Je désire vous faire partager la superbe découverte que je viens de faire à l'écoute du dernier disque de l'ensemble the Tallis Scholars et dédié à Josquin Desprez. Il s'agit indéniablement de la Missa Fortuna Desperata et, plus particulièrement son Agnus Dei qui m'a provoqué un de ces rares choc émotionnels et qui constitue la quête de tout mélomane.
Cette messe est couplée avec la fameuse Missa Malheur me bat. Je propose de revenir brièvement à cette occasion à la note que j'avais faite le 26 novembre 2006 et qui louait les qualités indéniables du Clerk's Group sur cette même messe. Ce dernier apportait une élévation, une dimension presque poétique, avec un superbe fondu des voix (tout en respectant les impératifs de clarté de restitution de la complexité de l'écriture de Josquin Desprez), ainsi que des timbres presque irréels sur les aigus. Ils s'opposaient alors judicieusement à l'austérité, la froideur et la rigueur implacable de leurs ainés du Tallis Scholars. Cette "opposition" est très nette sur ce dernier enregistrement.
La version des Tallis Scolars est en effet d'une netteté irréprochable mais de se permet aucune déviation dans le rendu des harmonies, avec un étalonnages des voix certes parfait mais justement sans surprise. Il est vrai que la Missa Malheur me bat constitue également l'un des archétypes les plus représentatifs de la facture propre à l'écriture du maître franco-flamand. Ecriture extrêmement savante, qui a influencé nombre de compositeurs de musique ployphonique et qui tent à plus s'ériger comme système. Systémique, c'est justement le qualificatif que l'on pourrait reprendre pour qualifier les Tallis Scholars par rapport au Clerk's Group ou, par exemple, à l'attachant Ensemble The Cardinal's Musick qui, quant à lui, excelle sur le répertoire aérien et céleste de Wiliam Byrd (cf. note du 12 avril 2007).
Pour revenir à mon "choc" salutaire, ce disque est alors surtout à recommander pour la Missa Fortuna Desperata, que je ne connaissais pas et qui constitue l'un des sommets de l'écriture polyphonique parmi toutes les compositions que j'ai pu écouter. Tout d'abord, Josquin Desprez prend le parti d'une grande plénitude sonore, remplissant l'espace d'une série de mise en accords des différentes voix sur des notes qui se prolongent bien plus qu'à l'habitude. La méthode semble simple mais elle apporte, au milieu des enchevêtrements complexes des voix par imitation, des moments "minimalistes" qui provoquent d'autant plus leurs effets que le contraste est marquant et surtout prolongé. Les différentes parties de cette messe s'avèrent alors captivantes, presque hypnotiques. L'Agnus Dei constitue le point d'orgue avec un niveau d'élévation spirituelle et de quasi abstraction, digne de compositions mystiques contemporaines.
La tenue parfaite des Tallis Scolars est alors tout à fait adaptée. L'expressivité n'a pas lieu d'être ici car l'audace de cette écriture demande plus un calage parfait des différents registres et toute déviation risque de dénaturer profondément le propos métaphysique de cette composition.
Un coup de coeur de plus que je recommande fortement.
Lien direct vers le site du label Gimmel Records pour en savoir plus.