Magazine Culture

L'Amérique au panthéon rock, part XXV

Publié le 13 avril 2009 par Bertrand Gillet
La maison du fun, au fond c’est un peu L.A. Et ce deuxième album des Stooges enregistré entre le 10 et 14 mai 1970 (4 jours mec, 4 jours) incarne la bataille stratégique que se livrèrent Detroit, ville de feu et de fer, bâtie sur les grandes souffrances industrielles, et Los Angeles, cité des anges cinématographiques, illuminée comme un diamant, vibrant tel un immense réverbère. Et c’est sur les terres californiennes que les Stooges viennent lancer l’assaut. Il sera à n’en pas doute sonique. Pour tous, L.A. est la ville du professionnalisme musical et il semblerait que le modèle structurel de l’industrie du cinéma ait légèrement déteint sur la scène musicale. On y trouve des pointures comme Paul A. Rothchild des disques Elektra, Gary Usher qui a produit les meilleurs disques des Byrds et des Beach Boys et qui est l’un des pères fondateurs de la sunshine pop avec Curt Boettcher. Detroit est une ville en marge, nichée au nord-est du continent, crasseuse et dangereuse et le rock que l'on y produit est à son image. Politisé, virulent, lourd sous les épais nuages que recrachent les poumons des usines. À l’époque, les Stooges et le MC5 n’aiment pas vraiment les hippies de la côté ouest, ils ont plutôt des dégaines peu recommandables, mi-prolos mi-petites frappes. Où est donc la maison du fun, d’aucuns affirment qu’il s’agit du surnom donné à leur maison d'Ann Arbor, là où tout a commencé, d’autres y voient plutôt les studios qu’Elektra mit à leur disposition, ceux où furent justement gravés Morrison Hotel et les quatre précédents opus des Doors. Mais, un détail change, c’est Don Gallucci qui est aux manettes. Membres des Kingsmen, il forme un groupe de surf music, Don and the Goodtimes qui sort un unique album en 1966. Trois ans plus tard, il livre un ambitieux travail sous le nom de Touch, mêlant au psychédélisme influences jazz et contemporaines. Un an après, il produit Fun House. Son idée est tout simplement lumineuse : il veut restituer le son des concerts que donnent Iggy et ses Three Stooges entre 1969 et 1970. Aussi décide-t-il d’enregistrer tous les morceaux « live ». Il dote Iggy d’un micro Electro-Voice qui permet à ce dernier de bouger dans le studio, comme il le fait sur scène, créant ainsi une ambiance authentique, viscérale. Une méthode de prise de son peu orthodoxe, mais qui porta ses fruits, le disque développe une texture sonore vraiment particulière. Autre idée géniale de Gallucci : Steven Mackay, saxophoniste de jazz qui vient souffler sur Fun House, le morceau titre, et LA Blues, final coulé dans un magma sonique proche du free jazz, et qui apparaîtra comme la suite logique du Starship de Sun Ra, repris par leur groupe frère MC5. Fun House est ainsi l’album de la maturité, on y trouve des productions typiques du style stoogien, comme Down On The Street (de L.A. ?), Loose, 1970 ou T.V. Eye. Mais il y a surtout ces deux mythes que sont Dirt, une ballade (hé oui), un long blues malade très proche des titres épiques des Doors, et Fun House, sexuel, félin, en un mot californien. La prise n°3 faisait plus de onze minutes et le saxo de Mackay y était aussi furibard que la guitare d’Asheton, mais c’est bien la version retenue, plus resserrée, qui semble être la bonne, définitivement. Ses inflexions jazzy sont à l’image de l’approche chromatique de la pochette : le rouge de L.A. contre le noir mate "so" Detroit du premier album, la bataille stratégique entre Detroit, ville de feu et de fer, et Los Angeles, cité des anges cinématographiques.
La semaine prochaine : Grateful Dead, American Beauty

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Bertrand Gillet 163 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte