Kentuky

Par Eric Mccomber
Je reviens par le sentier qui longe les clôtures et je passe entre le bâtiment en construction et le mur de briques. J'entends une guitare qu'on accorde et une voix de fille. Vous êtes là, tous les trois. Assis par terre. Un des types est tourné vers toi et te regarde. L'autre maîtrise parfaitement la désinvolture et tripote sa gratte, la tête dans ses cheveux. Tu portes ton grand chiffon noir et tu gesticules, en hyper-vie, étincelante, tu tentes de leur expliquer quelque chose, mais ils s'en foutent. Tu fais semblant de ne pas me voir et tu pivotes vers le guitariste. Je perçois la qualité particulière de l'espace entre vous, entre toi et lui. Et je passe mon chemin. Je saute sur le bloc de béton d'un pas assuré. Je bondis par-dessus le fossé. Tout droit, le parking, puis le raccourci entre les thuyas, je plonge sous la clôture et j'émerge de l'autre côté. Là je t'observe une seconde, mes jambes nerveuses et excitées sous moi, mes genoux échauffés et souples. Tu me suivais du regard et tu me vois m'arrêter. Tu touches son genou en parlant. Je détale. Soudain, je réalise où nous sommes. Tu es sur la dalle de ciment du Kentuky Fried Chicken en chantier. Je marche sur Lanthier au coin de Marcel Monette. Tu n'es pas ma Tangerine. Tu es Véronique. Tu remontes à la nuit de mes temps. Je suis un tout petit bambin et je viens de découvrir une grande plaie dans mon ventre.© Éric McComber