Impact de la mediatisation du suicide, des tueries et des drames familiaux

Publié le 13 avril 2009 par Raymond Viger

Le 8 avril dernier, Steve Proulx, journaliste et blogueur pour le journal Voir, se questionne sur la vague de drames familiaux qui secoue le Québec depuis le début de l’année. Le lendemain, Patrick Lagacé dans son blogue lance la question: la médiatisation encourage-t-elle l’imitation?

La Presse et le suicide

Je suis un intervenant de crise auprès de personnes suicidaires depuis le début des années 1990. Une époque où, La Presse, publiait à la une, 4 photos d’une personne se lançant dans le vide du pont Jacques-Cartier pour qui se suicider. Avec de telles photos à la une du quotidien La Presse, nous avions assisté à une augmentation notable des suicides sur le pont Jacques-Cartier.

Études de l’Association québécoise de prévention du suicide (AQPS)

Toujours au début des années 1990,  l’association québécoise de la prévention du  suicide (AQPS), dont je faisais parti, s’est donnée le mandat de sensibiliser journalistes et coroners du lien entre la médiatisation du suicide et son effet d’entraînement. L’idée n’était pas de censurer les journalistes, mais de leur demander de traîter du suicide avec dignité et respect. On ne peut passer sous silence un suicide, surtout si c’est celui d’une personne publique et déjà fortement médiatisé. L’AQPS avait réalisé un dossier fort garni sur la relation entre les médias et l’effet d’imitation. Robert Simon, directeur du centre de crise de Chicoutimi en était un des principaux porte-paroles.

Coroner en chef et psychiatres: impact des médias sur le suicide

Une dizaine d’année plus tard, 16 novembre 2001, lors du Colloque de l’Association des psychiatres du Canada un rapport des coroners épouse officiellement la cause de l’AQPS. Sous la responsabilité de plusieurs psychiatres et du coroner en chef, le rapport souligne quels sont les impacts sur le suicide:

L’impact sur le suicide, on l’augmente si :

  • on fournit des détails sur la méthode particulière utilisée.
  • le suicide est rapporté comme inconcevable « il avait tout pour lui ».
  • les motifs semblent romantiques « réunis pour l’éternité » « Roméo et Juliette ».
  • on banalise le suicide « à cause d’une mauvaise nouvelle ».

L’attention du public est augmentée si :

  • le texte est à la une.
  • le mot suicide est dans le titre.
  • on inclut la photo de la personne.
  • le geste est présenté comme héroïque et désirable « il devait agir ainsi… dans sa situation ».

L’impact sur le suicide, on le diminue si :

  • les ressources de prévention du suicide sont diffusées (où trouver de l’aide).
  • on décrit une crise résolue autrement que par le suicide.
  • les lecteurs sont informés sur le comportement suicidaire et le suicide en général.

Les médias et le suicide

  • Éduquer le public :
    • Le suicide n’est pas une solution.
    • Le suicide est le symptôme d’une maladie.
    • Il existe des alternatives meilleures que le suicide.
    • Il est important de prévenir le suicide.
    • Présenter et faire connaître les ressources.

Traitement du suicide par les journalistes et les médias

En septembre 2006, j’ai écrit un billet félicitant les journalistes et les médias qui ont bien répondus, non seulement à l’AQPS, mais aussi au coroner. Les journalistes continuent de parler du suicide, mais avec une sensibilité qui permet d’aider les personnes en crise, tout en informant le public. Que les journalistes le veuillent ou non, quand on fait des titres et que l’on choisi des photos pour aller en une, on influence la société.

Y a-t-il un lien entre drame familial et suicide?

Qu’en est-il maintenant des drames familiaux et des tueries dans les écoles? Entre le suicide et l’homicide, il n’y a pas une grande différence. Décider d’affronter seul une foule en lui tirant dessus ou de retourner le canon de son arme vers soi, c’est la couleur de l’étincelle qui fait toute la différence. Dans les deux cas, nous nous retrouvons devant une personne en crise, incapable de s’adapter aux changements que la société nous impose et nous fait vivre.

Le suicide est une violence que l’on retourne contre soi-même. Après une vingtaine d’années d’intervention auprès de gens marginalisés et en crise, j’ai régulièrement senti cette ambivalence entre tuer les gens qui nous causent des injustices et vouloir tout simplement disparaître.

Cette violence qui nous habite et qui nous pousse à vouloir disparaître est une bombe à retardement. Le père de famille suicidaire est dans la cuisine, absorbé par tous ses problèmes et sa souffrance. Son jeune enfant entre dans la maison en faisant du bruit et en dérangeant le père. L’homme peut perdre le contrôle et tuer son enfant. Aveuglé par ce qu’il vient de faire, la tuerie continuera, incapable de vivre avec le geste qu’il vient de poser. Si le jeune n’était pas entré dans la cuisine à ce moment-là, peut-être que le père se serait suicidé, sans emporté avec lui le restant de la famille.

Quelques jours avant Noel dernier, en France, une mère avait planifié son suicide en amenant avec elle ses 5 jeunes enfants. Sa souffrance était-elle qu’elle ne pouvait pas voir comment ses enfants pouvaient continuer à vivre dans une société si injuste.

En ce qui me concerne, le lien entre suicide et drame familial est clairement défini. Le lien entre le suicide et une médiatisation indue et sensationnaliste est officiellement accepté par les coroners et les psychiatres depuis 2001. Peut-on faire une règle de trois et dire qu’il y a officiellement un lien entre les drames familiaux et la médiatisation des événements?

Officiellement, il faut attendre les rapports qui sortent 10 ans après que l’on se pose la question. Personnellement, j’en suis convaincu. Je dois cependant nuancer la réflexion. Il y a un lien direct lorsqu’il y a une médiatisation sensationnaliste et indue. Les médias peuvent et doivent en parler, avec respect et dignité. Et lorsque les médias présentent les ressources pouvant intervenir, l’affaire est ketchup et je suis aux anges.