Ponyo sur la falaise : Une vague de simplicité pour un sommet artistique

Publié le 15 avril 2009 par Boustoune


Nouveau long-métrage d’Hayao Miyazaki, le génie de l’animation japonaise, Ponyo sur la falaise frappe d’emblée par son environnement graphique épuré, ses personnages aux lignes rudimentaires, « à l’ancienne », ses décors crayonnés aux tons pastels. On est loin des films d’animation 3D d’aujourd’hui, où chaque brin d’herbe, chaque cheveux, est animé par ordinateur. Loin, également, de la richesse visuelle de ses œuvres précédentes. Comme si, après avoir signé des œuvres d’animation de plus en plus complexes et ambitieuses, dont l’apogée, du moins en termes de moyens, fut Le château ambulant, le cinéaste nippon avait éprouvé le besoin de revenir à davantage de simplicité, au niveau du fond comme de la forme. Car ce changement de style, qui tend donc vers plus de dépouillement, accompagne une histoire également beaucoup moins tortueuse, une fable plus accessible à un jeune public.
  
Le scénario s’inspire librement du conte d’Andersen, « La petite sirène » :Mers et océans sont régulés par Fujimoko, un sorcier qui a renoncé à son humanité pour épouser la déesse de la Mer. Elle lui a donné plusieurs enfants, de malicieux petits poissons rouges à figure quasi-humaine, sur lequel il veille jalousement. Sa fille aînée, le jour de ses cinq ans, échappe à sa vigilance et parvient à gagner les côtes, près d’un petit village de pêcheurs. Mais, surprise par la pollution laissée par les hommes, elle se retrouve prisonnière d’un bocal en verre. C’est Sosuke, cinq ans lui aussi, qui va la sortir de là. Il la baptise Ponyo et la porte chez lui, dans une maison en haut de la falaise, tout heureux d’avoir sauvé ce petit poisson à la bouille si expressive. Le jeune garçon lui promet de veiller sur elle, cependant Fujimoko réussit à ramener sa fille dans les profondeurs.
Mais, découvrant qu’elle est capable de prendre une apparence humaine, Ponyo est bien décidée à retrouver son ami Sosuke. En prenant la fuite, elle renverse un des élixirs de Fujimoko, qui a pour effet de transformer les bancs de poissons en déferlantes gigantesques, menaçant d’engloutir tout le village…
Pour que les choses rentrent dans l’ordre, il faut que Ponyo retrouve son état originel, ou accepte de devenir humaine. Mais il lui faut pour cela être aimée d’un amour pur et sincère…
 
Certains verront dans cette fable à la naïveté toute enfantine, pétrie de bons sentiments, une régression du talent de conteur de Miyazaki. Il n’en est rien, évidemment… Car même si on ne retrouve apparemment pas l’amertume et la noirceur qui perçaient dans les films précédents du maître japonais, celui-ci continue de développer les thématiques très personnelles qui jalonnent son oeuvre : le rapport entre les hommes et la nature, la pollution et les problèmes d’écologie, les liens entre les générations - avec toujours la figure dominante de l’obachan, la grand-mère – les liens entre parents et enfants,…
Et toujours ce sens aigu de la poésie et l’utilisation habile des symboles… Ainsi, on peut très bien considérer le film comme une métaphore sur la naissance de l’amour, qui part des profondeurs de l’âme, du cœur de la mer (de la mère ?) puis remonte à la surface en déferlantes d’émotions qui emportent tout sur leur passage…
 
Mais une autre vision des choses est possible, plus sombre, plus pessimiste. Comme nombre des films du cinéaste, Ponyo sur la falaise peut être vu comme une vision de la réalité déformée par un regard d’enfant, embellie de façon à mieux supporter des événements anxiogènes.
On peut penser que cette tempête impressionnante, capable d’engloutir un village entier et de renverser des bateaux est une situation particulièrement effrayante pour un garçon de l’âge de Sosuke, surtout quand son père, un marin-pêcheur est au même moment embarqué sur un cargo, en plein sur la mer déchaînée… Elle l’est déjà pour le public adulte, qui a toujours à l’esprit les images du tsunami meurtrier de fin 2004.
Cette incursion dans le fantastique et le merveilleux n’est peut-être pour le gamin qu’une façon de fuir une réalité sordide et tragique. Si l’on pose que la magie n’existe pas, qu’il n’y a pas de sorcier sous la mer, que le poisson rouge n’a pas visage humain et est encore moins capable de se transformer en fillette, bref, que tout est issu de l’imaginaire très développé de Sosuke, comment interprète-t-on alors les faits ? Le navire de son père a probablement sombré et sa mère, sortie pour aider les pensionnaires de la maison de retraite dans laquelle elle travaille, a vraisemblablement été emportée par les vagues immenses. Le garçonnet lui-même a peut-être péri en essayant de la retrouver. La scène où il pénètre dans le tunnel peut être comprise ainsi. Elle fait en tout cas écho à une scène similaire du Voyage de Chihiro, qui était le point de basculement du récit, dans le rêve ou le fantastique, au choix…
 
Plusieurs choses pourraient étayer cette sombre hypothèse. Déjà, les propos du metteur en scène, qui semblent indiquer qu’il a conçu la scène des retrouvailles finales comme une façon de retrouver sa propre mère, décédée il y a plusieurs années.
Ensuite, la référence au mythe nordique des Valkyries. Avant d’être rebaptisé Ponyo, le poisson-rouge portait le nom de Brunhilde, la plus connues d’entre elles. Les sublimes plages musicales de Joe Isaichi, le fidèle collaborateur du cinéaste, font également référence au mythe puisqu’elles s’inspirent de l’œuvre de Wagner, et notamment de la tétralogie de « L’anneau du Nibelung ». Ainsi, lors de la magnifique séquence du tsunami, Sosuke et sa mère sont poursuivis par des vagues formées de centaines de poissons – les sœurs de Ponyo – sur une musique qui ressemble beaucoup à… « La chevauchée des valkyries »…
Quand on sait que ces divinités mineures étaient chargées d’emmener les âmes des guerriers morts au combat au Walhalla d’Odin, on peut commencer à voir le métrage d’un autre œil. Une histoire de passage vers l’autre monde… Hum, pas très gai, tout ça.
    
Vue sous cet angle, la fin du film n’est plus tout à fait ce happy-end plein de félicité et d’optimisme, mais l’allégorie de la mort et du passage vers l’au-delà. Mais ce n’est pas triste pour autant, Miyazaki affichant sa foi en la promesse d’une vie après la mort, dans un lieu familier où l’on retrouve toutes les personnes que l’on a aimées, où les tracas de santé sont oubliés, où les âmes sont apaisées et où divinités, hommes et éléments naturels vivent en harmonie…

Deux interprétations possibles pour une fin, ce n’est pas si mal pour un petit film destiné aux plus jeunes, non ?
Et cela va encore plus loin, puisque, outre ces considérations sur la vie et la mort, ou sur le côté dérisoire de l’humain face aux éléments naturels, d’autres thématiques sont évoquées en filigrane, comme la responsabilité parentale ou la maternité. On peut ainsi voir cette fable comme l’acceptation par un enfant de la prochaine venue au monde d’une petite sœur, ou comme le besoin d’une présence supplémentaire qui compenserait les absences répétées du film. A ce sujet, on notera aussi l’intrigant parallèle entre la situation de la mère de Sosuke, qui s’occupe seule de son fils en attendant l’improbable retour de son mari, et celle du père de Ponyo, à qui la déesse de la mer a abandonné sa progéniture pour aller parcourir les océans…
Ponyo sur la falaise est un film qui, sous son apparente simplicité, est suffisamment riche pour permettre plusieurs lectures. Chacun peut aisément y trouver son compte, les enfants comme les adultes, les optimistes comme les pessimistes, en fonction de l’angle de vue adopté. On peut évidemment préférer Le voyage de Chihiro ou Princesse Mononoke, mais il serait idiot de sous-estimer cette œuvre forte et admirablement construite, qui confirme, s’il en était besoin, tout le talent d’Hayao Miyazaki.
Note :