Eloge du temps qui passe et qui grignote un peu plus notre vie, saison après saison ? Non, bien sûr, ce n’est pas de ce temps-là que je veux parler ici. Celui-là est mortifère et nous savons tous, en effet, qu’un certain nombre d’années nous est imparti et qu’il s’agit d’exploiter au mieux le peu qui nous est donné si nous voulons simplement « être » et avoir le temps d’affirmer ce que nous sommes (ou du moins tenter de le faire).
Ceci dit, nous ne connaissons pas le nombre exact de ces années, lequel varie d’un individu à l’autre, ce qui, finalement, fait ressembler notre existence à une loterie de mauvais goût et nous rend tous terriblement inégaux (les uns mourant à vingt ans quand d’autres finissent centenaires).
Mais laissons-là pour aujourd’hui ces considérations un peu morbides, j’aurai bien l’occasion d’y revenir une autre fois.
Non, le temps dont je voulais parler ici est un temps positif, celui que l’on se donne pour découvrir toute chose. Dans notre vie moderne et citadine, tout se fait en vitesse, depuis le petit déjeuner qu’on prend sur le pouce avant de s’engouffrer en courant dans un métro jusqu’au travail toujours plus performant que l’on accomplit sous l’œil inquisiteur d’un manager qui cherche à rentabiliser au maximum son personnel. La rapidité semble être devenue la qualité essentielle de notre société post-moderne.
Je suis toujours étonné (les rares fois où j’ai le temps de me promener à l’extérieur pendant mon temps de midi), de voir toutes ces personnes qui grignotent un sandwich en pleine rue, ne prenant même plus le temps de s’asseoir pour manger (ce qui arrange bien par ailleurs le vendeur de sandwiches, qui ne doit plus mettre une salle à la disposition de sa clientèle et qui se contente de vendre à même le trottoir un produit par ailleurs de mauvaise qualité).
Ce qui m’étonne aussi, c’est la solitude de ces gens pressés, qui ne regardent même plus les personnes qu’elles croisent et qui, forcément, ne parlent pas et ne dialoguent pas davantage. Quand je voulais faire l’éloge du temps, c’est de ce temps-là que je voulais parler. Celui que l’on se donne pour découvrir (l’autre, la nature, un sujet d’étude, etc.)
Je me souviens, enfant, de ces longues promenades dans les bois où il fallait attendre sous un arbre que cesse l’averse qui nous avait pris au dépourvu. J’entends encore le bruit des gouttes de pluie sur les feuilles et le grand silence qui nous entourait, impressionnant. Il n’y avait rien d’autre à faire qu’attendre que cesse la pluie, ce qui donnait le temps d’observer les alentours, où il ne se passait évidemment rien d’exceptionnel. Pourtant, petit à petit, mille choses venaient frapper mon esprit en éveil : le cri d’un oiseau indigné d’avoir été mouillé, le lent cheminement d’un escargot sur l’herbe humide, la senteur de la résine du pin contre lequel je m’appuyais, le cheminement d’une chenille en dessous d’une feuille, un craquement insolite dans le lointain, le bruit soudain et étonnant d’une tronçonneuse à l’autre bout de la forêt, signe que là-bas l’averse avait déjà cessé, le brouillard qui s’élevait des arbres mouillés, dans la chaleur du mois d’août, etc. Tout cela apprend à être patient et vous donne une philosophie de vie fondée sur l’observation.
Il en va de même dans les relations humaines. Je suis quelqu’un de lent, il me faut du temps, beaucoup de temps, pour accorder ma confiance à quelqu’un. Mais ce temps, précisément, il faut savoir se le donner, pour écouter l’autre, lire ses lettres, l’observer dans ses actions. Je ne suis pas de la génération SMS et m’étonne toujours de ces jeunes qui envoient message sur message (à qui ? Pour dire quoi ?) à des correspondants qui semblent aussi nombreux que superficiels. Nous vivons, paraît-il, dans une société de communication. Mais je crois que les lettres de madame de Sévigné permettaient une approche plus riche, plus exhaustive entre les deux protagonistes qui s’écrivaient que ces messages instantanés qui ne véhiculent aucun contenu. Certes, ces lettres classiques avaient le « défaut » d’être décalées par rapport à l’actualité et on n’apprenait un événement que trois ou quatre semaines après qu’il se fut produit, mais justement cela permettait de focaliser son attention sur la personne qui écrivait et non sur l’événement en lui-même, souvent futile par ailleurs. Ce n’est donc pas sur ce qui s’était passé que ces lettres donnaient des indications en premier, mais sur la manière dont le correspondant l’avait vécu et ressenti. Dès lors, son interlocuteur pouvait mieux percevoir sa personnalité et sa sensibilité, ses peurs et ses craintes aussi. Il se faisait donc de la personne une certaine idée qui collait au plus juste avec la réalité et ni la distance qui les séparait, ni le décalage temporel n’étaient finalement une entrave à une bonne compréhension de la personne.
L’avantage de nos sites et blogues respectifs, c’est qu’ils demandent justement du temps : du temps pour rédiger un billet, du temps pour commenter et du temps pour répondre. Rien de tout cela ne se fait en direct, dans la précipitation. Il en va de même pour les éventuels messages que nous nous envoyons les uns les autres. On espère toujours recevoir une réponse, mais on n’exige pas qu’elle soit rapide, car toujours il faut se donner le temps de la réflexion, la richesse même de la réponse en dépend.