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De l’ornement du talent

Publié le 15 avril 2009 par Hortensia

Il n’arrêtait pas de parler. Dès que j’ouvrais la bouche, et même avant, à vrai dire, dès qu’on se serrait la main et avant même d’avoir perçu en moi le moindre relâchement de mes muscles manducateurs, il n’était qu’un moulin de paroles, de palabres, de déglutis à tout venant.. Il me parlait de pizzas, des pizzerias de notre ville, de design, de meubles, de couleurs, de tapis, de textures, d’étoffes, de goût, de Cézanne , de Picasso, de Rembrandt, des Musées, il ne tarissait pas sur les Italiens, il enclenchait sur l’Allemagne, la politique, l’Est, le tournant, les impôts, les montants, les pourcentages, les investissements, les files d’attentes, Mozart, Beethoven et les cycles lunaires. Puis, il se mettait à revenir à nos affaires, et là, le moulin passait à la vitesse supérieure sous un torrent ininterrompu de bruits fraisés, de déglutitions, de regards exorbités… Il m’expliquait tout. Parfois j’entendais, parfois je n’y entendais rien, mais je ne pouvais jamais répondre ! Là était en fait ma plus grande frustration, le voir déglutir tant de pensées, tant de commentaires sur mes trous noirs, ces plombs à dézinguer sans en avaler une miette, cette couronne à poser, ce détartrage à faire absolument !, et de renchérir sur la réunification, l’impôt solidarité, la pluie, les tableaux longs de 3 mètres, … sans pouvoir lui lâcher une once des miennes, de mes expériences, de ma vie. Il me donnait à le connaitre sans rien savoir de moi-même sauf de mes dents jaunes et cariées ! Mieux valait enlever mes lunettes en sa présence, ça giclait de partout… il engueulait parfois ses assistantes, c’était un pro qui ne supportait ni le vide, ni le silence et encore moins le travail mal fait. Ces assistantes étaient de vraies pros. Elles tenaient toutes le mini-aspirateur d’une main ferme et levée, le regard consciencieusement rivé sur mes déglutitions, ma glotte. Rien n’échappait au tuyau blanc transparent, le bruit était omniprésent et couvrait à peine celui de la fraiseuse. Aujourd’hui, je sais que non seulement il était artisan mais aussi tout simplement artiste. Son travail dure encore et encore. J’ai quitté son pays depuis, sinon, bien évidemment, je ne l’aurais  jamais quitté. Aujourd’hui, les spécialistes sans assistante, qui constatent son travail  dans un silence de rigueur et sentencieux, me disent qu’il n’y a rien a dire, c’est du travail de pro… du concentré de moine…   S’ils savaient ce qu’est l’art du travail bien fait !

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