L’Association service social familial migrants (ASSFAM) “prend acte“ sur son site que vient de lui être attribué dans le cadre du marché concernant les centres de rétention administrative le lot n°8 qui correspond à Paris et Bobigny. Elle rappelle également qu’elle était candidate pour le lot n°6 du Mesnil Amelot (voir la taille des lots dans le règlement de consultation: Le lot du Mesnil Amelot correspond à 380 places pour un montant maximum de 660 000 euros alors que le lot 8 correspond sur 2009 à un maximum de 215 places pour 380 000 euros).
Si elle avait emporté les deux lots espérés, l’ASSFAM aurait donc pu compter sur des recettes équivalentes à 1 040 000 euros.
Par voie de conséquence, il est probable que l’obtention de ce seul lot ne corresponde pas à ses attentes et ne lui permette pas de faire face à ses difficultés récurrentes de financement.
Car, pour l’ASSFAM, il apparaît que sa subite conversion à l’assistance juridique des sans-papiers en rétention ne soit pas totalement désintéressée.
En l’occurence, il semble que pour l’inciter à répondre à l’appel d’offres, on a su manier à son égard la carotte (la perspective de deux lots) et le bâton (le non renouvellement de subventions).
Car, s’agissant de la candidature de l’ASSFAM, là est manifestement le nerf de la guerre.
Il semble en effet que depuis plusieurs semaines l’ASSFAM se préparait dans la perspective d’avoir à gérer ces deux lots. Ainsi, on pouvait voir sur son site qu’elle avait passé une annonce pour recruter un Coordonnateur (H/F) de son pôle CRA et un Juriste (H/F) spécialiste du droit des étrangers.
Elle avait également prévu pour héberger son “pôle CRA” de se doter d’un local au Mesnil-Amelot, d’un véhicule pour circuler entre les divers sites, et mettait tout en place en terme d’organisation et de préparation de son personnel actuel. Alors que jusqu’ici les assistantes sociales de l’ASSFAM bénéficiaient des formations du Gisti, il est apparu plus opportun de recourir cette fois-ci à FTDA.
Jusqu’où peut aller ce rapprochement avec FTDA? L’avenir nous le dira. Car les difficultés financières de l’ASSFAM sont maintenant bien connues tant de ses financeurs locaux (les conseils généraux et les différents services politique de la ville des communes où elle est implantée) que de ses partenaires.
Les difficultés financières récurrentes
En témoigne ce rapport d’activité 2006 de l’ASSFAM:
“Rapport d’activité 2006 : une année de mutations
L’environnement institutionnel social et politique dans lequel intervient l’ASSFAM est en constante métamorphose et l’Association s’emploie à s’adapter à ce nouveau paysage. Les politiques publiques en matière d’accueil et d’intégration des étrangers mutent fréquemment, s’avèrent de plus en plus complexes et agissent directement sur les flux d’entrées sur le territoire, donc sur l’activité des acteurs du secteur et particulièrement de l’ASSFAM, la seule association de professionnels ayant une dimension nationale.
Les partenaires institutionnels changent également. Après la création de l’ANAEM, agence du service public de l’accueil en 2005, l’ACSE a remplacé le FASILD en 2006. Autres bouleversements : la réforme de la politique de la ville avec la substitution, au 1er janvier 2007, des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) aux contrats de ville, ainsi que la poursuite de la décentralisation, avec notamment le transfert de responsabilité du RMI de l’État aux départements. Enfin, l’arrivée de nouveaux pays au sein de la Communauté européenne vient opérer une redistribution des fonds sociaux européens.
Toutes ces transformations se sont réalisées dans un contexte de désengagement financier de l’État. Conséquence : le mode de financement des associations subit également un tournant. Les subventions globales diminuent au profit d’un financement par projet. Le recours aux marchés publics, dénoncé par le milieu associatif comme la subordination de l’aspect financier au détriment de la qualité des prestations, se multiplie. L’ASSFAM entre désormais dans le champ de la concurrence. Un facteur positif cependant : le développement de conventions pluriannuelles, qui assurent une garantie de financement sur plusieurs années.
v. aussi le budget 2007 (la thématique de la nécessité de répondre à des appels d’offres est très présente dans le bilan d’activité 2007)
Son directeur, Christian Laruelle ne le cachait pas dans ses réponses à Carine Fouteau de Médiapart en octobre 2008 :
“À la différence de l’Ordre de Malte, dont près d’un tiers des ressources sont issues de dons privés, l’Association service social familial migrants (Assfam), née en 1951, dépend presque exclusivement des fonds publics. Également candidate, après avoir été sollicitée par le ministère de l’immigration, elle se dit intéressée par deux lots recouvrant l’ensemble de l’Ile-de-France, soit les centres les plus remuants: ceux de Paris- (détruits en juin par un incendie) et du VincennesMesnil-Amelot en Seine-et-Marne en pleine expansion.
Spécialisée dans l’accueil et l’intégration des migrants, l’Assfam emploie 110 salariés, dont bon nombre d’assistantes sociales «ayant des compétences en droit des étrangers», ce qui légitime, selon elle, sa candidature.
L’enjeu financier n’est pas non plus étranger à sa décision de postuler. «Pour 2009, nous sommes dans le flou le plus complet. On ne sait pas du tout si la convention annuelle qui nous liait depuis un bout de temps à l’ANAEM va être renouvelée», indique son directeur Christian Laruelle. De fait, le champ de l’intégration est sens dessus dessous: dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, il est prévu que l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE) cèdent la place à un nouvel opérateur, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui ne reprendrait pas la totalité des missions antérieures“
(Carine Fouteau, “Centres de rétention: les dessous du marché public de Brice Hortefeux”, Médiapart, 22 octobre 2008).
Année après année l’ASSFAM a résolu ses problèmes de financement, qui ne sont pas récents, in extremis.
La position de son président Jean Marie Pauti n’est pas étrangère à ce “miracle” qui survient habituellement en fin d’année. Conseiller d’Etat honoraire il a pu compter sur ses réseaux dans la haute administration, notamment de conseillers d’Etat.
Car le Président de l’ASSFAM -comme l’ensemble des membres de l’association - savent se montrer discrets « à l’image de la femme musulmane qui vit dans la discrétion » (selon l’image figurant dans la brochure élaborée pour les 50 ans de l’association).
Des origines à la conversion aux règles du marché
L’ASSFAM a été créée dans les années 50, sous l’appellation de Service Social Nord Africain, pour développer une action sociale auprès des familles « nord africaines » qui commençaient à arriver et ce, avec le soutien du Ministère. Cette présence des pouvoirs publics près d’elle, l’ASSFAM s’en est toujours réclamée comme on peut le voir sur son site (voir notamment ici ou là ).
L’ASSFAM a toujours bénéficié d’un traitement particulier pour obtenir ses subventions. Très longtemps financée à plus de 50% par le FAS, puis le FASILD cette position privilégiée n’était pas sans poser de problèmes dans les Commissions régionales pour l’intégration des populations immigrées (CRIPI) (instances consultatives régionales auprès du FASILD qui ont été supprimées lors de la création de l’ACSE). En effet un certain nombre d’associations ne comprenaient pas pourquoi l’ASSFAM obtenait de si fortes subventions décidées « en haut lieu » au détriment d’autres associations plus petites et qui avaient, elles aussi , des prétentions à des financements pour leurs projets de développement.
Les choses ont progressivement évolué et l’ACSE ne peut se permettre d’être aussi généreuse malgré les demandes de l’ASSFAM.
L’ASSFAM a du rentrer dans le jeu des marchés avec ses aléas (v. ses rapports d’activité récents ou encore ce document de l’UNIOPSS, “Les associations de solidarité face aux logiques de mise en concurrence” 10 février 2009 sur le site de l’ASSFAM). Si bien que depuis plusieurs années, l’association est bien connue des services du Ministère et de l’ACSE pour son habitude à venir “quémander” l’argent qu’il lui faut pour terminer l’année.
Dans ce contexte, le président de l’ASSFAM pouvait-il décliner l’appel du pied du secrétaire général du ministère de l’Immigration, Patrick Stefanini, également membre du Conseil d’Etat, lorsque Brice Hortefeux a afficher l’objectif de “casser le monopole” de la Cimade en centre de rétention ?
La mission de l’ASSFAM deviendra donc, dans l’explication donnée « une mission de défense du droit des étrangers jusqu’au bout » - y compris jusqu’à ce quand on les enferme pour les expulser. Mais l’association habituée à l’aide sociale et humanitaire - basée plutôt sur l’assistance et l’intervention - va-t-elle oser franchir le pas de contestation contentieuse systématique devant les tribunaux pour assurer sa nouvelle mission d’assistance juridique des étrangers reconduits?
Une subvention miraculeuse
Acceptant de répondre à l’appel d’offres visant à briser le “monopole” de la CIMADE dans les CRA, l’ASSFAM a miraculeusement bénéficié en fin d’année 2008 d’une subvention exceptionnelle de 450 000 euros.
On comprend, en lisant le site de l’ASSFAM, qu’il s’agissait là pour elle d’une “bonne nouvelle“. Une très bonne nouvelle certainement pour 2008, mais il n’est pas sûr que l’obtention du seul lot de Paris et Bobigny soit une aussi bonne nouvelle pour 2009 et les années qui vont suivre.
En tout cas, dans l’immédiat, sa candidature à l’appel d’offres lui a donné un regain de notoriété puisqu’en 13 mois la fréquentation de son site internet a été multipliée par 6 (voir ici).
L’ASSFAM vient aussi de répondre à l’appel d’offre de l’OFII sur le contrat d’accueil et d’intégration pour la famille - grande nouveauté familialiste et coercitive (suspension des allocations familiales) de la loi Hortefeux de novembre 2007 que la Halde et le défenseur des enfants ont considéré comme engendrant des discriminations contraires aux engagements internationaux de la France.
Que dit le personnel de tout ça ? Il semble qu’il règne une certain omerta car les salariés ne se sont exprimés ni manifestés pour savoir ou comprendre ce qui les attend. Sur le débat qu’il peut y avoir en interne et les possibilités d’expression des salariés, là aussi, l’ASSFAM est très discrète.
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Compléments :
- dans le même sens de Sichem LISCIA, “Forum réfugiés et FTDA : d’un marché à l’autre?”, CPDH, 29 octobre 2008.
- Olivier Brachet “Nous sommes désormais passés dans un système de marché”, Nouvel obs., 25 sept. 2008.
- V. aussi cet hallucinant entretien d’Olivier Brachet dans le Progrès de Lyon: Olivier Brachet et l’immigration : « On a une vision de riches », Le Progrès, 11.04.2009
Par exemple sur le marché de la rétention il répond:
“Dans le rapport Cimade/gouvernement, le gré à gré devient suspect en raison même de l’origine du marché légitime mais peu explicite, donné à la Cimade par Pierre Joxe, pour mettre du droit dans un espace où il n’y en avait pas. C’est un marché de 4 à 8 millions d’euros, ce n’est plus possible de le donner à ses affidés. L’appel d’offres est une garantie de transparence”.
Rappelons que c’est un marché de 5 millions d’euros, que la Cimade a été conventionnée par Georgina Dufoix en 1984 et non pas Pierre Joxe en 1989 et que le marché date de 2001.
Quant à la transparence du marché, la preuve du contraire vient d’être faite…