Les soirées au Théâtre de la Ville sont souvent un régal. J’y ai toujours vu des spectacles de très grande qualité et si certains ne m’ont pas plu, ce n’est pas en raison d’un défaut, d’un manque quelconque ou d’une mauvaise exécution, mais plutôt parce que la chorégraphie, bien qu’excellente, m’avait heurté, repoussé ou simplement que je ne l’avais pas comprise.
Je ne connaissais pas encore le travail de Forsythe. La soirée d’hier allait remédier à cette lacune puisque nous étaient présentées trois œuvres représentant 10 ans de création :
- Second Detail, créé en 1991,
- Duo créé en 1996,
- One Flat Thing, reproduced créé en 2000.
Chacun des trois ballets sont illustrés par une musique de Thom Willems avec qui Forsythe travaille depuis bientôt 25 ans. Cette musique, électronique et nerveuse dans les premier et troisième ballets, se fait beaucoup plus discrète, presque absente durant le duo.
Ici, Forsythe a déployé son talent dans la lenteur, parfois percée de quelques fulgurances fugaces. les deux ballerines dansent à l’unisson, dans un mouvement qui n’a rien de doux, qui tord et retord les membres, le dos, le cou. les pointes sont tenues, les jambes levées jusqu’à la limite du corps. les muscles tremblent parfois, la sueur coule. Pourtant, aucune disgrâce, rien de laid. Se dégage de Duo une fascination pour un travail qui ne supporte pas la moindre erreur, pas la plus petite approximation. Sans se regarder dans les yeux, par le simple travail - simple ! pardon mesdames pour ce pauvre langage qui ne peut rendre l’importance de votre travail - de la respiration ,elles se coordonnent, se mettent à la même mesure, la même aune. le résultat est un moment unique, un de ces rares moments où la réalité s’efface devant une oeuvre d’art qui vous chope, vous absorbe et vous emmène dans son univers. J’avais oublié Paris, la salle, mes voisins. J’étais face à Duo, à l’intérieur de Duo. Les pas, la musique presque timide, les inspirations et expirations sèches et contrôles de ces deux merveilles de la danse de ballet, tout cela constituait à ce moment mon unique réalité. Incroyable. Une oeuvre de génie interprétée par deux grandes : Maïté Cebrian Abad et Dorothée Delable.
La stupeur de la salle s’est effondrée dans des applaudissements frénétiques auxquels les deux ballerines ont répondu en saluant simplement, un sourire sans fioriture sur les lèvres. Pas d’exultation, la joie d’avoir partagé cela avec nous. Je crois qu’elles n’en étaient pas encore sorties ...
Pour le dernier ballet, le plus récent, les 14 danseurs étaient de retour sur scène. Après avoir au début du ballet, mis en place un damier de tables sur des emplacements précisément définis, ils sont venus danser entre ces meubles massifs, au plateau de bois et aux pieds de métal lourd, danser entre, danser sur, danser sous. Le tout dans une vitesse et une maestria qui a scotché toute la salle. la moindre faute aurait conduit le danseur étourdi à une blessure, parfois grave. A ce niveau de difficulté dans les mouvements, de vitesse dans l’exécution, de coordination entre les danseurs, rien de moins que la perfection n’est possible. One Flat Thing, reproduced est à la frontière entre la danse de ballet, la danse contemporaine, la performance athlétique, la folie de la transe primitive.
J’ai passé une soirée extraordinaire. Forsythe et le corps de ballet de Lyon ont prouvé, si cela était encore nécessaire, que la danse de ballet n’est pas morte mais que bien au contraire, elle a su, elle sait se renouveler, se régénérer, se réinventer sans cesse. Dépouillée de son apparat de tutus et dorures du passé, elle est toujours là, vivante, tonique, au moins aussi inventive que la danse contemporaine. Forsythe est un maitre, un de ceux qui inspirant les nouvelles générations. L’opéra de Lyon est chanceux d’avoir tant de ses oeuvres au répertoire. Chanceux aussi d’avoir une telle troupe de jeunes danseurs dont le talent, le niveau technique et artistique ne cède en rien à celui du corps de ballet de l’Opéra de paris, pourtant considéré comme l’un des tout premiers au monde.
Si vous habitez Lyon, allez les voir, donnez leur la chance de vous montrer ce qu’ils savent faire. Laissez leur vous montrer ce qu’est la danse de ballet contemporaine. C’est une grande troupe et chacun d’eux méritait mercredi mes applaudissements débridés. A travers cet article, j’essaie aujourd’hui de leur dire à nouveau merci. C’est bien le moins que je puisse faire, pour cette soirée de perfection.
Manuel Atréide
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