La Triennale de Londres à la Tate Britain est une exposition insipide où le curateur veut avant tout introduire un nouveau concept, l’altermodernisme, vaguement défini et sans consistance. Mais Nicolas Bourriaud est un homme de concepts (d’ailleurs pas un mot sur les artistes sur le site de la Tate, et tout sur Nicolas Bourriaud et son nouveau concept). On erre dans cette exposition à la recherche d’une idée neuve, d’un travail pertinent, de déception en déception. Encore une accumulation de casseroles de Subodh Gupta, encore une esthétique de salon de massage par Gustav Metzger, encore des expériences pseudo scientifiques de Loris Gréaud ou de Walead Beshty, encore un chantier de Bob & Roberta Smith, encore un graphisme de M/M, et le pauvre Marcus Coates qui, en chaman ridicule coiffé d’une peau de blaireau (ou de putois ?) et un lapereau empaillé dans son giron, médite pour résoudre les problèmes de violence juvénile de la ville israélienne de Holon (l’autre ville des Samaritains), qui n’ont rien à voir avec la Palestine bien sûr.
On sort un peu de cette torpeur devant Simon Starling qui fait reconstruire par une sorte de bouche à oreille un meuble de designer, modifié à chaque itération. Le travail de Tacita Dean est aussi plus solide : Russian Ending désigne la fin tragique des films doubles dont l’American ending serait la fin optimiste (voir ce qui arrive au dernier film de Bertrand Tavernier). Il y a là une vingtaine de photographies montrant des désastres réels ou supposés, ici la pollution de Beautiful Sheffield, que Tacita Dean se réapproprie en y inscrivant un nouveau scénario : elle recrée ainsi des histoires tristes, d’autres fins russes mélancoliques.
Mais il sera beaucoup pardonné à Nicolas Bourriaud car, au milieu de ce marais, j’ai trouvé une perle inconnue, Lindsay Seers, une Mauricienne d’une quarantaine d’années qui raconte son histoire, vraie ou inventée. Atteinte du syndrome de la mémoire eidétique, elle enregistrait toutes les images qu’elle voyait, mais par contre fut incapable de parler jusqu’à l’âge de huit ans. La parole fut déclenchée par la vue d’une photo la représentant (’est-ce moi ?’ demanda-t-elle). Perdant alors sa mémoire photographique, elle conçut le projet de devenir une caméra humaine, utilisant sa bouche comme sténopé et ses lèvres comme obturateur: on la voit se contorsionner avec un sac noir qu’elle enfile pour garder le film à l’abri de la lumière (c’est beaucoup plus attirant que les expériences similaires de Jeff Guess, bien moins sensitives). Elle est passée aujourd’hui de la fonction d’enregistrement à celle de projection et émet des images autour d’elle grâce à un dispositif d'’extramission’ : c’est tout à fait réjouissant. La vidéo Extramission 6 (Black Maria) est projetée dans une cabane reproduisant le premier studio de film, celui de Thomas Edison en 1893. Voilà un travail très intéressant sur la photographie, la vérité, l’imaginaire, le souvenir, voilà de la matière à réflexion. Merci Monsieur Bourriaud, après tout, une brebis retrouvée suffit (Luc, 15, 3-7).