Militant, maître chez soi

Publié le 14 avril 2009 par Delits

Avec près de 60 % des suffrages exprimés et 6 400 voix d’avance Valérie Pécresse s’est imposée face à Roger Karoutchi lors des primaires de l’UMP francilienne. Cette large victoire a surpris un certain nombre de commentateurs et de responsables politiques de la majorité. Soutenu par 61 parlementaires et 129 maires, impliqué de longue date dans les dossiers franciliens, le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement était à leurs yeux le grand favori. Or c’est Valérie Pécresse qui l’a emporté, y compris dans les Hauts-de-Seine, dont Roger Karoutchi est pourtant l’élu.

Cette erreur de pronostic tient sans doute au fait que les commentateurs et responsables de parti (déformation professionnelle oblige ?) surévaluent largement l’influence électorale des élus locaux ou des responsables de fédérations. Trop souvent encore, ces observateurs raisonnent comme si ces notables pesaient tant de voix ou pouvaient entraîner les votes de X militants. Pourtant, d’autres élections internes dans les partis politiques ont déjà montré depuis une dizaine d’année que les militants s’étaient largement affranchis des consignes. Au second tour des élections internes à la tête du RPR  en 1999, Michèle Alliot-Marie avait largement battu le candidat soutenu par l’appareil et l’Elysée, Jean-Pierre Delevoye, avec près de 63 % des suffrages.  A cette émancipation démocratique des militants néo-gaullistes, souvent dépeints comme des godillots, allait répondre plusieurs années plus tard l’affranchissement des adhérents socialistes. Ils désignèrent, eux aussi assez massivement (à 60 %) et contre l’avis d’une grande partie de l’appareil et des grands élus, Ségolène Royal lors des primaires pour la présidentielle de 2007. 

Plusieurs similitudes se font jour entre ces différentes élections. Dans les trois cas évoqués, c’est une femme qui a été désignée par les militants de base et qui a déjoué les calculs des « pointeurs» officiels. Le fait même d’être une femme leur a permis d’incarner le renouvellement face à un univers aussi exclusivement masculin qu’est celui de la direction des partis. Autre atout décisif, elles ont également préempté le thème de la proximité avec la base du parti et joué, plus ou moins subliminalement selon les cas, sur l’opposition entre les notables et l’appareil et les simples militants. Enfin, dans les trois cas, elles ont su s’appuyer sur le soutien, non pas des seuls adhérents, mais des sympathisants au travers des enquêtes d’opinion. Il est en effet intéressant de constater que pour ces trois élections internes, les sondages réalisés auprès des sympathisants ont toujours indiqué assez nettement la tendance. Deux remarques s’imposent ici. Si le comportement électoral des militants et leur rapport au parti est différent de celui des sympathisants, force est de constater qu’il existe de grandes similitudes concernant leurs choix de candidat. Ainsi dans les sondages réalisés par l’Ifop auprès des sympathisants lors des primaires socialistes ou de l’UMP en Ile de France, la candidate placée en tête correspondait aux votes des adhérents et les rapports de force étaient assez proches (du fait de leur poids dans l’appareil, Laurent Fabius et Roger Karoutchi obtenant certes de meilleurs scores dans leur parti respectif qu’auprès des sympathisants). Mais parallèlement à l’hypothèse d’une finalement assez forte similarité entre l’électorat et les militants d’une formation, on peut aussi s’interroger sur l’influence des préférences des sympathisants, matérialisées par les sondages, sur le choix final des adhérents. Le fait que ces candidates soient apparues comme rassemblant le mieux leur famille politique hors du parti et comme présentant les meilleures chances de victoire face au camp adverse, a sans doute joué en leur faveur auprès de militants, avant tout soucieux de faire gagner leur parti.

 Mais plus globalement, ces trois exemples (auxquels on pourrait ajouter l’épisode du congrès de Reims où la motion dite « officielle», celle de Bertrand Delanoë, fut devancée dans plus d’un tiers des fédérations pourtant dirigée par l’un de ses soutiens) traduisent d’abord et avant tout un puissant mouvement d’autonomisation des individus au sein des partis politiques. Comme dans tous les collectifs, le fonctionnement hiérarchique et la délégation de pouvoir sont de plus en plus remis en question. Les syndicats, qui comptent nettement plus d’adhérents et dont l’autonomie des organisations de base (sections d’entreprise et unions locales) est bien plus importante, ont intégré cette aspiration de la base à peser dans les décisions.

A l’heure où le PS s’interroge sur des primaires ouvertes aux sympathisants et où la cyber-campagne de Barack Obama fait figure de modèle pour de nombreux stratèges électoraux français, ces derniers vont devoir acter une fois pour toute que l’époque des candidats officiels et des militants godillots est révolue… depuis plusieurs années maintenant.