En attendant mon retour, voici un "Guest Post" signé Xavier Méra - également publié par l'Institut Hayek
Sans surprise, le sommet du G20 accouche de propositions telles que la création d'un « Conseil de la stabilité financière » et l'extension des réglementations ayant trait au risque systémique à toutes les institutions et marchés pouvant avoir un impact de cette nature, tels que les fameux « hedge funds ». L'administration Obama avait déjà sorti la grosse artillerie quelques jours plus tôt. Le secrétaire du Trésor US, Tim Geithner, veut un régulateur dédié au risque systémique. L'ancien directeur du FMI, Jacques de Larosière, est allé dans le même sens et veut un pendant européen au nouveau régulateur américain, un “conseil de surveillance des risques systémiques”. Bien que cela semble échapper à la plupart des commentateurs, ces annonces devraient quand même susciter quelques interrogations. N'y a-t-il pas déjà des régulateurs systémiques? Si oui, comment se fait-il qu'on en soit là aujourd'hui?
A force d'entendre et de répéter qu'on vit aujourd'hui la crise des marchés dérégulés, la faillite du « capitalisme néolibéral », etc., on finit par oublier qu'évidemment, il n'y a rien de tel dans le monde contemporain. En particulier, il y a déjà des régulateurs « systémiques » aux pouvoirs tout à fait extraordinaires, les banques centrales. Ces institutions sont en charge de la “stabilisation” des marchés en tant que prêteurs en dernier ressort et elles interviennent toujours en ce sens, de manière plus ou moins vigoureuses. Ces derniers mois, la Fed américaine ne s'en est d'ailleurs pas privé, en collaboration avec les administrations Bush puis Obama. Les bailouts en cours sont d'ailleurs sans précédent en volume. Les autres banques centrales ont aussi largement suivies. La question devient donc: si nous avons vécu ces dernières décennies ou siècles dans l'ère de la régulation centralisée du risque systémique, cela n'aurait-il pas un rapport avec la fragilité du système financier mondial?
La fragilité du système est reconnue de manière quasi-unanime. L'explication prête peu à controverses. Les firmes engagées dans la sphère financière fonctionnent avec de forts effets de levier. Plutôt que de se reposer sur des fonds propres pour faire des prêts, leurs activités sont principalement financées grâce à l'endettement. Partant, les firmes sont extraordinairement interdépendantes et les toujours possibles difficultés de l'une sont transmises de proche en proche au système financier entier. Plus la firme en difficulté a une place importante sur le marché, plus la contagion peut faire de dégâts. C'est le risque systémique et la raison pour laquelle de nombreuses firmes seront jugées “too big to fail” en cas de difficulté.
Autre effet de levier, souvent négligé, celui utilisé spécifiquement par les banques commerciales en charge de la création de monnaie. En tant que membre d'un cartel obligatoire coordonné par la banque centrale, elles doivent avoir un compte à cette “banque des banques” pour obtenir les billets indispensables aux retraits en liquide de leurs clients. Mais elles n'ont aucune obligation de voir les dépôts de leurs clients couverts par une réserve équivalente sur leur compte courant à la banque centrale. A la place, un ratio minimum légal de réserves (au montant ridicule de 2% dans la zone euro) leur permet de créer de la monnaie en masse tant que les dépôts ainsi créés par leurs crédits ne dépassent pas le multiple requis.
Évidemment, la monnaie fiat créée ex nihilo rapportant un intérêt par son prêt, les banques ont généralement tout intérêt à en profiter au maximum et à avoir une couverture minimale pour les dépôts. Cela implique là aussi une fragilité structurelle qui peut se traduire à terme par l'effondrement entier du système, système qui devrait ainsi être considéré pour ce qu'il est: un gigantesque château de cartes1. C'est le rôle du prêteur en dernier ressort que de le faire tenir et de prévenir une contagion en sauvant les premières banques ou firmes en difficulté avant que cela ne dégénère. Cette régulation systémique est bien sûr ce que les autorités monétaires sont en train mettre en œuvre sous nos yeux si bien qu'il est absurde d'évoquer l'image d'un monde monétaire et financier totalement dérégulée.
Si la fragilité du système bancaire et financier est reconnue, la question porte sur ses causes. Postuler l'exubérance des marchés financiers ne fait qu'éluder la question. Comme nous l'avons expliqué ailleurs, l'existence d'une banque centrale est précisément ce qui permet au système bancaire de multiplier les crédits sans aucune authentique couverture des dépôts2.
Sans banque centrale, les banques devraient se préoccuper lorsqu'elles étendent leurs crédits des “fuites” ainsi engendrées. Leurs clients sont susceptibles de dépenser la monnaie nouvellement créée auprès de clients d'autres banques, auquel cas elles doivent compenser ces autres banques avec leurs réserves, ce qui les met en danger et les oblige à contracter leur crédits. La banque centrale, via la centralisation des réserves et l'injection régulière de liquidités, permet aux banques d'étendre de concert leurs crédits, de telle manière que les fuites des unes soient généralement compensées par les celles des autres. Elle repousse ainsi les freins naturels à l'expansion monétaire impliqués dans une authentique concurrence bancaire.
De plus, comme l'a expliqué le professeur Guido Hülsmann, l'existence de la banque centrale est aussi ce qui permet d'expliquer la faiblesse des fonds propres dans les firmes financières, la prédominance de l'endettement et leur extraordinaire interdépendance. Dès lors que ces firmes savent que les banques centrales sont là pour socialiser leurs pertes en cas de coup dur, pourquoi se préoccuper des risques, pourquoi garder des fonds propres qui serviraient de pare-chocs? Pourquoi ne pas plutôt s'endetter, réduire ses fonds propres et ainsi bénéficier d'un effet de levier maximum?
La réalité est que dans le système actuel de collusion entre le secteur financieret l'Etat via un système monétaire monopolistique et centralisé -à des années lumières du tout-marché dérégulé- les pertes sont largement socialisées alors que les gains demeurent privés. Partant, la couverture des dépôts peut atteindre le niveau microscopique de 2% et les ratios de fonds propres peuvent généralement se limiter aux 8% recommandés dans les directives Bâle II. Le système bancaire est alors fragile, c'est le moins qu'on puisse dire, mais ce n'est pas un accident. « L'exubérance » est la réponse prévisible à un faisceau d'incitations perverses institutionnalisées.
Par conséquent, il devrait être clair que lorsqu'on nous annonce les « changements profonds » susmentionnés, soit on prétend créer une « régulation » qui en réalité existe déjà, auquel cas on nous vend un statu quo désastreux en nous faisant croire à la révolution, soit on veut renforcer un appareil réglementaire qui a déjà failli par rapport à son objectif déclaré. Ce sont en effet la gestion du risque systémique par la banque centrale et les réglementations permettant de socialiser les pertes qui créent le risque systémique. Mais comme Thomas Woods le dit dans son nouveau livre, la banque centrale est l'éléphant dans le magasin de porcelaine que personne ne voit ou ne veut voir. On va donc vraisemblablement lui renforcer ses pouvoirs. Pourtant, s'il faut vraiment combattre le risque systémique et l'exubérance des marchés financiers, il n'y a pas trente six solutions. Il faut éliminer leur source, les banques centrales et l'appareil réglementaire en cause, pour laisser place à une authentique concurrence bancaire, ou à tout le moins réduire la capacité d'intervention des banques centrales et de l'appareil réglementaire.
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Notes
1Une banque qui doit rembourser plus de monnaie qu'elle n'en a face à un événement imprévu doit se tourner vers d'autres banques pour qu'elles lui fassent un prêt. Mais si elles ont elles-mêmes profiter à plein du levier des réserves partielles, elles se mettent en difficulté en faisant un tel prêt. Le dilemme est le suivant. Soit elles prêtent et risquent de tomber, soit elles ne prêtent pas mais les clients floués de la banque qui tombe seront incapables à leurs tour de payer leurs engagements. Des faillites en chaine surviendront qui ne manqueront pas de mettre en difficulté la plupart si ce n'est la totalité des banques. Cf. Jorg Guido Hülsmann, The Ethics of Money Production, Ludwig von Mises Institute, Auburn 2008, page 143.
2Cf. Murray Rothbard, The Mystery of Banking, Richardson & Snyder, New York, 1983.