferez mal.") et notamment le thème maintes fois abordé dans les médias de "la mort subite du nourrisson."
Il fallait que le bébé dorme uniquement sur le dos, au contraire de ce qui se pratiquait 25 ans auparavant, il ne lui fallait pas de couvertures, pas d'oreiller, pas plus de 19 °, pas trop de vêtements... Il était extrêmement dangereux d'être bébé dans ce bas monde et je me demandais comment j'avais bien pu survivre avec un tel manque d'information pour mes pauvres parents adolescents et campagnards. Un coup de bol, assurément.
Quand Eudes avait un rhume je ne dormais pas. On ne dit pas assez combien les jeunes mères peuvent être stressées et totalement désarmées face à tout ce qu'il y a à faire. Or, elles sont souvent seules, comme si la maternité était une science infuse. Pas du tout. Nous sommes comme tout le monde : nous ne naissons pas avec la capacité intrinsèque de repasser, confectionner un soufflé au fromage ou changer la couche d'un tout jeune bébé. Ca nous fait peur au début comme à n'importe qui, et souvent nous ne savons pas comment faire.
Je parlais hier avec une amie qui me disait quel coup de stress elle avait ressenti en se rendant compte qu'elle ne savait absolument pas de combien de vêtements elle avait besoin pour vêtir sa fille, le premier mois, entre chaque machine à laver. Trois bodies, quatre, six, huit ? Trois pyjamas, dix ? Tout le monde n'a pas les moyens de la folle que j'étais qui achetait un vêtement à son môme à peu près chaque jour (comme ça je n'avais pas besoin de compter, et d'ailleurs je n'avais pas de machine à laver..)
Moi j'avais peur de la mort subite du nourrisson, et je m'imaginais qu'en le surveillant en permanence, j'arriverais à l'éviter. Je me penchais sur lui et retenais ma respiration pour l'entendre, je posais ma main sur sa petite poitrine pour sentir son mouvement, je le regardais toutes les deux minutes, je me levais la nuit pour l'observer, je me promenais toute la journée avec mon enfant dans son porte-bébé. Je me rendais dingue.
Et, à 18 mois, il a commencé à hurler toutes les nuits jusqu'à quatre, cinq ans.
Cet article m'a fait l'effet de 20 ans de psychanalyse en bonne et due forme. Je n'ai pas tardé à déclarer à ma tête de pioche, avec lequel je commençais d'ailleurs à nouer une relation plutôt houleuse, que maintenant il pouvait dormir tranquille, je n'avais plus peur. Je lui ai raconté l'effroi et le stress que j'avais eu quand il était bébé et je fis mon mea culpa. Si j'avais su qu'il aurait réagi ainsi jamais je n'aurais manifesté un tel cirque. Comme dit mon mari, la peur n'évite pas le danger.
Mon fils s'est calmé, comme quoi les médias ont parfois aussi vraiment du bon. Merci Elisabeth!
Pour le deuxième j'étais de toute façon tellement épuisée que je ne tournais même pas la tête sans qu'une bonne raison ne m'y oblige, comme par exemple pour le bruit d'une bombe qui serait tombée devant l'immeuble. J'étais tellement fatiguée (et devenue tellement compétente) que je ne pensais plus à mes gestes et que cet enfant a été élevé à la vitesse de l'éclair. Je ne me souviens même plus de lui bébé. Un an d'écart, ce n'est pas assez, à moins d'être aidée. Mais moi j'étais toujours toute seule, à part quelques copines qui avaient leur part de boulot avec leurs propres moufflets. Si vous connaissez une jeune mère aux enfants rapprochés, pensez à moi et aidez la! Ce n'est pas compliqué de proposer quelques soirées de baby-sitting pour qu'elle puisse souffler, lui payer quelques heures de ménage au lieu de lui offrir un objet hors de prix, venir lui tenir compagnie quelques après-midi et lui prêter main-forte avec l'aîné. La jeune mère a besoin de temps pour elle et d'un coup de main avec les enfants, pas de fleurs, chocolats ou crèmes de beauté hors de prix (mais vous pouvez aussi les offrir.)
Les hommes ne comprennent pas ça de manière générale, qui s'escriment alors encore plus tard au boulot dans l'illusion de ramener ainsi plus d'argent, alors que leur épouse se zombifie à la maison avec ses gosses rapprochés. Je n'ai rien fait dans ma vie de plus dur que ça, avoir deux bébés en un an. Manque de sommeil, manutention permanente, organisation fiable heure par heure : un véritable défi humain que je ne conseille à personne, à moins d'avoir un employé de maison et un entourage serviable, comme des parents ou des beaux-parents disponibles qui vous prennent un peu les aînés, un mari qui comprend de quoi il est question, et quelqu'un pour votre repassage, sans compter les courses à domicile.
En tout cas ce petit cadet qui a été élevé par une mère trop épuisée pour le regarder a eu d'autres soucis, mais pas de sommeil. Le troisième non plus, mais là j'étais vraiment contente de m'arrêter de nouveau de travailler pour lui. Les deux premiers étaient à la crèche et à l'école. Ce fut la séquence grossesse la plus facile pour moi.
Et puis, pour la quatrième et dernière enfant de cette petite famille, quelque chose a encore buggué. Oh, rien de bien méchant ! Mais la preuve que l'on peut avoir mis quatre enfants au monde et avoir parfois encore de l'air pur dans le cerveau à l'endroit du bon sens.
Quand je suis allée au premier rendez-vous médical après la naissance de la petite, c'est une femme qui m'a reçue. Elle m'a trouvé mauvaise mine. Moi je ne trouvais pas. Elle a affirmé que ça se voyait bien que je manquais de sommeil et qu'il allait falloir prendre les choses en main.
C'était un discours nouveau. Jusqu'à présent je trouvais normal d'être épuisée pendant des mois après la naissance d'un enfant. Avec l'air de celle à qui on ne la fait pas, elle m'a expliqué qu'avec trois enfants en bas âges à la maison, un nouveau-né et pas d'aide, je devais arrêter les conneries dormir la nuit. C'était une question de salubrité publique. Je ne pouvais qu'être d'accord en mon for intérieur avec ces propos : un jour dans la rue, après mon troisième bébé, je m'étais avancée avec ma poussette sur le passage piéton, comme ça, sans me préoccuper des feux aux couleurs de l'arlequin, au risque de me faire insulter par la populace. Suicide? Non, épuisement de la jeune mère à laquelle personne ne donne jamais un coup de main.
Cette dame m'a expliqué que mon nourrisson faisait un bon poids, plus de 3,6 kilos, et que donc il était capable de passer une nuit sans manger. Moi, il fallait que je dorme. Elle m'a demandé si je m'en sentais capable. Pas du tout. Ne sommes-nous pas programmées, telles des mères pélicanes, à nous sacrifier avec l'aval et dans l'indifférence de l'ensemble de la société, pour le bien-être de ce pauvre petit bébé appelé sinon à depenser sa future paie chez des psys de tous poils?
Mais j'ai essayé. Si le bébé a un poids correct, s'il est en bonne santé, s'il a à manger tout ce qu'il veut dans la journée, il est prêt à laisser sa mère dormir en théorie. Celle-ci doit juste se persuader qu'elle doit dormir, faire l'effort de faire confiance à la force des choses, ne pas se lever,...Et pour nous ça a marché. La petite a fait ses nuits, et elle n'est pas devenue obèse.
Tout allait très bien dans le meilleur des mondes quand peu après ses deux ans et demi Mademoiselle s'est mise à avoir des vélléités de dormir avec moi. A nous réveiller toutes les nuits vers 4, 5 heures. A nous coller de jour comme de nuit. Les soirées, elle les passe sur son père lui-même sur un film. Les journées, elle m'escalade devant l'ordi, veut se faire porter, bref elle est collante, très collante. Je crains que sa première phrase distincte ne soit : "Mais laisse-moi tranquille!" pour ne pas dire "Casse-toi!"
Je m'en plaignais tant et tant, sans rien faire de concret, à la directrice de la garderie où va Nina deux jours par semaine, qu'elle a fini par me donner les coordonnées d'un psy de sa connaissance, "bon pour le sommeil".
J'ai été reçue en réalité par un "psychanalyste" au rez-de-chaussée d'un bel immeuble de Verte-Ville, où on m'a priée de m'asseoir dans un des deux beaux canapés vert et violet de la pièce. Ma fille pouvait prendre place dans un ravissant fauteuil recouvert d'une tapisserie aux motifs anciens. Ce monsieur avait l'air calme et sympathique. Tout s'annonçait bien. Nous avons discuté pendant trois quarts d'heure pour arriver à sa conclusion : cette petite avait trop empiété sur notre vie privée. Nous devions la raccompagner dans son lit fermement autant que nécessaire. Ce n'était pas parce que j'étais à la maison qu'elle pouvait m'escalader à loisir. Nous devions être ferme et la coucher une bonne fois, dans notre lit pourquoi pas dans un premier temps, si nous craignions qu'elle n'empêche ses frères de dormir (car ils n'ont toujours qu'une chambre.) S'occuper de quatre enfants demandaient certes beaucoup d'énergie, mais il allait falloir encore en trouver pour la coucher, être ferme sur ce point, et la raccompagner dans son lit autant que nécessaire.
Croyez-moi si vous voulez mais ça a marché. Finalement quand on est sûr de ce que l'on veut les enfants sont plus dociles.
Dix ans d'expérience, quatre enfants et 60 euros pour en arriver à la même conclusion que mon mari, lui qui va de manière générale dans tout manu militari, ça vaut son pesant de cacahuètes et il fallait que je vous en parle.
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