Stephen Frears signe avec Chéri, son récent opus, un conte cruel et magnifique, qui séduit peut-être plus qu'il n'émeut, monde futile qui voit l'argent régner en maître et la férocité s'inviter en permanence dans le quotidien de ces femmes légères et vénales. Après Les liaisons dangereuses où Michelle Pfeiffer faisait déjà merveille, Frears nous livre, 20 ans après, une adaptation littéraire de Chéri d'après Colette. Fidèle au milieu dépeint par l'écrivain, il pose sa caméra au coeur du demi monde luxueux des courtisanes de la Belle Epoque et nous introduit au plus secret de la liaison entre Léa de Lonval, dans l'éclat de sa maturité, et le très jeune Fred Peloux, surnommé Chéri. Pour lui, c'est le premier amour ; pour elle, ce sera le dernier.
Frears, dont on connaît la sensibilité attentive et nuancée, mais également la verve satirique, n'a lésiné ni sur le raffinement des costumes de Consolata Boyle, ni sur la splendeur des décors signés Alan MacDonald, ni sur la musique très plaisante que nous dispense le compositeur Alexandre Desplat. Par ailleurs, le scénariste Christophe Hampton a su reproduire le style impressionniste de Colette et son tempo particulier, grâce à une écriture vive comme les battements de coeur des amants baignant ensemble dans les fastes de la fin du XIXe siècle, de même qu'il conduit au grand galop le récit de cette passion amoureuse qui sera lentement empoisonnée par un narcissisme envahissant.
Frears dit à propos de ce film dont il ne cache pas qu'il fût le plus difficile à réaliser de sa carrière : Tout a l'air futile et spirituel chez Colette mais la tristesse se cache sous ce vernis, les sentiments sont suggérés. J'aime les écrans de fumée, ce qui n'est pas dit. Et il avoue qu'il lui a fallu sans cesse osciller entre le champagne, le brillant et le sombre, le tragique.
Ce qui en résulte est un film élégant qui unit avec subtilité la méditation sur le temps qui passe et la comédie de moeurs. S'y exhibe une panoplie de sentiments qui couvre un large spectre, allant de la perversité narquoise à la résignation digne. Dans ce duo qui pourrait très vite sombrer dans le ridicule, Frears, comme l'avait fait Colette, nous rend attachants et proches un jeune dandy creux et décadent et une cocotte délicieuse qui brûle en sa compagnie les derniers feux de sa beauté et nous montre, par là même, que ces gens apparemment frivoles souffrent autant, sinon plus que les autres, pour toutes sortes de raisons que nous n'avons pas de mal à deviner, puisqu'ils ont misé leur existence sur le superflu et l'éphémère.
Michelle Pfeiffer et Stephen Frears
Si le film éblouit par ses qualités esthétiques et la rigueur de sa mise en scène, l'accent doit être mis également sur son interprétation et principalement sur la composition admirable que Michelle Pfeiffer fait de son personnage de séductrice confrontée à son proche déclin. Alors que celui de Chéri, joué par Rupert Friend, manque de conviction et de charisme ( sans doute une erreur de casting ), elle est ni plus ni moins sensationnelle. Encore très belle, mais fragilisée par une fin de règne envisagée avec une fière résignation, elle en trahit la secrète douleur par un regard, un tremblement d'épaule ou, simplement, en se figeant pour mieux exprimer le désarroi des amours finissantes. Cousue sur elle comme la robe de l'ultime apparition, elle colle à son personnage, s'y fond avec une grâce émouvante, toute de retenue et de gravité, de nostalgie et de subite insouciance, et trouve dans ce rôle majeur sa vraie consécration d'actrice. Le film mériterait d'être vu, ne serait-ce que pour elle.
Une mention spéciale pour de Kathy Bates formidable dans celui haut en couleur de Madame Peloux.