Réalisateur souvent acclamé, Bertrand Tavernier n'a pourtant rien produit d'exceptionnel depuis le début des années 80, fin de la période L'horloger de Saint-Paul / Le juge et l'assassin / Coup de torchon. Il s'est depuis enfermé dans une platitude que beaucoup ont pris pour du classicisme, traitant avec bien-pensance et démagogie un certain nombre de marronniers (c'est dur d'être un instit, c'est pénible d'être un flic, c'est chaud d'adopter un enfant). Autant dire que le voir s'enfuir aux États-Unis pour adapter un polar avec Tommy Lee Jones avait tout d'une excellente nouvelle, le projet ressemblant à une tentative de casser cette filmographie léthargique. S'il ne livre pas le film du siècle, Tavernier prouve cependant qu'il a de forts beaux restes et qu'il n'est jamais aussi bon que quand il est porté par une intrigue plutôt que par des intentions.
Et pourtant, avec Dans la brume électrique, c'est l'atmosphère qui prime, la brume des bayous de New Iberia étant le décor rêvé (et curieusement inexploité jusque là) pour un film noir. Tavernier la filme simplement, sans réel parti pris mais avec une certaine efficacité. Cependant, ses limites ne tardent à apparaître lorsqu'il s'agit de basculer dans l'onirisme, le héros voyant régulièrement apparaître devant lui un personnage mort depuis bien longtemps. Ce serait presque ridicule s'il n'y avait les yeux de Tommy Lee Jones, capables de vous faire croire à n'importe quoi. Du haut de sa présence exceptionnelle, l'acteur confirme qu'il prend de l'ampleur en prenant de l'âge. De Trois enterrements en Vallée d'Elah, il n'a jamais été aussi passionnant. Autour de lui, John Goodman, Peter Sarsgaard et Kelly Macdonald sont également convaincants.
Sur le fond, Dans la brume électrique ressemble un peu à The pledge, le fabuleux anti-polar de Sean Penn, où une séquence de course-poursuite pouvait très bien être encadrée par deux parties de pêche (tiens, ce sont les mêmes scénaristes). Ici aussi le film prend son temps, le flic vieillissant ayant besoin de boire un verre (sans alcool, attention) avec ceux qu'ils rencontre afin de mieux les cerner. Ce qui fonctionnait à plein tube chez Penn est ici un peu plus laborieux par endroits, même si les face-à-face Jones / Goodman sont juste délicieux, cruels et teintés de mauvais esprit. L'intrigue est suffisamment costaude pour nous promener pendant pas loin de deux heures, et la résolution pas idiote. Ce qui gène en fait, outre l'absence de rythme, c'est ce besoin vendu comme essentiel de plonger ce petit monde dans la Louisiane de l'après Katrina, comme si le passage de l'ouragan allait déterminer l'un ou l'autre des comportements des protagonistes. C'est aussi idiot que dans L'étrange histoire de Benjamin Button ou le dernier tube sans rime de Bénabar. La lourdeur est décidément le maître-mot de la carrière de Tavernier, dont il faut néanmoins souhaiter qu'il réitère ce genre d'expérience.
6/10
(autre critique sur Sur la route du cinéma)