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Retour au pays : la fontaine de Rumelange

Publié le 12 avril 2009 par Memoiredeurope @echternach

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Le temps des marchés doit s’interrompre. Pourtant il en reste encore. Je suis loin d’avoir épuisé mes nostalgies. Ils apparaissent de manière fugitive dans le parfum que j’ajoute au mouton de Pâques ; romarin et safran. Rien qu’un mitan du sud dans ma cuisine un peu sombre. Le soleil s’est enfoui aujourd’hui profondément dans la grisaille, en ce dimanche ardennais et les feuilles forment maintenant un rideau de vert tendre continu devant l’hospice, palais baroque où les personnes âgées sont chaque jour couchées bien avant moi. 

Je sais heureusement que le temps des bougies est passé. J’ai sorti mes deux lapins comme chaque année et je leur ai confié la compagnie d’une poule de paille qui couve des citrons. Les traditions, si elles sont respectées, doivent être parfois un peu dévoyées. Je ne vais pas leur dire adieu dès demain soir, une fois les œufs consommés. D’ailleurs, le reste de l’année, ils prennent juste un peu de repos, à l’arrière de mes oiseaux chanteurs, avant que le temps des fleurs jaunes ne revienne.

J’ai peu voyagé en ce début année. Beaucoup d’Italie pourtant. Un vrai Grand Tour en accéléré et, dans quelques jours, un peu d’Espagne recréera l’équilibre. Et je me sens parfois comme de retour au pays, dans l’orbe sacrée, enfermé à la merci d’un temps un peu hostile qui combat désespérément contre la renaissance du jour. Je sais bien d’expérience, heureusement, que la pousse des arbres vaincra.

Dans le film plutôt émouvant que j’ai regardé aujourd’hui « Nuits d’Arabie » de Paul Kieffer, pour qu’il ne soit pas dit qu’un jour anniversaire ressemble exactement aux autres, j’ai ressenti parfaitement la capture qu’exerce sur les êtres le pays où je vis.

Je reste sur une certaine admiration. Pourtant le film n’est pas un succès international et ne le deviendra pas. A-t-il seulement franchi la frontière ? Il fait cependant partie d’une nouvelle génération de perles rares auxquelles le Luxembourg permet de voir le jour en les finançant, soit en s’appuyant sur des réalités nationales, sur des artistes nationaux, ou bien encore en offrant un cadre paysager aux jeunes cinéastes belges, nos voisins. 

C’est le cas de : « Le club des chômeurs » de Andy Bausch - qui a déjà sept ans, mais qui décrit de manière immobile les derniers temps d’une sidérurgie dont Mittal aura su dévorer les restes sur l’os, avec un cynisme criminel ou « J’ai toujours voulu être une sainte » de Geneviève Mersch qui n’est pas beaucoup plus vieux. Ils ont précédé deux œuvres littéraires : « La femme de Gilles » de Frédéric Fonteyn d’après un roman complètement étonnant de l’écrivaine belge Madeleine Bourdouxhe dont j’ai ainsi découvert l’œuvre et la personne, ou « Perl oder Pica” de 2006, réalisé par Pol Cruchten, d’après le roman de Jhemp Hoscheit, pour ne pas oublier enfin « Les fourmis rouges » de Stéphan Carpiaux, celui là de 2007.

Pour tous ces films là, je prendrai le temps d’y revenir.   

« Nuits d’Arabie » : Nous sommes au Luxembourg en ce décembre 2007 qui a vu la fin d’une année culturelle que j’ai regardé passer, dans l’impression constante qu’elle n’était pas pour moi. Il pleut dans des avenues éclairées par les dernières ampoules de la fête européenne et les premières décorations de Noël. Et dans la navette qui quitte avec une régularité d’horloge la gare de Luxembourg ville à destination de Thionville, le contrôleur parcourt, jour après jour un tour du monde à peine transfrontalier. 

Un peu comme la Vicky de Woody Allen, son avenir est tracé - toutes proportions gardées entre Manhattan la dévorante et le raisonnable quartier propret de Bonnevoie qui commence derrière les rotondes de la gare de Luxembourg. Et l’exotisme est à l’horizon d’un jardin ouvrier qui s’orne d’une cabane, sous le Pont Adolphe ou des publicités de Luxair Voyages qui proposent une escapade dans le désert saharien.

Un peu comme pour Vicky tout de même, l’exotisme sert de révélateur à un appel du vide. La recherche théorique de la civilisation catalane prend les traits d’un peintre à la belle gueule, sorte de Tapiés sans scrupules et Woody ouvre son tourbillon parabolique sur une Europe de carte postale pour Américains. Ici, plus modestement, il suffit que la porte s’ouvre pour que s’y engouffrent, comme dans un train du diable, la gentille infirmière de Héllef Doheem, semblable à s’y méprendre à toutes celles qui s’arrêtent le matin devant chez moi pour assister les personnes âgées, l’équipe de foot des CFL, semblable aux milliers d’équipes qui jouent chaque week-end et sont l’un des ciments des hommes dans ce pays, ou encore l’orphéon de Bonnevoie, une compagnie musicale qui est un autre symbole de l’unité nationale…Tout ce qui ponctue une vie régulière. Autrement dit, traders de Manhattan et contrôleurs du Luxembourg, même combat ! En effet !L’aventure est pourtant si belle…et si proche.

Nous vivons la rencontre entre une mythomane, fille d’immigrée, la remarquable Sabrina Ouazani déjà admirée dans « La graine et le mulet » et un homme sans qualités, on dirait plutôt pour ne pas convoquer Musil sans raisons, un homme sans mythes, sinon ceux du sud du pays, là où l’eau de la fontaine de Rumelange, près d’Esch-sur-Alzette promet à ceux qui la boivent un retour au pays. Rumelange, c’est pour Jules Werner, le remarquable acteur luxembourgeois, la Fontaine de Trevi du Grand-Duché. Et pourtant, là-bas, dans le désert saharien, la fontaine de Charaia, située dans l’oasis rêvée de Tabelbala, est à l’horizon d’une véritable aventure et, comme le capitaine du navire qui croise au-delà de Lampedusa et finit par chercher sa destinée dans le parcours des clandestins, le contrôleur ne contrôle plus rien et son road-movie en plein décembre, à la recherche d’une Yamina évanouie lui brûlera les joues et la tête. 

Est-ce que les rêves et le regard des Luxembourgeois devraient rester fixés sur les images des catalogues de Luxair et ne pas rechercher le piment des femmes à la peau brune ? Sagesse proverbiale. Pourquoi ne pas boire du vin de la Moselle en se forçant à manger du couscous en boîte ?

Retour au village désertique et retour de l’exil,échangés contre le retour à la terre grasse et lourde et à la blondeur familière.

Encore une fois, ce n’est certainement pas par dérision que je rapproche ce film du « Vicky Cristina Barcelona » qui, trop bien léché, apparaît l’œuvre attendrie d’une fin de vie, à celui de Kieffer, le premier dans une vie de scénariste déjà longue.

Il y a de la maîtrise dans ce premier film, et de la douleur et une vérité sur un pays lui aussi trop bien léché.Si le film n’apparaît pas chez vous, sachez qu’il est diffusé en DVD par Samsa distribution. 

Je n’ai pas lu beaucoup de critiques sur cette œuvre qui reste confidentielle, sinon celle de Josée Hansen dans d’Land. Après un long développement où elle ne peut tout de même pas cacher la beauté de la prise de vue et des lumières, elle se laisse aller à conclure en forme de boutade « Au final, on regrette que Paul Kieffer, dont on a pu apprécier l’humour grinçant et les idées de mise en scène au théâtre, n’ait pas commencé sa série par une comédie. »

Drôle de critique à rebours. Pourtant, quand le retour au pays se fait à trente kilomètres de distance, aller mourir dans le désert ressemble à un acte de comédie ! C’est à dire de révolte. Mais est-ce qu’on accepte vraiment la révolte au Luxembourg ?  


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