Qui d’autre veut se payer du Perret ? Le sujet croustille et fait s’émoustiller le journaliste en quête d’un bon coup : brûler l’idole consacrée qui vit les dernières années de son bonheur d’artiste accompli. Le gouailleur se serait inventé une relation cordiale avec le vieux Léautaud qui, dix-huit mois plus tard, demandera dans un ultime souffle qu’on lui foute la paix.
En 1986, lorsque reparaît son Adieu, Monsieur Léautaud, Pierre Perret est un artiste célébré. Qu’il se soit vanté auprès de Brassens, des décennies plus tôt, de cette singulière rencontre, pourquoi pas, mais le vrai scandale n’est pas là. Au contraire, si invention a existé et s’est perpétuée, cela a eu le mérite de faire connaître à un plus large public l’œuvre du réfractaire. A mon très humble niveau, je rédigeais alors un article dans le journal du lycée de Cergy Saint-Christophe, hommage à l’initiative de Pierre Perret et occasion inespérée de prendre prétexte de l’actualité littéraire pour évoquer mon écrivain favori auquel je consacrais, dix ans plus tard, un travail universitaire.
Alors, Perret, coupable ? L’article du Figaro (resucée de celui du Nouvel Obs du 29 janvier 2009) le flingue en cinq actes, à la façon d’une médiocre pièce de boulevard qui aurait donné l’occasion à Léautaud, alias Boissard, de délivrer une magistrale digression après la fustigation de son auteur en deux phrases aux vifs mouvements. On sent derrière cette agitation la volonté d’un infect petit univers de ne surtout pas laisser à ce chanteur populaire la liberté de se revendiquer une filiation intellectuelle avec leur Léautaud.
Alors poussons au bout pour révéler la mesquinerie de ce milieu qui aurait fait s’indigner le pamphlétaire – encore un vocable que les exégètes consacrés ne vont sans doute pas adouber. Se prépare un documentaire sur le bougon de Fontenay : là où un Pierre Perret aurait apporté sa notoriété, son allant et sa joyeuse vivacité, une cabale s’est érigée pour empêcher qu’il soit de la partie. Médiocre chantage à la clef…
En revanche, cela n’aurait gêné aucun des biographes de Léautaud qu’Edith Silve se répande en éloges naphtalinés alors qu’elle empêche la publication de manuscrits et de « plus de 600 pages de journal restées inédites », ça le journaliste du Figaro n’en est pas choqué. Quelle légitimité a donc Mme Silve pour décider ce qui doit ou pas être publié, hormis le fait de s’être acoquinée avec la SPA légataire des manuscrits du diariste ? Le scandale littéraire n’est-il pas plutôt là ?
Comme il pourrait être dans la censure, jamais dénoncée, pratiquée par feue Marie Dormoy, l’exécutrice testamentaire de Léautaud qui a surtout exécuté l’intégrité du Journal littéraire en s’érigeant censeur officiel. N’est-ce pas là qu’est l’injure véritable à l’écrivain qui n’admettait aucun retrait de ses chroniques, préférant mettre un terme à la collaboration du moment. Dormoy, elle, a préféré préserver ses relations avec quelques influents du milieu littéraire, et surtout ne pas se les mettre à dos, en retirant de la publication du Journal les piques incendiaires. N’est-ce pas cela qui doit révolter : cette complaisance cultivée avec un cercle relationnel tout en se revendiquant fidèle à l’écrivain sans concession ? Elle a donc appliqué un principe indigne : laisser la liberté aux écrits de Léautaud jusqu’à la limite de ses propres intérêts. Là, il y a de quoi vomir !
Au regard de ces comportements, le pétard mouillé du Nouvel Obs repris par Le Figaro semble dérisoire : un écart avec la vérité, Pierre Perret l’a peut-être pratiqué, mais ce n’est en aucun cas une insulte à ce qui fondait l’existence et les pensées de Paul Léautaud. Alors, qu’Edith Silve et la SPA laissent publier l’intégralité de ce qu’elles retiennent, et nous pourrons alors évoquer sereinement le cas Perret, quitte à lui tirer affectivement le lobe d’une oreille…