C’est presque certain, le Président du Sénat, Bâ Mamadou dit M’Baré va accéder à la Présidence de l’Etat mauritanien dans quelques jours, après la démission imminente du Président du Haut Conseil d’Etat, le général Mohamed Ould Abdel Aziz. Pendant 45 jours, il présidera aux destinées de la Mauritanie jusqu’à l’élection d’un nouveau Président de la République après le scrutin présidentiel du 6 juin 2009.
Mais au fait, qui est Bâ Mamadou dit MBaré, ce négro-mauritanien qui va accéder à la magistrature suprême en Mauritanie ? L’Authentique vous brosse en exclusivité un portrait complet et exhaustif du futur premier président négro-africain de l’histoire du pays.
Les évènements se précipitent en Mauritanie. Le Président du Haut Conseil d’Etat, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, arrivé au pouvoir le 6 août 2008 par une révolution de palais contre le régime démocratique de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, s’apprête à présenter sa démission.
Ce sera avant le 22 avril, ce qui lui permettra de se présenter à l’élection présidentielle prévue le 6 juin 2009, comme le dicte la Constitution. Il sera remplacé par le Président du Sénat, Bâ Mamadou dit M’Baré. D’ores et déjà, le Conseil constitutionnel se prépare à son investiture dès le départ du général Ould Abdel Aziz.
Bâ M’Baré, 63 ans, deviendra ainsi le 9ème président de la Mauritanie depuis l’indépendance du pays en 1960 et le premier président d’origine négro-africaine à accéder à la magistrature suprême. Déjà, certains commencent à l’affubler du surnom de «Obama mauritanien ».
Il est indéniable que la présidence d’un tel homme à la tête du pays, même provisoire et certainement courte, aura des retombées positives sur la concorde entre les composantes arabes et négro-africaines de la Mauritanie, notamment après la douloureuse déchirure que les extrémistes des deux bords ont entretenu au cours de ces longues années, débouchant sur les pogroms qui ont touché la communauté négro-africaine, victime de massacres, poussée à l’exil et à la déportation massive.
Selon les observateurs, la présidence de Bâ MBaré en Mauritanie contribuera largement à améliorer l’image stéréotypée que le monde se fait de la majorité arabe, considérée jusque-là comme une majorité raciste. Elle contribuera également à la refondation de l’unité nationale retrouvée.
Mais qui est Bâ MBaré ?
Bâ Mamadou dit MBaré, communément appelé Bâ MBaré, est le troisième Président civil de la Mauritanie, après Moktar Ould Daddah (1960-1978) et Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui ne passera que 15 mois au pouvoir entre 2007 et 2008. Il est le 9ème Chef de l’Etat, si on rajoute le bataillon de militaires qui s’est emparé des rennes du pays entre 1978 et 2005, puis en en 2008.
Il s’agit notamment de Moustapha Ould Mohamed Saleck qui est resté 9 mois au pouvoir, Mohamed Mahmoud Ould Ahmed Louly, 7 mois de présidence, Mohamed Khouna Ould Haïdalla (3 ans), Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya (21 ans), Ely Ould Mohamed Vall (19 mois) et le général Mohamed Ould Abdel Aziz depuis le 6 août 2008.
Bâ Mamadou dit MBaré est né en 1946 dans la localité de Wali, 26 kilomètres de la Moughataa de Maghama, Wilaya du Gorgol, elle-même située à 450 kilomètres au sud-est de Nouakchott.
Il a fait ses études primaires à l’école coloniale de Maghama avant d’aller au collège puis au lycée de Kaédi et de Rosso, deux villes du sud. Il poursuivra par la suite son cursus universitaire à l’Académie des sciences agricoles d’Ukraine, dans l’ancienne Union soviétique, plus précisément dans la ville de Kiev. Après un doctorat d’Etat en sciences vétérinaires, il décrocha un stage de perfectionnement à l’Institut de Pêche à Astrakhan (Union soviétique) puis à l’Institut Scientifique et Techniques des Pêches Maritimes (ISTPM) de Nantes, en France.
Bâ MBaré a travaillé comme chercheur dans les laboratoires de pêche à Nouadhibou avant d’en être le principal gestionnaire, tout en continuant à assurer ses fonctions de chef de service océanographique et hydro biologique. Il deviendra par la suite Directeur de l’Institut mauritanien de recherches océanographiques et de pêche, puis conseiller technique au Ministère des Pêches et de l’Economie Maritime.
Il sera nommé plus tard Directeur général de la Société Mauritano-soviétique de Pêche (Maussov), considérée en son temps comme un véritable empire financier dans la cité économique, Nouadhibou. Bâ MBaré redeviendra simple fonctionnaire au Ministère des Pêches et dans la foulée, il décrocha la mairie de Wali, sa localité d’origine.
Il sera appelé par la suite à la tête du Port Autonome de Nouadhibou comme Directeur général. Il conservera ce poste jusqu’à sa nomination le 14 novembre 2003 comme Ministre des Pêches et de l’Economie Maritime dans le dernier gouvernement mis en place par le Président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya.
Au cours de la période de transition, 2005-2007, conduite par le Comité militaire pour la justice et la démocratie et à sa tête, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, Bâ MBaré qui militait au sein du PRDS, balança dans le camp des indépendants. Il brigua le suffrage des habitants de Maghama pour les sénatoriales de 2006 et parviendra à surmonter la forte concurrence de sa cousine, l’ancienne ministre de la Santé, Diyé Bâ, mais aussi celle de Diallo Abou Moussa et de Mohamed Abdallahi Ould Guelaye.
D’emblée, il avait décidé d’apporter son soutien à la candidature de Sidi Ould Cheikh Abdallahi à la présidentielle de 2007. En récompense, ce dernier une fois élu, batailla dur pour l’imposer comme Président du Sénat, en exerçant de fortes pressions sur les sénateurs. Bâ MBaré sera élu le 26 avril 2007 comme Président du Sénat, avec une majorité de 40 voix sur 53.
Il faut dire qu’il était devenu de coutume, depuis l’introduction du régime démocratique pluraliste en Mauritanie, de réserver le poste de Président du Sénat à un élu issu de la communauté négro-africaine. Avant Bâ MBaré, le poste était occupé par Dieng Boubou Farba, un ressortissant de la Wilaya du Brakna qui présidera aux destinées de la Chambre haute du Parlement sans discontinuité pendant plus de dix ans.
Accusé de gabegie, puis blanchi
Le 13 juillet 2008, un certain nombre de sénateurs, sous la houlette de Ould Mohamed Lazgham, avait demandé l’ouverture d’une commission d’enquête sur la gestion de Bâ MBaré sérieusement mise en cause. Les sénateurs avaient déclaré détenir des informations graves relatives à des détournements à grande échelle des deniers publics, des passations de marché sans avis d’appels d’offres et sans annonces, des zones d’ombre sur l’utilisation de plusieurs centaines de millions d’ouguiyas octroyés par le Ministère des Finances pour l’équipement du Sénat…
Plus d’une trentaine de sénateurs accusaient aussi ouvertement le Président du Sénat Bâ Mbaré de manœuvrer, en vue d’empêcher la constitution d’une Commission d’enquête sur la Fondation dirigée par l’ex-Première dame, Khatou Mint Boukhary.
Avec le coup d’Etat sur Sidi Ould Cheikh Abdallahi et l’arrivée au pouvoir du général Mohamed Ould Abdel Aziz, les attaques contre Bâ MBaré continueront de plus belle. Il sera finalement blanchi publiquement par la Commission d’enquête instituée pour contrôler sur sa gestion, au cours d’une session ordinaire du Parlement.
Une noble lignée de peuls
Le Président du Sénat, futur Chef de l’Etat mauritanien, Bâ MBaré est issu d’une famille Deniyankobé, petit-fils du Roi peul Coly Tenguella qui a vécu à la fin du 18ème siècle. Il s’agit de la famille régnante sur la zone englobant l’aire géographique de Maghama, connu pour son sens élevé de l’honneur, valeur prisée dans les sociétés de l’époque.
Bâ MBaré est ainsi le fruit d’une telle souche historique dont les faits d’armes sont contés jusqu’à nos jours, sur les deux rives du Fleuve Sénégal et dans les profondeurs de l’antique Fouta.
Bâ MBaré est connu pour sa profonde modestie, sa fierté innée et son sens de la parole donnée. C’est aussi un homme très à cheval sur les principes, fidèle et inflexible, capable de piquer des colères homériques, un homme courageux, qui ne se fait pas marcher sur les pieds et qui déteste les bassesses et les trahisons.
Depuis qu’il a dépassé la quarantaine, Bâ MBaré est devenu plus rigoureux dans ses engagements, plus proche des commandements religieux et des règles morales, telles que l’exige une longue tradition héritée de sa famille, laquelle oblige toute personne ayant dépassé la quarantaine à éviter tout comportement qui pourrait nuire à son statut de donneur de bon exemple
Ses proches remarquent que ces dernières années, il s’absorbe de plus en plus dans les prières et ne se sépare plus de son chapelet, fidèle en cela à l’enseignement de la «Tariqa Tijaniya El Omariya » dont il est un fervent serviteur.
Malgré ses origines culturelles, profondément ancrées dans les enseignements coraniques et du Fiqh, telles qu’incrustées dans son environnement social et familial, Bâ MBaré fait partie de cette génération qui a fréquenté l’école coloniale, celle qui lui a inculqué sa culture francophone.
Bâ MBaré est monogame et ne s’est marié qu’une seule fois dans sa vie, contrairement à beaucoup de Mauritaniens, surtout en milieu négro-africain où la polygamie est une dominante. Il est père de cinq enfants.
Aura politique
L’influence politique de Bâ MBaré s’étend sur toute la région du Gorgol, au sud du pays, avec une côte de popularité non négligeable dans la région de Dakhlet-Nouadhibou et à l’étranger, parmi la diaspora mauritanienne au sein de laquelle il jouit d’une très grande estime.
Idéologiquement, il est impossible de classer Bâ MBaré, même si certains l’ont jugé à un certain moment proche des gauchistes, en rapport peut-être avec ses études en Union soviétique, mais très vite cette idée s’est envolée et on le classe plutôt maintenant dans l’école libérale.
Sur le plan politique, Bâ MBaré avait commencé ses premiers amours avec l’opposition, flirtant avec le parti d’Ahmed Ould Daddah jusqu’en 1996, date à laquelle il basculera dans le giron du parti-Etat, le PRDS de Ould Taya.
Au cours de la dernière transition, 2005-2007, il se présentera en tant qu’indépendant pour le poste de sénateur de Maghama. Elu, il fut nommé Président de cette chambre au cours de la première session parlementaire.
Il est membre fondateur du parti ADEL, un parti politique créé sous le régime de Sidi Ould Cheikh Abdallahi et que certains considéraient déjà comme le nouveau parti-Etat.
Depuis le coup d’Etat du 6 août 2008 contre le Président Sidi, il garde le silence. Il avait boycotté les premières sessions du Sénat, avant de revenir pour reprendre sa place sur le perchoir de la Chambre Haute. Depuis cette date, il était clair aux yeux des observateurs que Bâ MBaré avait signé un deal avec les militaires. Ils ne se trompaient pas. Militant convaincu du Front national pour la défense de la démocratie (Fndd), Front anti-putsch foncièrement opposé au pouvoir des militaires, Bâ MBaré est resté fidèle au Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
Au cours d’une entrevue avec le général Ould Abdel Aziz, ce dernier lui aurait dit ne qu’il ne cherche pas à influer sur ses choix politiques, mais lui demande tout simplement, en sa qualité de Président du Sénat, présidentiable en cas de vacance du pouvoir, de rester équidistant par rapport à tous les acteurs politiques pour jouir de la confiance de tous.
Aujourd’hui, Bâ MBaré conserve de bons rapports dans les deux camps, avec les protagonistes de la crise politique et institutionnelle et continue de fréquenter ses amis du Fndd, tout en étant sûr que le jour où il s’assiérait sur le fauteuil présidentiel, seule la Mauritanie et ses intérêts seront sa priorité.
Bâ MBaré, un pur Mauritanien
Le Président du Sénat, prochain Chef de l’Etat est connu pour être un grand buveur de thé. Il peut en boire des cuvées du matin au soir. L’un de ses proches lâche sous le sceau de la confidence «c’est un buveur de thé de premier calibre ». A part le thé, on ne lui connaît aucune préférence alimentaire. Il mange tout ce qu’on lui présente sans discernement. Ceux qui le connaissent avancent qu’il est d’une vaste culture, ouvert sur le monde, mais très enraciné sur ses deux civilisations-mère, l’arabité et l’africanité.
Certains considèrent que le fait que Bâ MBaré accède à la magistrature suprême dans ce pays va briser des tabous, abattre des barrières et corriger beaucoup d’idées préconçues, notamment entre les différentes composantes nationales. Il usera de tous ses moyens pour rapprocher les divers pans de la société et s’abîmera à réparer les cassures du passé, soutient-on.
Ce serait là le principal secret de sa force, celle qui lui a permis, malgré la tempête qui a secoué le pays ces huit derniers mots, de continuer à entretenir les mêmes relations de convivialité et de respect, avec les militaires au pouvoir et l’opposition dont il est si proche.
Cheikh Aïdara (Renovateur)
Cridem