Je le dis souvent : quand on vient me voir pour me parler de ma classe, et qu'on me dit : "tu sais, tes élèves, blablabla", je réponds régulièrement que je ne les ai pas adoptés... fort heureusement ! Mais, à force de les voir plusieurs heures par
semaine, pendant une année ou plusieurs consécutives (pour ceux qui n'ont pas de chance), forcément il y a des liens qui se nouent... même si on dit toujours que nous, les profs, nous ne
sommes pas là pour que les élèves nous aiment ni pour les aimer, mais pour leur enseigner quelque chose (évidemment, quand on s'entend bien ça se passe beaucoup mieux
!)
C'est ainsi qu'on remarque que les élèves avec lesquels le courant passe moins bien vous appellent plus ou moins régulièrement "monsieur". Quoi ?... J'ai de la moustache ? J'ai une pomme
d'Adam qui a poussé dans la nuit ? Ou ils ont l'habitude de voir des hommes en talons de 10 centimètres ? Avec Nan, on a songé à leur montrer les arguments qui prouvent pourquoi ils se trompent,
mais on a un peu peur de les traumatiser. Alors, je m'en tiens à l'insipide "Non, pas que je sache..." ou "Moi, femme, monsieur X, homme"...
A l'inverse, ceux qui vous aiment bien vous appelleront parfois "Maman". Après le fou rire général de la classe, je prends mon air de prof qui réfléchit et je réponds "mmmh... Non, je m'en
souviendrais... je crois"... ou "non, je préfère madame, devant la classe"... Et avec ceux qui ont de l'humour, je vais même jusqu'à un "non, certainement pas !" en
éclatant de rire, après (parce que l'humour de prof, à 14 ans, on ne le comprend pas toujours !)
Mais, là où j'ai peur, c'est quand je fais aux élèves des réponses que je fais en temps normal à MiniBri. Quand cette dernière a décidé que son repas devait durer un siècle et demi, elle
pose tout un tas de questions inutiles auxquelles je réponds inlassablement "Mange !"... Et quand, en plein contrôle, un élève me pose une question totalement vide de sens et que je lui
réponds "Mange !" au lieu de "Réfléchis ! ", je me dis que ça révèle bien mon taux d'exaspération... mais que les élèves doivent penser que je souffre d'un déficit neuronal...
ou que j'ai très faim !
Et puis, il y a une telle proximité qui se crée entre nos élèves et nous, à force de les côtoyer, qu'on serait capables de parler des cycles menstruels de presque toutes les adolescentes qu'on a
en classe. Je ne compte plus les demoiselles qui viennent nous voir en tout début d'heure, avec une mine éplorée, la voix chevrotante pour vous dire : "Mâdâme, j'ai mes trucs... je peux aller
me changer ?". C'est fou le nombre de jeunes filles qui ont des règles abondantes qui nécessitent d'aller aux toilettes toutes les heures; ou, plus exactement, qui se servent de cette
excuse... "Et est-ce que ma copine Dindasse Ière peut m'accompagner ?" Pourquoi ? Il faut qu'elle tienne la porte ? Qu'elle te fasse passer la serviette ? Ou qu'elle guide les opérations
?... et la marmotte, elle met le chocolat dans le papier alu ?
C'est sûrement à cause de cette proximité qui s'établit entre les élèves et nous qu'ils veulent impérativement tout savoir de notre vie. Leur question existentielle la plus profonde reste
"Madame, vous habitez où ?"... "Loin" reste ma réponse préférée... Ils veulent tellement tout connaître que j'ai un élève qui est venu me voir pour me demander : "Mâdâme...
Votre montre elle est en or ?"... "En or ? Tu imagines le prix ?... Je suis prof !"... "Je sais pas moi... c'est peut-être votre mari archéologue qui vous l'a offerte ?"...
Mon mari ? Archéologue ? Il me prend pour un tyrannosaure ?
Qui a dit que les enfants étaient formidables ? Les enfants, peut-être... mais les ados...