Le trafic aérien continue de marquer le pas, les compagnies s’efforcent de mettre offre et demande en adéquation et les commandes d’avions nouveaux tendent tout naturellement vers zéro. Aussi la męme question est-elle sur toutes les lčvres : Airbus et Boeing vont-ils devoir diminuer significativement la cadence de production de l’ensemble de leur gamme ?
A plusieurs reprises, quelques analystes trčs en cour ont répondu par l’affirmative, aussitôt repris par la plupart des médias. Mais cela sans que l’on sache pour autant sur quels critčres, quels modčles économétriques, quelles enquętes, reposent leurs affirmations ex cathedra. Ces analystes, fréquemment sentencieux, si ce n’est arrogants, deviennent d’ailleurs envahissants, pour ne pas dire plus.
Certains d’entre eux sont trčs Ťécoutésť parce trčs connus. Mais pourquoi le sont-ils ? Ils font penser aux beaux parleurs qui fréquentent assidűment certaines émissions de télévision de fin de soirée. Des gens connus, qui le sont …parce qu’on les voit réguličrement ŕ la télévision. Dčs lors, ils sont réinvités ŕ l’infini. C’est un cercle vicieux médiatique, pour ne pas dire un jeu idiot.
La męme interrogation entoure les propos de Steven Udvar-Hazy, président de l’International Lease Finance Corporation, le plus gros loueur d’avions au monde, propriétaire d’un millier d’appareils. Lui est connu parce qu’il achčte beaucoup d’avions mais il ne dispose probablement pas de sources meilleures que les industriels et les médias réputés sérieux.
Ces jours-ci, Udvar-Hazy dit et répčte ŕ qui veut l’entendre qu’Airbus et Boeing vont aux devants de grosses difficultés et qu’il leur faudra rapidement diminuer leur production de 25 ŕ 30% pour éviter que leurs parkings ne soient envahis par des Ťqueues blanchesť, c’est-ŕ-dire des invendus. Plus compétent, ŕ coup sűr, que la plupart des analystes, il tient ainsi des propos qui appellent deux hypothčses : soit il se trompe, soit Airbus et Boeing cachent leurs soucis derričre un écran de fumée pour retarder au maximum le moment d’annoncer des coupes sombres.
Boeing vient de rompre le silence et c’est un soulagement. La seule mesure notable est sa décision de ramener la cadence de production du 777 ŕ cinq exemplaires mensuels, cela ŕ partir de la mi-2010. Actuellement, l’usine d’Everett de l’avionneur américain sort chaque mois sept 777. On notera au passage que le 777e 777 vient d’ętre livré ŕ un client fidčle, Air France (dont c’est le cinquantičme 777 en męme temps que le premier avion portant la nouvelle livrée de la compagnie, ainsi qu’en témoigne notre illustration).
Pour le reste, rien ne change. La cadence de production de la série des 737 en reste ŕ 30 exemplaires par mois tandis qu’est reportée ŕ des jours meilleurs une accélération de la fabrication du 747-8 et du vénérable 767. Reste l’inconnue du 787, dont la cadence de production n’a jamais été annoncée publiquement, avion prometteur mais trčs en retard par rapport au calendrier initial, déjŕ vendu ŕ plus de 800 exemplaires mais qui n’a toujours pas volé. Les livraisons commenceront ŕ un moment oů la crise sera probablement en train de perdre vigueur. Une arithmétique simple permet de confirmer que Boeing n’est pas debout sur les freins et, tout au contraire, prévoit de livrer cette année un peu plus de 480 avions commerciaux.
C’est quasiment le męme objectif que celui d’Airbus. A Toulouse, une seule mesure correctrice a été prise jusqu’ŕ présent, celle de contenir la production de la série A320 alors qu’elle devait passer de 36 ŕ 40 exemplaires par mois. Côté gros porteurs, l’A330/A340 en reste ŕ huit et demi par mois et il n’est plus question de monter ŕ 10 ou au-delŕ. L’A380, lui, est hors concours, sa montée en cadence étant conditionnée par d’interminables difficultés de câblages et autres faiblesses. Cette année, si tout va bien, ce qui n’est pas encore tout ŕ fait certain, Airbus livrera 18 A380.
Dans son ensemble, ce tableau est loin d’apparaître apocalyptique et ne correspond en rien ŕ la mine sombre d’Udvar-Hazy et aux déclarations alarmistes des analystes-en-chef, plus enclins ŕ se mettre en valeur qu’ŕ nous dire oů ils vont chercher leurs informations. A moins, bien sűr, qu’ils n’aient tous le męme fournisseur de boules de cristal.
Pierre Sparaco-AeroMorning